Parmi les bouleversements induits par les changements globaux, les invasions biologiques figurent en bonne place et la Méditerranée en est un bon exemple. Ce document donne quelques clés pour en comprendre la mécanique, le vocabulaire et les enjeux.
Auteur : Charles-François Boudouresque
Table des matières
- L'exemple de la Méditerranée
- Les perturbations diminuent-elles le nombre des espèces ?
- Les termes liés à la théorie des perturbations
- Bibliographie
1. L’exemple de la Méditerranée
Parmi les bouleversements induits par les changements globaux, les invasions biologiques figurent en bonne place et la Méditerranée en est un bon exemple.
Une espèces est dite « introduite » lorsque l’Homme, volontairement ou non, lui a permis de s’installer dans une région nouvelle, et quelle y est naturalisée, c’est-à-dire qu’elle se reproduit sans l’aide de l’Homme. Elle est qualifiée d’invasive lorsqu’elle nuit aux espèces ou aux écosystèmes en place, lorsque sa présence génère des coûts économiques sérieux ou qu’elle détermine des problèmes de santé humaine.
Un millier d’espèces exotiques sont présentes en Méditerranée, dont plus d’une centaine peuvent être qualifiées d’invasives. La Méditerranée est ainsi la région la plus affectée au monde par ce phénomène. Comment sont-elles arrivées ? Principalement par le canal de Suez, par l’aquaculture d’espèces originaires du Pacifique, transportées sur la coque des bateaux, ou bien en s’évadant d’aquariums.
Les écosystèmes côtiers méditerranéens sont caractérisés par une relative pauvreté en herbivores. Comme en milieu terrestre, la part de la production photosynthétique non consommée par des herbivores s’accumule dans la litière, sous forme de détritus. Elle y est consommée par des détritivores (mangeurs de détritus) et recyclée par des décomposeurs (en particulier des bactéries).
Les invasions on tout bouleversé :
- En Méditerranée orientale, l’arrivée depuis la mer Rouge d’herbivores voraces, dont les poissons-lapins Siganus, qui prolifèrent, provoque un incroyable surpâturage des fonds et a dévié le réseau trophique vers la voir des herbivores et de leurs prédateurs (voir Fig. 1).
- En Méditerranée occidentale, l’arrivée (rejets d’aquariums ou fixés sur la coque des bateaux) de macroalgues puissamment défendues par des toxines, ce qui les rend à peu près inconsommable par les herbivores, a au contraire dévié le réseau trophique vers la voie des détritivores (voir Fig. 1).
Dans les deux cas, les écosystèmes sont complétement transformés. Cet impact est très largement supérieur à celui de la pollution (locale et réversible) ou même (pour le moment) du réchauffement des eaux.
2. Les perturbations diminuent-elles le nombre des espèces ?
L’idée qu’une perturbation « appauvrit » toujours un écosystème, par exemple en diminuant le nombre des espèces, est une notion naïve avancée par les écologistes des années 1960s, progressivement abandonnée, mais qui continue à être propagée par la vulgarisation. Une perturbation peut accroître ou diminuer le nombre des espèces. Beaucoup d’écosystèmes à grande valeur patrimoniale sont pauvres, ou très pauvres, en espèces. L’effet des perturbations est souvent d’accroître le nombre des espèces. Un raccourci délibérément provocateur : la façon la plus simple « d’enrichir » un écosystème est d’y placer une décharge d’ordure ! Pour un écosystème, le « bon » nombre d’espèces n’est ni faible, ni élevé : c’est celui que le milieu naturel et l’évolution ont déterminé.
3. Les termes liés à la théorie des perturbations
Une population, de même qu’un écosystème, fluctue toujours au cours du temps, même en l’absence du changement des forçages environnementaux. Ces fluctuations sont dues à des processus endogènes (i.e. internes), par exemple des propriétés émergentes de la population ou de l’écosystème, comme une succession ou un mécanisme évolutif. On désigne sous le nom de persistance l’amplitude de ces fluctuations d’origine endogène.
La résilience est l’amplitude maximale du forçage environnemental pour laquelle il y a réaction de la population ou de l’écosystème (donc un changement supérieur à la persistance), mais pour laquelle le système n’est pas détruit et est capable de retourner à son état moyen antérieur. Si le forçage environnemental est supérieur à la résilience, l’écosystème est détruit, ou profondément modifié, de telle sorte qu’il est remplacé par un autre écosystème. Les modalités du retour à l’état moyen antérieur, ou à un état alternatif, via une succession d’écosystèmes, sont nommées succession secondaire ou succession primaire.
Dans un écosystème donné, une perturbation est une déviation imprédictible et de durée déterminée d’un forçage environnemental pour lequel il y a une réaction de l’écosystème (ou sa destruction), donc un forçage supérieur à son inertie et/ou à sa résilience. Cette réaction concerne un ingénieur d’écosystème (voir paragraphe suivant), une ou plusieurs espèce(s)-clé (voir paragraphe suivant), une guilde (ensemble d'espèces partageant une même niche écologique) ou un compartiment fonctionnel de l’écosystème.
Un ingénieur d’écosystème est un organisme qui, directement ou indirectement, module la disponibilité des ressources (autres que la ressource qu’il peut constituer lui-même), pour les autres espèces, en provoquant des changements physiques dans le matériel biotique ou abiotique. Une espèce-clé est une espèce qui joue, dans un écosystème, un rôle important, beaucoup plus important que son abondance ne le laisserait présager ; le terme d’espèce-clé de voûte, initialement défini dans un autre contexte, est aujourd’hui utilisé dans le même sens qu’espèce-clé.
Si l’impact d’un forçage ne concerne pas des espèces, ou des groupes d’espèces, qui jouent un rôle important dans le fonctionnement de l’écosystème, il ne peut pas être qualifié de perturbation pour l’écosystème.
4. Bibliographie
- D’après « Les termes liés à la théorie des perturbations ». C.F. Boudoulesque et M.A. Mateo in Pergent et al, 2012. Les herbiers à magnoliophytes de Méditerranée (…) UICN publ, Malaga.