Le microbiote humain est composé de milliards de microorganismes appartenant à plus de 3000 espèces de bactéries, archées, champignons, protozoaires et virus présents sur les surfaces épithéliales du corps, notamment dans l’intestin grêle et le côlon. Le microbiote intestinal est composé d’environ 1013 bactéries dites commensales (soit autant que les cellules d’un corps humain) et affecte de nombreuses fonctions physiologiques : digestion, métabolisme, immunité. Le microbiote est une communauté complexe, dont la composition est variable entre individus, et aussi variable au sein d’un individu, notamment selon l’hygiène de vie, l’alimentation, les maladies et la prise d’antibiotiques. La dysbiose, c’est-à-dire l’altération taxonomique ou fonctionnelle du microbiote, est associée à des maladies comme l’obésité, le diabète et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.

En modulant le métabolisme et l’immunité de son hôte, le microbiote est également impliqué dans l’initiation et la progression de plusieurs types de cancer. En plus de cela, des études récentes montrent l’influence du microbiote sur les réponses aux traitements du cancer (chimiothérapie, radiothérapie et immunothérapie). On s’intéresse ici au rôle du microbiote dans l’efficacité et la toxicité des chimiothérapies. Cette communauté microbienne pourrait en partie expliquer la différence de réponse aux traitements anticancéreux selon les patients.

La chimiothérapie reste un incontournable de la thérapie anticancéreuse. Les agents chimiothérapeutiques cytotoxiques comprennent notamment les agents alkylants, les antimétabolites, les métaux lourds comme le platine, les inhibiteurs de topo-isomérases et les antibiotiques cytotoxiques. Les activités antitumorales des chimiothérapies reposent sur la perturbation de l’intégrité de l’ADN ou des enzymes de réparation ou de synthèse d’ADN, ce qui empêche la division des cellules cancéreuses et entraîne leur mort. La chimiothérapie est non spécifique et endommage donc également les cellules non cancéreuses, d’où la toxicité de ces traitements.

L’influence du microbiote sur la réponse à la chimiothérapie est étudiée par la pharmacomicrobiomique. Ce domaine de recherche s’intéresse à l’interaction entre le microbiote et la réponse à un médicament à travers des altérations de sa pharmacocinétique (modification de l’absorption, de la distribution, du métabolisme ou de l’élimination du médicament) ou de sa pharmacodynamique (modification des cibles du médicament ou des voies biologiques conduisant à une sensibilité variable à ses effets pharmacologiques). Nous allons voir dans cet article que le microbiote peut augmenter mais aussi diminuer l’efficacité des chimiothérapies, et qu’il peut également être responsable de la résistance à celles-ci ou favoriser leur toxicité. Le microbiote peut exercer ces effets en modulant la pharmacocinétique et la pharmacodynamique de la chimiothérapie. Il existe en effet des interactions complexes entre différentes bactéries du microbiote intestinal et différents agents chimiothérapeutiques.

Inversement, les agents chimiothérapeutiques ont un effet sur le microbiote. Montassier et ses collaborateurs ont montré qu’un traitement chimiothérapeutique induit une dysbiose en réduisant significativement la richesse et la diversité microbiennes du tube digestif 1. Il y a donc une interaction bidirectionnelle entre le microbiote et la chimiothérapie, mais nous allons nous concentrer ici sur l’influence du microbiote sur la réponse à la chimiothérapie.

Ainsi, la connaissance des effets du microbiote sur l’efficacité et la toxicité des chimiothérapies pourrait être mise à profit dans le cadre de la médecine personnalisée. L’analyse du microbiote du patient, avant la mise en route d’un traitement anticancéreux, pourrait prédire la réponse à la chimiothérapie. De même, la modulation du microbiote d’un patient, lorsque celui-ci est prédit à risque, par différentes techniques (probiotiques, prébiotiques, antibiotiques, transplantation de microbiote) pourrait diminuer la toxicité voire améliorer l’efficacité de la chimiothérapie.

Le métabolisme du microbiote a un effet sur la pharmacocinétique de la chimiothérapie

L’efficacité de la chimiothérapie peut être augmentée ou diminuée par le métabolisme du microbiote

Le métabolisme du microbiote est nécessaire à l’efficacité du 5-fluoro-uracile

Le fait que les microorganismes intestinaux métabolisent les médicaments est connu depuis les années 1960. Les microbes peuvent directement transformer les médicaments en métabolites actifs, inactifs ou même toxiques. Ces transformations peuvent également être indirectement réalisées par des métabolites dérivés des microbes.

Le 5-fluoro-uracile (5-FU) est un agent chimiothérapeutique de la famille des antimétabolites. C’est un analogue de pyrimidine utilisé comme traitement du cancer colorectal, mais son efficacité est variable selon les patients. En utilisant comme modèle le nématode C. elegans et la bactérie commensale E. coli, Scott et coll. ont montré que le cométabolisme hôte-microbe influence l’efficacité du 5-fluoro-uracile 2. En effet, le métabolisme bactérien des ribonucléotides est nécessaire pour transformer le 5-fluoro-uracile en ses formes cytotoxiques, le 5-fluorodésoxyuridine 5’-monophosphate (FdUMP) et le 5-fluoro-uridine 5’-triphosphate (FUTP) (Figure 1).

Molécules de 5-fluoro-uracile et de ses formes cytotoxiques
Le métabolisme bactérien des ribonucléotides transforme les fluoropyrimidines en formes activées ayant des effets cytotoxiques

FdUMP, 5-fluorodésoxyuridine 5′-monophosphate ; FUMP, 5-fluoro-uridine 5′-monophosphate ; FUTP, 5-fluoro-uridine 5′-triphosphate.

Auteur(s)/Autrice(s) : Ting et coll., 2022, traduit et adapté par Emma Osswald Licence : CC-BY-NC Source : Gut

Le FdUMP empêche la biosynthèse de thymidine nécessaire à la synthèse d’ADN en bloquant l’activité de la thymidilate synthétase, tandis que le FUTP s’incorpore à la place de l’uracile dans l’ARN, entraînant des erreurs de traduction. Ces effets induisent l’arrêt du cycle cellulaire et l’apoptose. La perturbation de la production bactérienne de vitamines B6 et B9, qui est liée au métabolisme des ribonucléotides, diminue l’efficacité du 5-fluoro-uracile, ce qui montre l’influence des métabolites bactériens sur les chimiothérapies (Figure 2).

La dégradation enzymatique de la gemcitabine par le microbiote diminue son efficacité

Les espèces appartenant à la classe Gammaproteobacteria intratumorales possédant l’isoforme longue de la cytidine désaminase (CDD-L) peuvent inactiver la gemcitabine, entraînant une chimiorésistance
Auteur(s)/Autrice(s) : Ting et coll., 2022, traduit et adapté par Emma Osswald Licence : CC-BY-NC Source : Gut

La gemcitabine est un antimétabolite analogue de cytidine utilisé comme traitement du cancer du pancréas. Geller et coll. ont montré que certaines bactéries présentes dans les tumeurs pourraient jouer un rôle majeur dans la résistance à la gemcitabine 1. Les espèces appartenant à la classe Gammaproteobacteria peuvent métaboliser la gemcitabine (2′,2′-difluorodésoxycytidine) en sa forme inactive, la 2′,2′-difluorodésoxyuridine. Cette transformation est réalisée par l’isoforme longue de la cytidine désaminase (CDD-L, Figure 3) Ces bactéries ont été fréquemment retrouvées dans les tumeurs pancréatiques des patients analysés. À l’inverse, un traitement par antibiotique (ciprofloxacine) ou par inhibiteur de cytidine désaminase restaure l’efficacité de la gemcitabine chez la souris.

Le métabolisme microbien est responsable de la toxicité de l’irinotécan

Les bactéries intestinales peuvent reconvertir le SN-38G inactif en SN-38 actif par la β-glucuronidase, ce qui entraîne une toxicité pour les cellules intestinales
Auteur(s)/Autrice(s) : Ting et coll., 2022, traduit et adapté par Emma Osswald Licence : CC-BY-NC Source : Gut

L’irinotécan (CPT-11) est un promédicament chimiothérapeutique dont le métabolite actif (SN-38) est un inhibiteur de la topoisomérase I. Il est utilisé pour le traitement du cancer colorectal. Le principal effet secondaire de l’irinotécan, à savoir une diarrhée sévère survenant chez 40 % des patients, peut entrainer des diminutions de dose, et donc une moindre efficacité. L’irinotécan est transformé en sa forme active SN-38 par la carboxylestérase des tissus du foie et de l’intestin grêle, puis détoxifié dans le foie par les UDP-glucuronosyltransférases de l’hôte en SN-38-G inactif avant d’être sécrété dans l’intestin. Dans l’intestin, le SN-38-G peut être reconverti par les β-glucuronidases bactériennes en SN-38 actif pour être utilisé comme source de carbone par les bactéries, ce qui induit des diarrhées sévères (Figure 4). Dans l’intestin humain, l’activité β-glucuronidase a été trouvée principalement dans le phylum Firmicutes, notamment au sein des clusters XIVa et IV de Clostridium. Les traitements antibiotiques qui diminuent le nombre d’espèces bactériennes produisant des β-glucuronidases ou l’utilisation d’un inhibiteur spécifique de la β-glucuronidase bactérienne (qui n’inhibe pas l’orthologue des mammifères) traitent efficacement l’inflammation intestinale induite par le traitement à l’irinotécan chez la souris 1. L’activité ß-glucuronidase pourrait servir de biomarqueur pour adapter les dosages d’irinotécan, afin d’atténuer les effets secondaires.

Le microbiote a un effet sur la pharmacodynamique de la chimiothérapie en modulant la réponse immunitaire

L’immunomodulation par le microbiote augmente l’efficacité de la chimiothérapie

Cas du cyclophosphamide

Le cyclophosphamide (CTX) est un agent alkylant appartenant à la famille des moutardes azotées et est l’une des molécules les plus utilisées en chimiothérapie. Le cyclophosphamide stimule la réponse immunitaire antitumorale en épuisant les cellules T régulatrices (Treg) immunosuppressives et en favorisant la différenciation des cellules en lymphocytes T auxiliaires de type 1 (Th1). De plus, certaines bactéries intestinales amplifient l’efficacité du cyclophosphamide en optimisant l’immunité antitumorale induite par ce médicament. Laurence Zitvogel et ses collaborateurs 1 ont montré chez la souris que le cyclophosphamide induisait le passage de certaines bactéries Gram+ intestinales (Enterococcus hirae et Lactobacillus johnsonii) dans les organes lymphoïdes secondaires. Là, ces bactéries stimulent la génération de cellules T auxiliaires 17 « pathogènes » (pTH172) et de cellules Th1 mémoires, qui sont essentielles à la réponse immunitaire anticancéreuse induite par le cyclophosphamide. En effet, les réponses des cellules pTH17 et l’effet antitumoral du traitement par cyclophosphamide sont réduits chez les souris exemptes de germes et chez les souris dépourvues de bactéries Gram+ par un traitement antibiotique (vancomycine).

Plus récemment, les mêmes chercheurs ont montré que l’efficacité du cyclophosphamide reposait sur deux espèces bactériennes de l’intestin, Enterococcus hirae et Barnesiella intestinihominis 3. E. hirae augmente le rapport intratumoral CD8+/Treg et restaure l’efficacité du cyclophosphamide chez des souris traitées aux antibiotiques. B. intestinihominis n’est pas retrouvée dans les organes lymphoïdes secondaires mais s’accumule dans le côlon et favorise l’infiltration intratumorale de cellules Tγδ productrices d’interféron γ (Figure 5).

E. hirae et B. intestinihominis augmentent l’efficacité du cyclophosphamide (CTX) en stimulant l’immunité antitumorale

Schéma réalisé à l'aide de BioRender.

Auteur(s)/Autrice(s) : Emma Osswald, d'après Daillère et coll., 2016 Licence : Reproduit avec autorisation

Cas des dérivés du platine

L’oxaliplatine et le cisplatine sont des agents alkylants dérivés du platine. Les dommages à l’ADN induits par les dérivés du platine dans les cellules tumorales sont réduits chez les souris dépourvues de microbiote. Les espèces réactives de l’oxygène (ROS) sont responsables des effets cytotoxiques des dérivés du platine, en provoquant des dommages à l’ADN. Il a été démontré que l’absence de microbiote intestinal chez la souris empêchait la production des espèces réactives de l’oxygène par les cellules myéloïdes intratumorales via la NADPH oxydase 2 (NOX2). Le mécanisme par lequel le microbiote intestinal prépare les cellules myéloïdes intratumorales à la production d’espèces réactives de l’oxygène implique MyD88, une protéine de la voie de signalisation des récepteurs Toll-like (TLR ; Figure 6). De plus, les bactéries intestinales sont également à l’origine des effets immunomodulateurs tardifs de l’oxaliplatine. Ainsi, chez les souris dépourvues de microbiote, les effets génotoxiques et cytotoxiques précoces des deux dérivés du platine ainsi que la survie à long terme induite par l’oxaliplatine sont diminués. Dans cet exemple, le microbiote module à la fois l’effet cytotoxique précoce et la réponse immunitaire adaptative responsables de l’action antitumorale des dérivés du platine 1.

Les bactéries intestinales peuvent entraîner les cellules myéloïdes intratumorales à produire des espèces réactives de l’oxygène

Schéma réalisé à l'aide de BioRender.

Auteur(s)/Autrice(s) : Emma Osswald Licence : Reproduit avec autorisation

L’immunomodulation par le microbiote peut causer une résistance à la chimiothérapie

Fusobacterium nucleatum est une bactérie abondante dans les tumeurs du cancer colorectal chez les patients présentant une récidive après chimiothérapie (au 5-fluoro-uracile ou à l’oxaliplatine). Yu et coll. ont montré que F. nucleatum favorise la résistance à la chimiothérapie en activant la voie de signalisation immunitaire innée TLR4/MyD88, qui active l’autophagie et diminue l’apoptose (Figure 7) 1.

Rôle de Fusobacterium nucleatum dans la chimiorésistance

F. nucleatum active la voie dépendante de TLR4/MyD88 ce qui inhibe certains miRNA (microARN) et fait passer les cellules tumorales de l’apoptose à l’autophagie, ce qui entraîne une chimiorésistance. Schéma réalisé à l'aide de BioRender.

Auteur(s)/Autrice(s) : Emma Osswald, d'après Yu et coll., 2017 Licence : Reproduit avec autorisation

Analyse et modulation du microbiote : le futur du traitement personnalisé du cancer ?

Utiliser le microbiote comme biomarqueur de la réponse thérapeutique

Certaines signatures microbiennes sont corrélées avec les réponses au traitement, le pronostic ou l’incidence des effets indésirables. Cela suggère la possibilité d’utiliser le microbiote comme biomarqueur prédictif. La prédiction de la réponse des patients en fonction de l’abondance de certaines espèces ou de la diversité du microbiote pourrait s’avérer un outil puissant pour lutter contre la résistance à la chimiothérapie ou la toxicité induite par la chimiothérapie. Par exemple, la relation entre l’expression de l’isoforme longue de la cytidine désaminase bactérienne (CDD-L) et la chimiorésistance à la gemcitabine est bien établie. Comme cette protéine est principalement présente dans les bactéries Gram, une étude clinique a démontré le potentiel de l’utilisation du lipopolysaccharide intratumoral, un composant de la paroi cellulaire des bactéries Gram, comme indicateur d’une efficacité réduite de la gemcitabine dans les cas de cancer du pancréas 1. Néanmoins, il semble que la reproductibilité des signatures microbiennes soit limitée. Les corrélations entre certaines signatures microbiennes et les réponses aux traitements anticancéreux ne seraient pas valables pour tous les patients, selon leur origine ou leur alimentation, entre autres facteurs. Une étude métagénomique du microbiote intestinal de patients atteints de mélanome et issus de différentes cohortes a montré l’association entre la composition du microbiote et la réponse aux inhibiteurs de point de contrôle immunitaire2 mais a révélé une reproductibilité limitée des signatures microbiennes entre les cohortes 3.

Moduler le microbiote pour diminuer la toxicité voire augmenter l’efficacité de la chimiothérapie

L’idée que les bactéries ou leurs produits ont un rôle thérapeutique à jouer dans les cancers n’est pas nouvelle. En 1891, Coley a utilisé les toxines de Streptococcus erysipelas pour traiter le sarcome, et Mycobacterium bovis est toujours utilisée dans le traitement du cancer de la vessie. Les bactéries exercent leur effet chimiothérapeutique en entrant en compétition avec leur hôte pour les nutriments, en sécrétant des toxines et en suscitant des réponses immunitaires de l’hôte. Cependant, nous entrons maintenant dans une nouvelle ère où l’écologie entière de l’intestin pourrait être ciblée grâce aux technologies de séquençage à haut débit, pour influencer l’efficacité thérapeutique. Le microbiote peut être modulé notamment par l’utilisation de probiotiques, de prébiotiques, d’antibiotiques, par modification de l’alimentation ou par transplantation de microbiote fécal.

Les probiotiques sont des microorganismes vivants, principalement du genre Bifidobacterium et Lactobacillus, exerçant des effets positifs sur la santé. Dans une étude randomisée portant sur 150 patients atteints de cancer colorectal et recevant une chimiothérapie à base de 5-fluoro-uracile, la supplémentation en Lactobacillus rhamnosus GG4 réduit les épisodes de diarrhée sévère et d’inconfort abdominal. Néanmoins, malgré des résultats prometteurs et de multiples études de cas où des probiotiques ont été administrés avec succès pour atténuer la toxicité intestinale induite par la chimiothérapie, les preuves à l’appui de l’utilisation des probiotiques dans la prévention de cette toxicité sont insuffisantes. Par ailleurs, les espèces de probiotiques disponibles actuellement sur le marché ne sont bien souvent pas des hôtes commensaux habituels du microbiote et rencontrent par conséquent une résistance marquée à la colonisation durable des muqueuses intestinales 5. De plus, les risques potentiels, notamment la bactériémie, ne doivent pas être négligés chez les patients gravement malades. Des études futures devraient évaluer la formule optimale des probiotiques et s’assurer de leur efficacité dans de grandes cohortes.

Les prébiotiques sont des substrats utilisés sélectivement par les microorganismes qui confèrent des avantages pour la santé. La supplémentation en prébiotiques (oligofructose et inuline) a potentialisé l’effet de six médicaments cytotoxiques chez la souris. Cependant, les études cliniques sur les effets des prébiotiques sur la chimiothérapie font défaut et les mécanismes qui pourraient permettre aux prébiotiques d’améliorer les résultats des chimiothérapies restent incertains.

Les antibiotiques ciblant les bactéries productrices de cytidine désaminase (CDD-L) améliorent la réponse à la gemcitabine chez les patients atteints de cancer du pancréas. Néanmoins, les études actuelles sur les antibiotiques et la chimiothérapie ont donné des résultats contradictoires. L’utilisation d’antibiotiques en chimiothérapie pourrait être une arme à double tranchant. Les antibiotiques peuvent induire une dysbiose intestinale, entraînant une baisse de l’efficacité de la chimiothérapie.

La transplantation de microbiote fécal désigne le transfert de l’ensemble de la communauté microbienne fécale (bactéries, virus, champignons et leurs métabolites) d’un donneur sain à un receveur. Cette technique de modulation du microbiote est aujourd’hui utilisée pour traiter les infections récidivantes par Clostridioides difficile. Des études cliniques ont récemment démontré que la transplantation de microbiote fécal pouvait surmonter la résistance à la thérapie par l’inhibiteur de point de contrôle immunitaire anti-PD-1 chez des patients atteints de mélanome 6. La transplantation de microbiote fécal de donneurs riches en Akkermansia muciniphila est actuellement testée sur des patients ayant un microbiote pauvre en A. muciniphila et résistants aux inhibiteurs de point de contrôle immunitaire. En effet, la présence d'Akkermansia muciniphila a été associée à une meilleure réponse à l’inhibiteur de point de contrôle immunitaire anti-PD-1 chez des patients atteints de cancer du poumon 7.

Les futurs essais cliniques devraient évaluer l’efficacité, la durabilité et la sécurité de ces différentes méthodes de modulation du microbiote. D’autres méthodes innovantes ont été récemment rapportées, comme l’utilisation de bactériophages pour cibler spécifiquement des bactéries, ou de bactéries synthétiques.

Conclusion

La résistance des cellules tumorales à la chimiothérapie et la toxicité de celle-ci sont des obstacles majeurs à ce type de traitement. Le microbiote intestinal, parmi ses nombreux effets physiologiques, influence l’efficacité et la toxicité de la chimiothérapie. La connaissance précise des effets du microbiote permettrait de diminuer la toxicité voire d’améliorer la réponse à la chimiothérapie par modulation du microbiote. Nous nous sommes ici focalisés sur l’influence du microbiote intestinal sur la réponse à la chimiothérapie, mais nous avons aussi évoqué le rôle de celui-ci dans la réponse à l’immunothérapie par inhibiteurs de point de contrôle immunitaire. Malgré de premiers résultats encourageants, le ciblage du microbiote dans le traitement des cancers soulève de nombreux défis. Premièrement, la plupart des études ont été réalisées sur des souris, et la transposition de ces résultats expérimentaux en clinique reste incertaine. De plus, le microbiote est un écosystème complexe et variable. La composition du microbiote intestinal varie d’une souris à l’autre, même chez des souris ayant un bagage génétique identique et élevées dans des conditions similaires. Cette complexité nécessite l’établissement d’une carte fonctionnelle détaillée des fonctions métaboliques et immunitaires que les bactéries exercent sur l’hôte, le cancer et les médicaments utilisés pour le traiter. Une analyse minutieuse de la corrélation entre les différentes espèces bactériennes et la réponse clinique est nécessaire. Les recherches futures devraient permettre d’identifier une espèce bactérienne ou une combinaison d’espèces exerçant une influence significative sur la chimiothérapie, ainsi qu’une approche optimisée pour la modulation du microbiote. Ainsi, le ciblage du microbiote dans les cancers et d’autres maladies est susceptible de devenir l’une des prochaines frontières de la médecine personnalisée. Enfin, les études actuelles se concentrent principalement sur les bactéries, mais les virus, les champignons et les archées commensaux joueraient également un rôle non négligeable dans les cancers.

Pour aller plus loin

En plus des références citées dans le texte, voici quelques revues d’intérêt au sujet du rôle du microbiote dans l’efficacité et la toxicité des chimiothérapies.

  • S. Roy and G. Trinchieri, “Microbiota : a key orchestrator of cancer therapy,” Nat Rev Cancer, vol. 17, no. 5, pp. 271–285, May 2017, doi : 10.1038/nrc.2017.13

  • J. L. Alexander, I. D. Wilson, J. Teare, J. R. Marchesi, J. K. Nicholson, and J. M. Kinross, “Gut microbiota modulation of chemotherapy efficacy and toxicity,” Nat Rev Gastroenterol Hepatol, vol. 14, no. 6, pp. 356–365, Jun. 2017, doi : 10.1038/nrgastro.2017.20

  • S. M. Ervin, S. V. Ramanan, and A. P. Bhatt, “Relationship Between the Gut Microbiome and Systemic Chemotherapy,” Dig Dis Sci, vol. 65, no. 3, pp. 874–884, Mar. 2020, doi : 10.1007/s10620-020-06119-3

  • S.-Y. Lu et al., “Microorganisms in chemotherapy for pancreatic cancer : An overview of current research and future directions,” Int J Biol Sci, vol. 17, no. 10, pp. 2666–2682, 2021, doi : 10.7150/ijbs.59117

  • N. L.-N. Ting, H. C.-H. Lau, and J. Yu, “Cancer pharmacomicrobiomics : targeting microbiota to optimise cancer therapy outcomes,” Gut, vol. 71, no. 7, pp. 1412–1425, Jul. 2022, doi : 10.1136/gutjnl-2021-326264

  • V. Matson, C. S. Chervin, and T. F. Gajewski, “Cancer and the Microbiome-Influence of the Commensal Microbiota on Cancer, Immune Responses, and Immunotherapy,” Gastroenterology, vol. 160, no. 2, pp. 600–613, Jan. 2021, doi : 10.1053/j.gastro.2020.11.041