« Les efforts visant à éliminer les cancers peuvent en fait accélérer l’émergence d’une résistance et d’une récidive tumorale. »

— Robert Gatenby

Partant de ce constat, Robert Gatenby et son équipe cherchent, depuis une vingtaine d'années, à résoudre ce problème en portant un regard différent sur les thérapies oncologiques 1. Ils proposent des thérapies « adaptatives » qui consistent à contrôler le cancer en se fondant sur la relation de compétition qu’entretiennent les cellules sensibles avec celles résistantes au traitement 2.

Avec cette vision évolutionniste, l’écosystème tumoral est défini comme un environnement dans lequel plusieurs cellules prolifèrent à la façon d’une espèce invasive dans un écosystème. La tumeur ne doit alors pas être considérée comme un ensemble de cellules génétiquement homogènes mais comme un ensemble de sous-populations clonales. Celles-ci vivent ensemble dans l’écosystème tumoral et leur coopération favorise le développement de la tumeur. Par exemple certains clones accroissent la vascularisation de la tumeur, qui profite à toutes les cellules cancéreuses. Cependant, si l’une des lignées clonales acquiert un nouveau caractère, cela ne garantit pas pour autant la prolifération de cette population clonale. En effet, parallèlement aux interactions de coopération, la compétition entre les sous-populations clonales pour le partage des ressources tend à freiner le développement de chaque clone.

Dans le cadre des traitements oncologiques, jusque dans les années 2000, les thérapies se basaient sur la recherche de la dose maximale tolérée par les cellules saines du patient. De telles thérapies, qui visent à éradiquer les cellules tumorales, fonctionnent sur certains patients, mais restent cependant inefficaces sur un trop grand nombre de cancers. Lorsque le traitement est efficace, il provoque une diminution de la masse tumorale. Cependant, l’instabilité génomique et épigénomique est inhérente aux cellules cancéreuses et entraîne une grande hétérogénéité au sein de la tumeur 345. Ainsi, même si la tumeur décline, il arrive qu’un petit nombre de cellules résistantes survivent et prolifèrent :

  • Soit grâce à la présence d’un petit nombre de cellules résistantes préexistantes au traitement.
  • Soit parce qu’il s’est écoulé suffisamment de temps entre deux traitements thérapeutiques pour que se produisent des mutations à l’origine de mécanismes de résistance.
  • Soit parce qu’une partie de la tumeur a été soumise à des concentrations sublétales de médicaments, permettant de sélectionner progressivement des cellules résistantes au traitement.

Ainsi, dès lors que certaines cellules tumorales développent une résistance au traitement, ce dernier perd son efficacité. Le problème qui se pose est finalement le même que face au développement des résistances contre les pesticides en agriculture ou contre les antibiotiques en santé publique. Ainsi, les thérapies contre les cancers peuvent s’inspirer des nouvelles pratiques utilisées en santé publique contre la résistance aux antibiotiques ou encore en agriculture dans la lutte contre les ravageurs. Dans ce dernier cas, la gestion des ravageurs consiste à prévenir l’émergence de résistance aux traitements (pesticides) tout en maintenant un niveau de dommage acceptable pour l’écosystème (agricole). Ces pratiques s’appuient sur des modèles de dynamique évolutive pour développer des traitements où les produits phytosanitaires et les médicaments sont utilisés plus judicieusement et avec parcimonie.

Par ailleurs, les mécanismes de résistance sélectionnés chez certaines cellules tumorales (citons par exemple la modification des protéines de surface utilisée comme « camouflage », ou encore les mécanismes de défense utilisant des pompes membranaires) ont un coût et présentent donc un désavantage. Ainsi, les cellules tumorales résistantes aux traitements sont moins compétitives que les cellules tumorales sensibles.

La thérapie adaptative joue donc sur la compétition entre cellules résistantes et cellules sensibles ainsi que sur le coût de la résistance. La compréhension de ces mécanismes permet de développer des stratégies thérapeutiques efficaces ; le traitement doit s’adapter à la réponse tumorale du patient. L’objectif est d’utiliser un médicament cible sur un temps court pour limiter le développement de résistances, quitte à changer de médicament cible d’un traitement à l’autre. Ainsi, le développement tumoral est contrôlé ; le patient vit plus longtemps avec son cancer, et avec un suivi régulier.

Robert Gatenby a initié un changement de paradigme en oncologie, et a depuis été rejoint par d’autres équipes de recherche, qui envisagent les thérapies luttant contre le développement des tumeurs avec une approche évolutionniste.

Ainsi, il poursuit ces recherches en étudiant l’immunothérapie adaptative. Les cellules cancéreuses sont traquées par les cellules immunitaires de l’hôte. La thérapie devient, pour les chercheurs, analogue à une coévolution « prédateurs-proies » 6. L’objectif est de trouver le moyen de renforcer le nombre de prédateurs. L’apport des principes de dynamique évolutive et l’utilisation de modèles mathématiques adaptés permettent une meilleure compréhension de la dynamique tumorale et devraient aboutir à des traitements plus efficaces.

Évolution de la densité des cellules sensibles et des cellules résistantes au traitement lors d’une thérapie classique (a) ou adaptative (b)

Les cellules violettes sont les cellules sensibles au traitement, les cellules vertes sont résistantes. Les graphiques montrent l'évolution de la densité clonale lors du traitement. Le schéma (a) représente le traitement où la dose maximale tolérée (MTD) est administrée au patient en continu. Les cellules sensibles sont rapidement éliminées. Les cellules résistantes sont sélectionnées, éliminant l’effet de compétition entre lignées clonales et provoquant alors l’échec thérapeutique et la progression tumorale. Le schéma (b) représente le principe de la thérapie adaptative. Le traitement est séquentiel, il s’arrête avant que les cellules sensibles ne soient éliminées. Durant les périodes sans traitement, les cellules sensibles se développent davantage que les cellules résistantes, car elles sont plus compétitives dans ces conditions. La quantité de cellules résistantes augmente tout de même légèrement cycle après cycle, le traitement finit ainsi par devenir inopérant. Cependant, les modèles mathématiques démontrent que la progression tumorale peut être contrôlée jusqu’à 20 cycles, ce qui est nettement plus long qu’avec une thérapie continue.

Auteur(s)/Autrice(s) : Zhang et coll., 2017, traduit par Aurélie Martin-Lavigne Licence : CC-BY Source : Nature Communications

Pour aller plus loin

En plus des articles de recherche cités en bibliographie, voici deux sources d'intérêt au sujet de l'approche évolutionniste des traitements contre le cancer :