Différents processus participent à la transformation d'un matériau parental (roches ou formations superficielles) en sol et à l'évolution de celui-ci. La température, le régime hydrique et l'activité biologique sont autant de facteurs qui modèlent et transforment les sols.
Un « grand processus pédogénétique » est un ensemble de petits phénomènes élémentaires simultanés ou se succédant dans le temps, agissant sur une longue durée, transformant un matériau parental en sol puis un sol ayant une certaine morphologie en un sol ayant une autre morphologie.
Cet ensemble et cette succession de petits phénomènes localisés (à une échelle inframillimétrique) provoquent finalement de grandes modifications morphologiques (nature et succession des horizons) et fonctionnelles (notamment fonctionnement hydrique et structural, fonctionnement physico-chimique et biochimique) parce qu’il se prolonge sur de très longues durées. Ces modifications présentent une échelle verticale décimétrique à métrique, correspondant à la différenciation de différents horizons, et une échelle latérale décamétrique à hectométrique le long de versants.
Dans ce texte nous allons particulièrement insister sur les processus de structuration (c’est-à-dire de formation d’agrégats et de porosités associées), leur genèse et leurs conséquences concrètes.
Processus initiaux – Désagrégation
Au tout début, à partir de roches dures ou consolidées, une fragmentation mécanique intervient, consécutive au gel ou à des alternances de températures extrêmes (déserts chauds). Mais il n’y a pas d’action biologique ni de transformations de minéraux (altérations).
Processus initiaux – Altération de certains minéraux du matériau parental
Un autre processus pédogénétique agissant sur le matériau parental est l’altération des minéraux primaires « altérables » (micas noirs, minéraux ferromagnésiens, feldspaths…) en de nombreux microsites donnant lieu à la formation in situ de minéraux nouveaux dits « minéraux secondaires » : oxydes de fer, minéraux argileux, etc. Ces altérations peuvent aller assez vite (à l’échelle de temps de la pédogenèse).
Deux cas particuliers peuvent être cités : le gypse (CaSO4, 2H2O) et la calcite (CaCO3).
Le gypse est un minéral très soluble. Après sa dissolution par les agents climatiques, ne restent sur place que des impuretés non gypseuses de la roche (calcite, dolomite, argiles). Dans les Alpes, on peut observer des entonnoirs décamétriques de dissolution aux points d’affleurement de roches gypseuses.
La calcite est également sujette à une dissolution totale avec évacuation complète par lixiviation des substances dissoutes. En conséquence, la décarbonatation partielle progressive agissant dans un sol calcaire donne naissance à des gradients de taux de calcaire croissant avec la profondeur et s’accompagnant de l’accumulation relative des éléments insolubles (oxydes de fer, impuretés argileuses). Si la roche calcaire sous-jacente est entièrement décarbonatée, elle libère généralement un résidu silicaté plus ou moins abondant lequel va former le véritable matériau parental du sol. C’est ce qui advient souvent sur les plateaux formés par les calcaires jurassiques : on observe des sols non calcaires, plus ou moins épais, issus des roches calcaires sous-jacentes. Dans ces cas, l’accumulation relative des éléments insolubles atteint son maximum.
Libération du fer
Le fer est « libéré » des réseaux cristallins par altération de minéraux ferromagnésiens (tels la biotite, l’olivine, les pyroxènes, les amphiboles). Dans les sols, ce fer peut s’exprimer sous la forme d’oxydes plus ou moins hydratés (goethite, hématite, lépidocrocite). Les oxydes de fer (au sens large) ainsi formés sont souvent associés avec des minéraux argileux ou bien se concentrent en nodules (dits aussi concrétions ferrugineuses).
Accumulation de carbonate de calcium
L’accumulation de carbonate de calcium se fait par précipitation de calcite et mène à la formation d’encroûtements calcaires à différentes profondeurs. Elle intervient après transfert vertical dans le sol, dans le matériau parental voire dans le réseau karstique souterrain, voire à l’émergence de sources (stalagmites, stalactites, tufs calcaires). Le transfert peut aussi être latéral (le long de la pente). Ce processus de précipitation calcaire résulte de la dissolution des carbonates, plus haut dans le sol ou plus haut sur le versant.
Lixiviation
La lixiviation correspond à l’entraînement d’éléments en solution (alcalins, alcalino-terreux, ammonium, parfois silice, anions divers). Si ce processus se prolonge longuement, il mène progressivement à la désaturation du complexe d’échange1, particulièrement à la décalcification du sol ou de certains de ses horizons. Ne pas confondre la lixiviation avec l’entraînement de particules solides en suspension pour lequel on emploie le mot « illuviation ».
Structuration – Apparition d’agrégats
L’organisation de la matière solide et de la porosité à l’échelle centimétrique qui existe dans les différents horizons des sols est fondamentale en raison du rôle majeur qu’elle joue dans le fonctionnement général des sols :
- relativement à l’air : accès de l’air dans les horizons de surface comme en profondeur, dans de grandes cavités comme dans de très petits interstices ;
- relativement à l’eau :
- stockage de l’eau et sa mise à la disposition des racines et des organismes du sol ;
- mouvements de l’eau entre la surface du sol, l’horizon de surface labouré et les horizons sous-jacents profonds (par ressuyage2 vertical ou latéral ou par capillarité), en lien avec la connectivité des vides ;
- relativement à la température : influence sur la température dans le sol et ses fluctuations tant verticales que temporelles ;
- conséquences pour les racines :
- développement, fonctionnement et vie des racines ;
- stockage, libération et redistribution de nutriments ;
- conséquences pour les organismes vivants, notamment les micro-organismes : lieux d’hébergement et conditions de vie et d’activité des organismes vivants (bactéries, champignons, mycorhizes, nématodes, vers de terre, insectes…) ;
- relativement aux opérations culturales :
- germination des graines ;
- possibilité de passage du matériel agricole (traficabilité) ;
- réponse du sol aux façons culturales (c'est-à-dire au travail du sol) et à la charge par le bétail ;
- facilité de culture ;
- relativement à la protection de l’environnement : diminution de l’érosion, rétention et dégradation des polluants.
Le stockage et le transfert de l’eau, des éléments dissous et des gaz (atmosphère du sol) déterminent une grande partie des fonctions du sol. La présence de vides de différentes formes et de différentes dimensions permet l’infiltration et la redistribution de l’eau, y compris les remontées capillaires. Les conditions d’aération et de température conditionnent le développement de l’activité biologique. Qu’il s’agisse des propriétés de stockage ou de transfert, les propriétés de chaque horizon sont étroitement liées à leur structure, c’est-à-dire à la façon dont les constituants minéraux et organiques sont assemblés les uns par rapport aux autres.
L’aération du sol est nécessaire à la vie microbienne sans laquelle il n’y aurait pas de minéralisation des matières organiques, ni d’absorption des nutriments par les racines.
« La structure est une propriété physique essentielle que l’agriculteur devrait connaître : fréquence de travail, type de labourage, machines à utiliser, germination des semis sont autant d’éléments influençant la structure et influencée par elle »
Comment naissent les agrégats
Les agrégats sont des agglomérats de particules élémentaires (argiles, limons, sables) dont la cohésion interne est assurée par divers ciments (argiles, oxydes de fer, matières organiques, eau). Ils sont le résultat de l’organisation naturelle des constituants d’un sol. Ce ne sont donc pas des fragments.
On distingue deux grands types de structures à agrégats selon leur mode de genèse :
- les structures dites « mécaniques », formées par séparation abiotique, dont les agrégats ont pour origine le débit d’un matériau initialement massif (par exemple une marne, un lœss, une alluvion argileuse) par des fentes de retrait ou tout autre phénomène de nature physique ;
- les structures dites « construites », dues à l’action des organismes vivants du sol (bactéries, champignons, faune du sol, notamment vers de terre, etc.) lesquels produisent des substances susceptibles de servir de ciments entre les particules élémentaires. Ces structures se limitent aux horizons les plus superficiels, là où il y a le plus de dioxygène et de matières organiques et donc d’activité biologique.
Structures mécaniques
Ces structures, facilement visibles dans les sols secs (Figure 1), disparaissent plus ou moins lors de la réhumectation, par suite d’un gonflement des agrégats amenant la fermeture des interstices. Les structures mécaniques sont nécessairement liées à l’abondance des minéraux argileux et à leurs propriétés (nature minéralogique, nature des cations compensateurs et degré de floculation).
La formation des agrégats est sous la dépendance de forces physiques antagonistes des forces qui maintiennent agglomérées les particules élémentaires. Celles qui créent des tensions dans la masse de l’horizon, font apparaître des fissures qui séparent différents agrégats au niveau de plans de faiblesse.
Les actions physiques les plus fréquentes sont les tensions à la dessication, la gélifraction, le développement du système racinaire et le travail du sol.
Les tensions à la dessiccation
Dans les horizons contenant suffisamment d’argile, il existe une variation de volume notable entre l’état humide et l’état sec. Ces variations sont d’autant plus importantes que les minéraux argileux sont de nature gonflante (en particulier les smectites). À la dessiccation, la diminution de volume fait apparaître des tensions internes qui, dans un milieu homogène, se répartiraient dans un plan suivant trois directions à 120° l’une de l’autre. Lorsque ces tensions deviennent supérieures aux forces de liaison, il se produit des ruptures perpendiculaires aux tensions. Ceci engendre la formation d’agrégats polygonaux, généralement à section hexagonale (Figure 1). De même, des ruptures apparaissent perpendiculairement au réseau de fissures primaires constituant un réseau secondaire puis tertiaire et perpendiculaire au deuxième (débit cubique, Figure 2).
En cas de sols très argileux à argiles gonflantes (vertisols), le retrait est intense et se produit à la dessiccation. En profondeur, on obtient des éléments structuraux plus ou moins grands, selon la nature des cations échangeables présents, de formes grossièrement prismatiques. Les fentes séparant les prismes viennent jusqu’en surface.
Les fissures interagrégats des structures mécaniques (prismatiques et polyédriques anguleuses) ont tendance à persister dans le temps et donc à s’ouvrir toujours au même endroit. Ceci parce que leurs faces sont progressivement modifiées par la réorientation des particules argileuses, ou par des revêtements constitués de microalluvions (argiles, matières organiques) ou par le tapissage par de fines racines vivantes ou mortes… Une fissure qui a fonctionné constitue une zone de faiblesse… Elle rejouera donc à nouveau.
La gélifraction
Dans les premiers centimètres du sol, l’eau contenue dans certains vides est susceptible de geler et fait éclater les agrégats, donnant naissance à des arêtes vives quand la texture est argileuse.
Le développement du système racinaire
En pénétrant dans un horizon, et en se développant (en longueur comme en diamètre), les racines exercent des forces de pression qui font éclater la masse solide. D’autre part, les racines assèchent leur environnement immédiat (rhizosphère) et il se développe en plus des tensions de retrait. Ce phénomène dépend de la densité du chevelu racinaire et est particulièrement important sous un couvert végétal de graminées.
Le travail du sol
Les différents travaux agricoles ont comme objectif de conférer aux couches les plus superficielles du sol une structure artificielle afin d’obtenir des conditions optimales de germination puis de développement de telle ou telle culture.
Structures construites
Les agrégats de forme arrondie résultent en partie ou en totalité de l’activité biologique. Les êtres vivant dans le sol exercent d’abord une action mécanique : fragmentation et incorporation des débris végétaux à la matière minérale, fabrication de boulettes fécales. Ils interviennent aussi en fournissant des substances servant de ciment dans la construction des agrégats. Ces substances proviennent de la décomposition des débris organiques par l’activité microbienne, des microorganismes eux-mêmes, des sécrétions des racines (exsudats racinaires) et de l’action de la mésofaune.
Bactéries, champignons et vers de terre sont les principales populations qui interviennent dans la formation des agrégats.
- les bactéries semblent adhérer aux particules argileuses. Très nombreuses, elles s’agglutinent, stabilisent les argiles et permettent la formation de microagrégats très stables ;
- les champignons ont un rôle considérable, assez semblable à celui des bactéries, notamment par leurs hyphes qui peuvent représenter plusieurs kilomètres de longueur par cm3 ;
- les vers de terre jouent un rôle majeur dans la construction des agrégats arrondis (structures grumeleuses).
L’exemple le plus spectaculaire est celui des turricules de vers de terre qui donnent naissance, après destruction partielle, à la structure grumeleuse observable en surface de certains sols forestiers ou enherbés (horizons A dits « biomacrostructurés »).
Ces turricules peuvent être observés aussi sous agriculture lorsque les pratiques permettent le maintien d’une population importante de lombrics (Figure 3).
Dans les formes d’humus forestières à faible activité biologique, certains horizons entièrement organiques contiennent de grandes quantités de boulettes fécales émises par la mésofaune (vers épigés, vers enchytréides, divers arthropodes).
Enfin, signalons le rôle majeur du chevelu racinaire très dense des graminées fourragères sur le phénomène dit « de granulation ». Sous ce type de prairies, dans les premiers décimètres du sol, on observe une grande proportion de petits agrégats arrondis de diamètre inférieur à 10 mm. Les racines auraient une triple action, en collant entre elles les particules grâce au mucilage qui les recouvre, en exerçant des pressions sur ces particules et en recouvrant les petits agrégats déjà formés.
Modification de la structure
La structure des sols n’est pas figée. Il existe une dynamique hebdomadaire ou saisonnière due aux variations climatiques. Le sol est susceptible de gonfler en période humide et de se rétracter en période sèche. Ceci est particulièrement sensible dans le cas des horizons argileux, la porosité correspondant à l’assemblage des particules argileuses présentant des capacités de retrait-gonflement à l’eau très importantes.
Mais la structure peut également évoluer lentement, sous l’action de facteurs naturels, ou être modifiée plus ou moins rapidement par des actions anthropiques : travail superficiel du sol, passages d’engins, plantations, drainage, défonçage1, apports de matières organiques, de composts, chaulages, irrigation avec des eaux chargées en ions sodium, etc.
Causes de la désagrégation
La stabilisation des agrégats dépend de l’efficacité des agents de cohésion. À taux d’argile identique, elle est favorisée par la présence de substances organiques en quantités suffisantes, substances dont certaines, hydrophobes, réduisent l’affinité des agrégats pour l’eau. Elle est également renforcée par la dominance des ions calcium sur le complexe adsorbant.
Aux forces de cohésion qui génèrent et maintiennent les structures à agrégats peuvent succéder des actions inverses menant à une désagrégation totale ou partielle. Ces actions « désagrégeantes » sont naturelles (gel) ou artificielles (agriculture), volontaires (préparation d’un lit de semence) ou involontaires (compactage excessif par les engins agricoles) ou des conditions dans lesquelles les ciments ne sont plus assez efficaces. Ainsi, la diminution des teneurs en matières organiques dans les horizons de surface limoneux peut entrainer un effondrement de la stabilité des agrégats et mener à des phénomènes de battance, de ruissellement et, finalement, d’érosion, même sur des pentes faibles (Pays de Caux).
Entraînement de particules argileuses
Sous l’influence des eaux de pluies qui percolent, les particules argileuses présentes dans les horizons supérieurs peuvent être entraînées verticalement ou latéralement. Ces horizons s’appauvrissent donc progressivement en argile par le processus nommé éluviation. Les horizons ainsi appauvris sont codés E pour « éluviaux ».
Si les transferts sont à dominance verticale, il en résulte une accumulation absolue des particules argileuses dans un horizon de profondeur moyenne (codé BT) : c’est le processus d’illuviation d’argile ou argilluviation. L’indice principal de cette illuviation réside dans l’existence de revêtements argileux déposés sur des faces d’agrégats ou dans des macropores de forme tubulaire. Ils sont visibles sur le terrain à l’œil nu ou à l’aide d’une loupe car ils ont souvent une coloration plus vive (orangée ou rougeâtre) que le reste de l’horizon. L’évolution progressive du sol mène à la formation de luvisols, dits autrefois « sols lessivés ».
Contrairement à une croyance très répandue, le transfert de particules argileuses dans les sols n’est pas un phénomène général sous climat tempéré humide. Pour que des particules puissent se détacher puis circuler verticalement entrainées par l’eau, il faut réunir trois conditions simultanées :
- La présence de particules argileuses dispersables et donc lessivables (dans un sable quartzeux pur, la formation de luvisols n’est pas possible) ;
- Un matériau parental suffisamment perméable (un sédiment limoneux et aéré constitue l’optimum) ;
- Un climat suffisamment pluvieux où les précipitations excèdent largement l’évapotranspiration réelle.
Si les transferts sont à dominance latérale (à cause de la présence d’un horizon très peu perméable parfois qualifié de « plancher »), l’évolution pédogénétique mène à la formation de planosols (avec évacuation des particules argileuses dans les eaux d’une nappe temporaire très peu profonde). Il en résulte un appauvrissement en argile des horizons supérieurs par entraînement latéral, mais il n’y a pas de dépôts argileux dans les horizons de moyenne profondeur dont la granulométrie ne change pas.
« Dégradation morphologique » des minéraux argileux
La dégradation morphologique correspond à une destruction géochimique des minéraux argileux en conditions de désaturation du complexe adsorbant et d’un milieu temporairement réducteur à cause d’engorgements par l’eau. Ce processus se manifeste sur le terrain, au contact entre des horizons peu argileux et des horizons situés en dessous et beaucoup plus argileux. On observe alors de petits volumes blanchâtres limoneux ou sableux, contrastant avec l’horizon environnant, non affecté, qui reste donc beaucoup plus coloré car plus riche en argile.
Ce processus, très courant dans la moitié nord de la France, n’intervient pas seulement dans le cas de sols développés dans de vieux limons mais aussi dans certains sols initialement argileux parvenus à un stade avancé d’évolution.
Podzolisation
Ce type de pédogenèse est caractérisé par :
- l’accumulation en surface de matières organiques « brutes », qui sont seulement juxtaposées aux particules minérales et qui libèrent des composés organiques acides et complexants ;
- l’altération des minéraux altérables et des minéraux argileux sous l’influence de ces composés organiques particuliers (acido-complexolyse) ;
- la mobilité et les transferts de complexes organo-métalliques (chélates) vers la profondeur ;
Il en résulte :
- la formation d’horizons intermédiaires résiduels à structure particulaire, très appauvris en fer et en argile mais plus ou moins colorés par des matières organiques en fonction de l’abondance de celles-ci. Dans certains cas, cet horizon essentiellement quartzeux est entièrement noir ; dans d’autres, il est d’un gris très clair (« horizon cendreux ») ;
- la différenciation d’horizons semi-profonds enrichis en matières organiques et/ou en fer de coloration brun-foncée ou noire, parfois durcis (alios).
La podzolisation ne se développe sous nos climats tempérés que dans le cas de matériaux parentaux sableux, siliceux, très pauvres en minéraux altérables (Figure 4). Citons divers niveaux géologiques sableux du Bassin parisien : les sables stampiens (forêt de Fontainebleau) ainsi que les sables cuisiens et thanétiens. En Bretagne, des podzosols se sont formés à partir du grès armoricain désagrégé. Le plus grand territoire de France affecté par la podzolisation est celui des Landes de Gascogne…
Le milieu étant à la fois très acide et très pauvre en nutriments, une végétation particulière s’installe (résineux, éricacées) qui fournit des matières organiques difficiles à décomposer, d’autant que l’activité biologique est très réduite.
La podzolisation se développe difficilement sur roches cristallines, seulement dans des conditions de microclimat très rude (froid et humide) et dans le cas de matériaux parentaux dépourvus de fer. Sous climats froids, tels ceux de certaines montagnes ou de Scandinavie, en contexte de roches cristallines « acides », la podzolisation est la norme.
Apparition de traits hydromorphes liés aux engorgements par l’eau
Il ne faut pas confondre « engorgement par de l’eau » et « hydromorphie ». L’engorgement correspond à l’occupation de la totalité de la porosité d’un horizon par de l’eau. Lorsqu’il est engorgé, un horizon est à son humidité maximale laquelle dépasse largement sa capacité au champ1. Deux conséquences en découlent :
- la macroporosité de l’horizon est occupée par l’eau qui s’y trouve « libre ». Cette eau est capable de circuler verticalement ou latéralement et rapidement dans le sol, si les conditions s’y prêtent, mais elle peut aussi stagner au contact de couches peu perméables ou imperméables ;
- l’eau occupant la porosité, en chasse l’air : le milieu devient progressivement asphyxiant (hypoxie puis anoxie) et réducteur.
L’engorgement d’un horizon peut être plus ou moins durable. Il peut être temporaire et suivre le rythme des épisodes pluvieux ou être permanent ou quasi permanent. Il peut être facilement constaté directement sur le terrain, en faisant un sondage avec une tarière ou en utilisant un piézomètre.
Dans un horizon ou dans un sol, l’hydromorphie est la manifestation morphologique des engorgements sous la forme de taches, de ségrégations de fer, de colorations ou de décolorations. Ce phénomène résulte de la dynamique du fer et du manganèse (tous deux éléments colorés) en milieu alternativement réducteur (anoxie) puis oxydant (aéré).
Mais on se heurte parfois à une difficulté : un sol peut être engorgé sans montrer de signes d’hydromorphie. Et, inversement, on peut observer des traits d’hydromorphie dans des sols qui ne sont plus engorgés depuis peu (assainis par drainage agricole) ou depuis longtemps. Dit autrement, il peut y avoir disjonction entre morphologie et fonctionnement !
Décolorations et ségrégations de fer au sein d’un même horizon – Traits rédoxiques
Les traits rédoxiques résultent d’engorgements temporaires d’un horizon par l’eau. Cet horizon connaît des alternances de phases d’aération et de phases d’hypoxie voire d’anoxie. Le fer présent dans cet horizon passe par des alternances d’oxydation puis de réduction. À l’état réduit, le fer est soluble et migre sur quelques millimètres ou quelques centimètres puis, quand le milieu est de nouveau aéré, précipite sous formes de petits volumes ou taches rouille, et de nodules ou de films bruns ou noirs… En même temps, les zones appauvries en fer se décolorent et prennent des teintes livides ou blanches (surtout nettes à l’état sec). Ces décolorations et ces ségrégations de fer constituent les traits hydromorphes rédoxiques.
Dans un premier temps, les eaux (de pluie, de débordement de rivières ou de ruissellement) qui pénètrent dans le sol contiennent de l’oxygène. Ces eaux saturent progressivement la porosité accessible de certains horizons. À partir du moment où il n’y a plus d’arrivées d’eau et en conditions de saturation, les micro-organismes aérobies se mettent à consommer le dioxygène ce qui conduit progressivement à l’hypoxie puis à l’anoxie, donc à un milieu réducteur. Cela a un impact sur le degré d’oxydation du fer.
L’apparition de traits hydromorphes se fait en 4 temps :
- Saturation de la porosité par l’eau (= engorgement) suffisamment prolongé ;
- Anoxie plus ou moins sévère car les microorganismes aérobies consomment l’oxygène dissout ;
- Création d’une ambiance réductrice ; les microorganismes anaérobies prennent le relais et consomment un électron du fer – en même temps, les matières organiques peuvent s’accumuler car elles ne sont plus décomposées ;
- Si le sol contient du fer ou du manganèse, ceux-ci sont réduits : Mn4+ → Mn2+ et Fe3+ → Fe2+. Il y a alors apparition de traits rédoxiques.
En absence de fer et de manganèse, les traits rédoxiques ne peuvent pas apparaître, d’où l’existence de sols engorgés non hydromorphes.
État | Mobilité | Stabilité | Couleurs | |
---|---|---|---|---|
Fe2+ | Si dissout | Mobile | Se réoxyde facilement | Incolore |
Fe2+ | Si complexé | Immobile | Stable |
Gris-bleu (si pH acide et fer peu concentré), bleu (si pH peu acide), bleu-vert (si pH basique : vivianite ou sidérite) |
Fe3+ | Complexé | Immobile | Très stable en milieu aéré | Ocre ou rouille (goethite, lépidocrocite) |
Contrairement à une idée très répandue, les traits rédoxiques ne se limitent pas aux taches rouille et aux nodules noirs. Une teinte blanche peut être tout autant un trait rédoxique. C’est parfois le signe d’engorgements intenses et prolongés : tout le fer a été évacué d’un horizon dit « albique » sous des formes dissoutes.
Les traits rédoxiques demeurent bien visibles même en périodes sèches. Mais également, quoiqu’avec des teintes moins vives, quand le sol a été assaini par drainage, voire quand il n’y a plus aucun engorgement à aucune période (hydromorphie fossile). Ils sont reconnaissables en permanence comme étant des traits rédoxiques, ce qui entraîne des difficultés à reconnaître les zones humides fonctionnelles en observant les sols.
Réduction généralisée du fer
Lorsqu’un horizon est engorgé par l’eau de manière permanente ou quasi permanente, le manque d’oxygène génère un milieu réducteur. Le fer, qui est alors à l’état ferreux Fe2+, confère à l’horizon une coloration uniforme verdâtre/bleuâtre qu’il ne faut pas confondre avec la couleur normale de certains matériaux géologiques (marnes vertes ou grises, sédiment glauconieux). Un tel horizon est nommé horizon réductique.
Un sol constitué principalement par des horizons réductiques est nommé réductisol (Figure 7).
Accumulation d’oxydes de fer formant ciment
L’accumulation d’oxydes de fer résulte du processus précédent de mise en solution du fer (en milieu réducteur) et réoxydation donc précipitation après transfert vertical dans le sol (alios de nappe, « grepp ») ou après transfert latéral le long d’un versant.
Le grison
Le grison n’est pas une roche mais un horizon pédologique ferrugineux discontinu, dont la formation est liée à des conditions hydrologiques et pédologiques particulières très localisées. On l’observe en position de bas de versants en bordure de vallons. Il résulte de la précipitation par réoxydation à faible profondeur de fer mis en solution plus haut sur le versant en milieu réducteur. Cet horizon plus ou moins dur peut faire obstacle aux labours et à l’installation de tuyaux de drainage. Le grison étant facile à extraire, ne nécessitant pas l’ouverture d’une carrière, il a été exploité dans le passé comme minerai de fer ou comme pierre dure à bâtir (notamment dans le Perche et le Faux-Perche).
Accumulation de matières organiques non ou peu décomposées
En milieu saturé constamment d’eau, des débris de plantes de marais s’accumulent sans se décomposer et il y a formation de tourbes, lesquelles sont appelées histosols par les pédologues. Les tourbières peuvent être très épaisses (plusieurs mètres) et ont été (et sont encore) exploitées pour le chauffage ou pour l’horticulture.
Après abaissement du niveau de l’eau, les histosols peuvent être cultivés et les matières organiques qui les constituent se décomposent alors progressivement, en conséquence de leur réoxydation à l’air libre. Le sol a alors tendance à s’amincir.
Cryoturbation ou géliturbation
Le processus de cryoturbation (ou géliturbation) correspond à la déformation et aux mélanges d’horizons sous l’effet de successions de gels et de dégels (Figure 8). Actuellement la cryoturbation n’agit qu’en haute montagne ou dans les régions arctiques mais elle a eu un impact fort sur les sols (et les roches sous-jacentes) de la moitié nord de la France au cours des phases froides du Quaternaire.
Conclusion
La plupart des processus présentés ci-dessus ne sont pas spécifiques des climats tempérés. Par exemple les traits hydromorphes liés aux engorgements par l’eau peuvent être observés partout sur notre planète.
Nous présenterons seulement trois cas de processus pédogénétiques très caractéristiques d’autres climats.
Climats désertiques chauds : large dominance de l’évaporation sur les précipitations ; accumulations de gypse sous différentes formes en surface ou en profondeur ; peu d’altérations ; activité biologique très réduite.
Climats équatoriaux et subtropicaux : les sols se sont développés aux dépens de roches magmatiques sur de vieux boucliers (Afrique équatoriale, Amazonie, Indonésie), sur des durées très longues (plusieurs millions d’années). Les processus d’altérations y sont très intenses avec destruction totale de la silice et des silicates et accumulation sur place d’oxydes métalliques principalement de fer et d’aluminium (sols ferrugineux, sols ferrallitiques). Les sols et les altérites1 présentent couramment des épaisseurs supérieures à 10 mètres.
Climats chauds et humides sous mangrove à palétuviers : sous cette végétation particulière, s’accumulent des sortes de boues gorgées d’eau de mer, riches en soufre. Elles deviennent hyper-acides (pH inférieur à 4) dès qu’asséchées par abaissement de la nappe phréatique (« sols sulfatés acides »).
Références
- Gobat J-M, Aragno M. et Matthey W, 2010. Le Sol vivant. Bases de pédologie et de biologie des sols. Presses polytechniques et universitaires romandes, 3e édition, Lausanne. 820 p.
- Les sols et leurs structures – Observations à différentes échelles. 2013 – D. Baize, O. Duval et G. Richard (coord.) Éditions Quae. 264 p.
- Ducommun C., 2019 – Vers une harmonisation de la caractérisation de l’hydromorphie des sols. Webinaire AFES, 12 décembre 2019. https://vimeo.com/379954004
- Baize D. et Ducommun C., 2014 – Reconnaître les sols de zones humides – Difficultés d’application des textes réglementaires. Étude et Gestion des Sols, 21, pp. 85-101.