Un lien inattendu entre les virus et le cerveau.
Notre cerveau est constitué de milliards de neurones qui communiquent entre eux par des connexions appelées synapses. L’apprentissage et la mémoire résultent de modifications de ces connexions de manière dynamique en fonction de l’activité cérébrale, ce qui a pour effet de renforcer certaines synapses et d’en affaiblir d’autres. Ce processus est connu sous le nom de plasticité synaptique1. Les neurones peuvent répondre très rapidement à une stimulation, et certains gènes, appelés « gènes précoces immédiats », sont activés dans les minutes qui suivent la réception d’un signal.
La protéine Arc (Activity-regulated cytoskeleton-associated protein) est codée par l’un de ces gènes précoces immédiats. De nombreuses études ont démontré que cette protéine joue un rôle clé dans la régulation de la plasticité synaptique et la mémorisation à long terme chez les mammifères 2.
La protéine Arc forme des structures semblables à des virus
La protéine dArc1 (entrée PDB 6TAP), un homologue de la protéine Arc des mammifères présent chez les drosophiles, forme des capsides icosaédriques composées d'hexamères (représentés en jaune) et de pentamères (représentés en orange).
Il est intéressant de noter que les scientifiques ont découvert que la protéine Arc présente d’étonnantes similitudes avec certaines protéines rétrovirales. En examinant de près la séquence d’acides aminés de la protéine Arc, ils ont constaté qu’elle comprend un segment similaire à la principale protéine structurelle du VIH, connue sous le nom de Gag. Plus précisément, la protéine Arc comprend un domaine CA qui, dans la protéine Gag du VIH, est responsable de la construction de la capside 1. Des études cellulaires ont montré que la protéine Arc peut former des capsides contenant de l’ARN qui sont libérées des neurones à l’intérieur de vésicules extracellulaires 2. Les chercheurs supposent que ces vésicules extracellulaires contenant la protéine Arc fusionnent avec les cellules voisines et permettent aux neurones de communiquer entre eux et de réguler la plasticité synaptique.
Des études récentes portant sur les homologues de la protéine Arc chez la drosophile (dArc1 et dArc2) ont montré que ces dernières peuvent former des capsides semblables à celles des virus. Les protéines dArc1 et dArc2 forment de petites capsides icosaédriques composées de 30 hexamères et de 12 pentamères 3. La figure 1 représente la capside formée par dArc1 (entrée de la banque de donnée des protéines (PDB) 6TAP). L’extrémité C-terminale de dArc1, chargée positivement et qui n’est pas visible dans la représentation, pourrait se trouver à l’intérieur de la capside et aider à capturer l’ARN de la capside.
Dans l’animation proposée en figure 2, l’ARNm de la protéine Arc (représenté en rose pâle) est transporté à l’intérieur d’une dendrite neuronale, où il est finalement traduit en protéines Arc par les ribosomes. En s’assemblant en capsides icosaédriques à la surface des membranes, la protéine Arc capture les ARNm. La capside formée par les protéines Arc, entourée d’une membrane, est libérée dans l’espace extracellulaire. Des vésicules peuvent également se former à l’intérieur de corps multivésiculaires qui fusionnent ensuite avec la membrane plasmique, libérant ainsi de multiples vésicules extracellulaires contenant la protéine Arc. Cette animation a été créée par Ann Hui Liu en collaboration avec Jason Shepherd (université de l’Utah).
Une histoire commune à la protéine Arc, aux rétrovirus et aux rétrotransposons
Comment un gène du cerveau a-t-il fini par se comporter comme un virus ? Des recherches ont montré qu’il existe un lien évolutif entre la protéine Arc, les rétrovirus et des éléments génétiques semblables à des virus appelés rétrotransposons. Les rétrotransposons sont parfois appelés « gènes sauteurs » car ils peuvent se copier et se coller dans différentes parties du génome. Un type de rétrotransposons, connu sous le nom de rétrotransposons à LTR (long terminal repeat), partage de nombreuses caractéristiques avec des rétrovirus comme le VIH 1. Par exemple, ils comprennent souvent un gène Gag qui code les protéines de la capside. Des recherches récentes ont montré que les transposons à LTR, comme le rétrotransposon Ty3, peuvent également former des capsides icosaédriques composées d’hexamères et de pentamères (représentées sur la figure 3) 2. Cependant, contrairement aux rétrovirus et à la protéine Arc, les rétrotransposons ne peuvent pas quitter leurs cellules hôtes et être transférés dans de nouvelles cellules.
Les scientifiques pensent qu’à un moment donné de l’histoire évolutive des mammifères, un rétrotransposon semblable à un virus a été coopté, ou domestiqué, et a permis une nouvelle fonction – en l’occurrence, réguler un processus complexe dans le cerveau. Il existe un certain nombre d’autres exemples de rétrovirus et de rétrotransposons domestiqués qui jouent un rôle important dans le développement animal, notamment la syncytine, un gène d’origine rétrovirale nécessaire au développement normal du placenta, et les rétrotransposons HeT-A et TART, qui sont nécessaires au maintien de la structure des chromosomes chez la drosophile.
La comparaison des structures de dArc1 (capside représentée à partir de l’entrée PDB 6TAP ; pentamère représenté à partir de l’entrée PDB 6TAR), du rétrovirus VIH (capside représentée à partir de l’entrée PDB 3J3Q ; pentamère représenté à partir de l’entrée PDB 7URN) et du rétrotransposon Ty3 (entrée PDB 6R24). Les pentamères sont représentés en orange et les hexamères en jaune dans la partie supérieure. Dans la partie inférieure, les pentamères sont représentés avec des monomères colorés dans différentes nuances oranges.
La comparaison de la structure d’un pentamère de capside Arc avec celle d’un rétrovirus et d’un rétrotransposon
La protéine Arc, les rétrovirus et les rétrotransposons peuvent tous s’assembler en capsides comprenant des domaines CA qui forment un arrangement de pentamères et d’hexamères. Vous pouvez visualiser les pentamères de dArc1 (représenté sur la figure 4 en orange, entrée PDB 6TAR), du rétrovirus VIH (représenté sur la figure 4 en rouge, entrée PDB 7URN) et du rétrotransposon Ty3 (représenté sur la figure 4 en jaune, entrée PDB 6R24) à l’aide d’un logiciel de visualisation des molécules disponible sur le site PDB-101.
Pour aller plus loin
- Les transposons (ou gènes sauteurs) utilisent des enzymes appelées transposases qui excisent un morceau d’ADN et le déplacent vers un autre endroit. Vous pouvez en apprendre davantage sur les transposases en lisant un ancien article de la molécule du mois : Molecule of the Month : Transposase.
- Vous pouvez retrouver un ancien article de la molécule du mois pour en savoir plus sur la capside du VIH : Molecule of the Month : HIV Capsid.
Ce texte correspond à la traduction par Cédric Bordi de l’article Molecule of the Month : Arc 1 écrit par Janet Iwasa et paru en août 2025 sur le site PDB-101, le portail éducatif de la base de données sur les protéines (PDB). La note de bas de page a été ajoutée par le traducteur.