Le chercheur Étienne Danchin, spécialiste de l’écologie comportementale et de la biologie évolutive, propose dans un livre intitulé La Synthèse inclusive de l'évolution une version remaniée de la théorie de l’évolution, tenant compte des découvertes récentes concernant les modifications héritables de l’ADN (l’épigénétique) et la transmission héréditaire de traits par d’autres voies que les mutations ou l’épigénétique (transmission de traits culturels, transmission du microbiote, construction de niche…). L’auteur déploie cette proposition à travers son propre parcours intellectuel et professionnel et à l’aide d’une démarche démonstrative et pédagogique élaborée et rigoureuse, qui paraît souffrir, toutefois, d’un déficit d’attractivité due à une terminologie complexe et peu évocatrice.
Ce livre 1 publié par une grande maison d’édition dont le catalogue s’ouvre à divers chercheurs en biologie et en écologie, intrigue par son titre, avec cet adjectif « inclusif » abondamment utilisé aujourd’hui dans des débats plus sociétaux que scientifiques. Par son sous-titre également – L’Hérédité au-delà du Gène égoïste – qui remet en avant une référence qui paraît d’autant plus dépassée que le contenu du livre, à en croire sa quatrième de couverture, veut justement traiter des résultats nouveaux qui ont largement invalidé la thèse de Richard Dawkins, faisant perdre au gène, à la séquence nucléotidique, son rôle de seul agent causal à considérer pour interpréter les phénomènes évolutifs. La couverture, qui associe un modèle de l’ADN et un oiseau – en l’occurrence une mouette tridactyle, l’un des modèles biologiques étudiés par l’auteur – suggère bien une vision sur plusieurs échelles de la théorie de l’évolution. Pour les évolutionnistes, elle évoque peut-être plus le modèle de spéciation en anneau des goélands, défendu par le zoologue Ernst Mayr – et lui aussi discuté depuis – que les travaux de Dawkins ou de Darwin. Pourtant le contenu de l’ouvrage est bien à la pointe de la recherche actuelle en biologie évolutive, tout en s’efforçant de rester accessible.
Car l’objectif d’Étienne Danchin est ambitieux, puisqu’il s’agit de proposer sinon une « nouvelle » théorie de l’évolution biologique, au moins une importante révision de la Théorie Synthétique forgée vers 1942 par l’articulation de la théorie de Darwin, centrée sur la notion-clé de sélection naturelle, et de la génétique lointainement issue des travaux de Gregor Mendel puis de Thomas Hunt Morgan. Un objectif que poursuivait déjà le paléontologue Stephen Jay Gould (par ailleurs grand adversaire intellectuel de Richard Dawkins) en plaidant pour une « Théorie hiérarchique de l’Évolution » dans son monumental ouvrage-testament La structure de la théorie de l’Évolution (2002 en anglais) 12. Mais É. Danchin ne fait nullement appel, lui, au registre fossile ni à la macroévolution, c'est-à-dire à l’évolution envisagée sur le très long terme. Il se focalise au contraire sur les processus, découverts ou remis en avant ces dernières décennies, par lesquels des caractéristiques sont transmises d’une génération à l’autre sans faire intervenir de modification directe de la séquence nucléotidique de l’ADN. Cette transmission héréditaire, souligne l’auteur, ne perdure que sur un petit nombre de générations, à moins d’être relayée et « pérennisée » par des changements nucléotidiques, des mutations génétiques. Il s’agit donc de microévolution, et d’abord des processus regroupés aujourd’hui sous l’appellation d’épigénétique. Mais É. Danchin y ajoute encore d’autres éléments, d’où son choix de ne pas se contenter de l’adjectif « étendue » (extended synthesis) employée par d’autres évolutionnistes, mais de proposer à la place « inclusive ».
Ce « remaniement » de la théorie de l’évolution a donc d’autres partisans parmi les chercheurs français comme étrangers. On pouvait d’ailleurs déjà en trouver un résumé dans la deuxième édition du Guide critique de l’évolution paru en octobre 2021 3. Elle est également, par certains aspects, le sujet d’un autre livre récemment paru, La symphonie inachevée de Darwin, de l’évolutionniste écossais Kevin L. Laland 4.
Cet ouvrage est aussi un compte-rendu personnel, écrit à la première personne, d’un parcours professionnel et d’un long cheminement intellectuel, dont l’auteur donne, là aussi, une synthèse. Le maître mot de cette réflexion, plus qu’« évolution », est « hérédité », comme le signale nettement le plan détaillé à la fin du volume et résumé ci-dessous à ses principales sections.
Première partie. L’hérédité selon la synthèse moderne de l’évolution
I. Qu’entend-on par hérédité ?
II. Qu’est-ce qu’un gène ?
III. L’hérédité selon la synthèse moderne de l’évolution
Deuxième partie. L’hérédité non génétique
IV. L’énigme de l’hérédité manquante
V. L’épigénétique
VI. Hérédité du comportement parental chez les mammifères
VII. Les effets héréditaires de la pollution
VIII. Conséquences héritables d’un conditionnement aversif
IX. Hérédité de phénotypes parentaux acquis sous l’effet de facteurs environnementaux
X. Hasard et mutation
XI. Hérédité culturelle
Troisième partie. L’hérédité selon la synthèse inclusive de l’évolution
XII. La synthèse moderne de l’évolution n’est pas fausse, elle est incomplète
XIII. Les sources de variation phénotypique
XIV. Vie ↔ mémoire. L’information au cœur du vivant
XV. Les multiples voies de l’hérédité
XVI. Faire évoluer le néodarwinisme pour rajeunir le darwinisme
XVII. La synthèse inclusive de l’évolution : Darwin rencontre Lamarck
Quatrième partie. Qu’est-ce que cela change dans la vie de tous les jours ?
XVIII. L’hérédité inclusive permet de résoudre des énigmes évolutives
XIX. Applications en médecine
XX. Implications potentielles en biologie de la conservation
XXI. Une révolution einsteinienne pour l’évolution
L’évolution, l’hérédité et le concept de gène
Même si elle n’apparaît qu’en sous-titre du livre, c’est bien autour de l’hérédité qu’É. Danchin construit l’essentiel de sa réflexion. Il commence par en avancer une définition, qu’il choisit volontairement très large, comme une « ressemblance parent-enfant ». Pour aller immédiatement plus loin sans alourdir son exposé, une définition plus fine est renvoyée dans le glossaire fourni en fin d’ouvrage. Le terme d’hérédité y est décortiqué comme « les patrons de ressemblance parent-enfant » d’une part, les « mécanismes » sous-jacents à cette ressemblance d’autre part. Le glossaire y ajoute une deuxième entrée, « l’hérédité (au sens inclusif) », qui souligne que l’hérédité « classique » « n’englobe que la ressemblance résultant d’une transmission verticale, c’est-à-dire du parent vers la progéniture et donc entre apparentés », l’hérédité « inclusive » devenant, elle, l’ensemble des « patrons de ressemblance résultant de la transmission d’informations entre individus ». Ces deux définitions de l’hérédité résument finalement tout l’objet du livre, qui est de démontrer la pertinence du passage de la première à la seconde définition.
Pour cela, É. Danchin doit souligner comment l’hérédité est intimement associée à l’évolution, puisque cette dernière vise à expliquer pourquoi les ressemblances entre générations et entre individus ne sont pas strictes et ne se maintiennent pas sur le long terme : « c’est l’hérédité des différences qui conduit les pressions de sélection exercées par l’environnement (qu’elles soient naturelles ou artificielles) à produire l’évolution » (p. 27). Il est donc amené à rappeler succinctement la naissance de la théorie de l’évolution, les différences entre les conceptions de Darwin et de Lamarck et surtout, les changements survenus entre la théorie initiale de Charles Darwin et la Synthèse moderne des années 1940. Il insiste notamment sur deux points :
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la restriction de sens du terme « hérédité », limité par la Synthèse moderne à la transmission « verticale » de caractéristiques, des parents aux enfants, avec en particulier le rejet de « l’hérédité des caractères acquis » souvent attribuée à Lamarck (qui ne reprenait là, en réalité, qu’une idée commune de son époque que Darwin, lui non plus, n’excluait pas). Ce rejet résulte d’abord de la distinction soma-germen proposée par August Weissman (1834-1914), et de son postulat d’une lignée germinale mise à l’abri des effets de l’environnement par une « barrière » qui l’isolerait des avanies subies par le reste du corps (et par l’effacement, au cours de la maturation des gamètes, des marqueurs épigénétiques acquis par l’individu).
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La limitation de la définition du « gène » à une séquence nucléotidique délimitée sur l’ADN, alors que ce mot recouvrait tous les caractères que transmettaient les parents aux enfants avant la description de la structure de l’ADN en 1953 par James Watson (1928-) et Francis Crick (1916-2004) (sur la base des travaux de Rosalind Franklin (1920-1958) et de Raymond Gosling (1926-2015)). Ce sens restreint du mot « gène » est aujourd’hui le seul conservé. Il a conduit à chercher une séquence d’ADN derrière chaque caractéristique individuelle ou chaque pathologie héréditaire. C’est ce sens limité que conçoit le grand public et qui est passé dans le langage commun1.
La volonté de l’auteur d’élargir à nouveau les notions d’hérédité et de gène se heurte ainsi à une difficulté supplémentaire, sémantique : quels mots employer pour retrouver ces notions d’origine maintenant que « gène » et « hérédité » ont évolué vers ces significations réduites ? Il lui faut utiliser d’autres termes ou des expressions dérivées : il forge ainsi l’adjectif « séquencique » pour désigner les gènes au sens actuel, c’est-à-dire les facteurs héréditaires inscrits dans la séquence d’ADN.
Le fil rouge : redéfinir l’hérédité
Prendre en compte l’épigénétique… mais pas seulement
La remise en question de ce qui définit l’hérédité se fonde évidemment sur les recherches de ces dernières décennies qui ont mis en évidence les modifications épigénétiques du génome acquises du vivant d’un individu sous l’effet de facteurs externes (stress, paramètres physiques du milieu). Ces modifications sont susceptibles d’être transmises d’une génération à l’autre, dans certains cas sur plusieurs générations, même une fois les pressions environnementales disparues. Étienne Danchin décrit donc ces travaux et les mécanismes épigénétiques identifiés aujourd’hui, en évoquant en particulier les rôles des modifications post-traductionnelles des histones et des petits ARN, dont il récapitule au passage la diversité : micro-ARN, petits ARN interférents, sncARN (petits ARN non codants), lncARN (longs ARN non codants), etc. Il insiste également sur l’importance d’envisager l’ADN non comme une simple séquence, mais comme une structure à trois et même quatre dimensions en tenant compte de ses changements au cours du temps (par la transcription et les processus épigénétiques). Ce qui l’amène à définir l’épigénétique comme « la science de l’héritabilité de la structure 4D de l’ADN » (p. 89, expression mise en italiques par l’auteur).
Mais É. Danchin ne se limite pas à présenter ces facteurs moléculaires, il passe en revue une pléthore de travaux qui ont identifié des transmissions de caractères acquis par une première génération et retrouvés chez les suivantes : comportements, symbiotes microbiens, dysfonctionnements, susceptibilité à des maladies… Il remet aussi dans leur contexte historique certaines des études pionnières de l’épigénétique, comme l’article de l’équipe de Michael Skinner qui, en 2005, montrait que l’exposition de rates à deux molécules de l’agro-industrie induisait une réduction de la spermatogenèse chez leurs descendants mâles sur au moins quatre générations (p. 106-107). Il détaille encore les expériences qui ont documenté la transmission de comportements induits expérimentalement (le soin des mères à leur progéniture chez la souris), de pathologies (la susceptibilité au diabète chez les descendants de personnes devenues obèses et diabétiques au cours de leur vie) ou de traits culturels développés au sein d’un groupe et diffusés horizontalement – entre individus de la même génération – puis verticalement, entre générations (le lavage de la nourriture avant consommation par des macaques japonais, ou le choix du partenaire mâle par des femelles drosophiles, détaillé par É. Danchin dans cet article 2). À cela s’ajoutent et s’entremêlent encore la transmission du microbiote, de la mère à l’enfant, mais aussi, à une échelle populationnelle voire écosystémique, la transmission intergénérationnelle des modifications apportées par une communauté à son environnement, dans le cadre théorique de la construction de niche : ainsi l’aménagement d’un cours d’eau par une population de castors est, de facto, transmis aux générations suivantes.
Un schéma général complexifié et des propositions d’explications
Le contenu de ce livre est donc vaste, pointu et dense : sa lecture reste néanmoins relativement aisée, d’abord par la rédaction à la première personne, émaillée d’anecdotes personnelles de l’auteur, qui facilitent l’accès aux éléments théoriques plus compliqués. Ensuite par l’exploitation élaborée et soigneusement pensée des figures : si elles sont peu nombreuses, et regroupées en un cahier au milieu du livre, elles sont lisibles et accompagnées d’une légende souvent longue mais très complète. Il s’agit surtout de schémas et notamment d’un schéma du fonctionnement de la transmission d’informations d’une génération à l’autre, qui distingue la lignée germinale d’un côté, le phénotype de l’individu (le soma) et l’environnement de l’autre. L’ingéniosité d’É. Danchin est de réexploiter et de compléter ce schéma au fil de ses explications : partant d’une version très simple qui résume la Théorie Synthétique de l’évolution, où germen et soma sont bien séparés, les caractères héréditaires et leurs modifications (par mutation) ne concernant que la lignée germinale, l’auteur ajoute progressivement des voies de transmission et complexifie ce schéma, étape par étape : influence de l’environnement sur l’expression des gènes parentaux (via des modifications épigénétiques transmises ensuite à la descendance) ; communications soma-germen remettant en question la « barrière de Weissman » (par exemple dans la transmission du diabète acquis, via l’insertion de petits ARN dans les spermatozoïdes du parent malade), etc.
Chaque nouveau mécanisme décrit dans un chapitre est ainsi résumé et modélisé par de nouveaux ajouts au schéma initial. La figure terminale est finalement nettement plus complexe, mais sa construction peut être remontée et revue à l’aide des versions antérieures. Cette progression illustre aussi au passage comment la proposition de « synthèse inclusive » est bien un enrichissement de la théorie initiale, et en rien un renversement ou une réécriture complète3.
Mais É. Danchin ne se limite pas à ajouter des facteurs supplémentaires à prendre en compte pour décrire correctement les ressemblances intergénérationnelles des organismes. Il va plus loin sur deux plans. L’auteur hiérarchise d’abord les différents facteurs qui contribuent à la fitness des organismes en fonction de leur stabilité au fil des générations. La plasticité phénotypique, qui correspond à la réponse directe aux fluctuations rapides de l’environnement, ne se transmet quasiment pas aux générations suivantes. Par contre, les conséquences de la « construction de niche » peuvent bénéficier à plusieurs générations, de même que certaines empreintes épigénétiques parentales, comme l’anxiété induite expérimentalement chez des souris femelles, se répercutent sur plusieurs générations. Les mutations génétiques, elles, sont transmises fidèlement sur un grand nombre de générations et « gravent » une modification du phénotype dans la séquence nucléotidique. Si la plasticité phénotypique permet à l’individu de répondre à une modification transitoire de l’environnement, les mutations de la séquence d’ADN, une fois sélectionnées et fixées dans la population, contribuent, elles, à l’adaptation à des modifications persistantes ou définitives à long terme ; les autres mécanismes détaillés dans l’ouvrage fournissent un lien entre ces deux mécanismes contrôlant l’expression du phénotype.
Pour décrire le lien entre plasticité phénotypique et mutation, l’auteur avance ses explications les plus spéculatives et les plus heuristiques, même si elles se basent toujours sur des résultats récents, quoiqu’encore peu nombreux. Il propose ainsi que les paramètres environnementaux induisent la production, par le système sensoriel de l’organisme, de petits ARN susceptibles d’intégrer les cellules de la lignée germinale et d’affecter le phénotype des descendants en modifiant l’expression des gènes, contribuant ainsi à transmettre une part de la réponse adaptative des parents aux générations suivantes, donc à « préadapter » la progéniture, éventuellement sur plusieurs générations, aux conditions environnementales rencontrées par les parents4 ; mais plus encore, des études suggèrent que les modifications épigénétiques du génome biaisent la probabilité de mutation des zones touchées. Ainsi, selon l’auteur, les modifications épigénétiques induites par les changements environnementaux et transmises sur quelques générations favoriseraient la mutation des zones concernées et faciliteraient alors, si les modifications des conditions environnementales persistent et sélectionnent les individus, la fixation dans le génome des réponses phénotypiques adaptées. É. Danchin baptise ce processus « l’assimilation génétique mutationnelle médiée par l’épigénétique ». Par ce biais, et même si la mutation reste un phénomène aléatoire, la probabilité qu’elle survienne en certains endroits du génome plutôt qu’ailleurs serait augmentée. Via les modifications épigénétiques, la réponse adaptative à long terme à des changements pérennes de l’environnement, par des mutations, serait finalement accélérée et même « canalisée », « orientée », autrement dit plus tout à fait aussi aléatoire – et donc improbable – que ne le supposait la Théorie synthétique classique.
Une théorie remaniée et cohérente… mais en manque d’image
L’extension et la révision de la théorie de l’évolution pour laquelle plaide É. Danchin apparaît finalement mûrement pensée, solidement étayée sur des résultats expérimentaux récents et variés, et féconde de nouvelles perspectives de recherche pour plusieurs disciplines (biologie moléculaire, biologie végétale, écologie comportementale, entre autres). L’auteur défend chaleureusement cette approche pluri et interdisciplinaire (tout en en reconnaissant les difficultés). Toutefois, à la lecture de cet ouvrage, on peut s’interroger sur la capacité de cette proposition à s’imposer dans la sphère académique et, plus encore, à se diffuser au-delà, via l’enseignement et la diffusion des connaissances.
L’obstacle de l’histoire du vocabulaire évolutionniste
En effet, et l’auteur le souligne dès le début du livre, cette « théorie inclusive de l’hérédité » doit déjà s’accommoder des modifications apportées, au cours du temps, au vocabulaire employé par les évolutionnistes : comme déjà dit plus haut, le terme « gène » est pris désormais comme synonyme de « portion de séquence nucléotidique », tant chez les chercheurs que pour le grand public, alors qu’il possédait initialement un sens plus étendu et plus flou. De même le mot d’hérédité n’a-t-il plus le sens large que lui donnait Charles Darwin et ses contemporains, mais s’entend aujourd’hui comme la seule transmission de l’information inscrite sous forme de séquence nucléotidique dans les chromosomes. D’où le recours, faute de mieux, à la nouvelle expression « d’hérédité inclusive » pour, finalement, « revenir » au sens premier « d’hérédité », et au néologisme « séquencique » pour désigner explicitement les caractères héréditaires liés à des modifications de la séquence nucléotidique, à l’exclusion des autres sources de ressemblance intergénérationnelles, que tout l’ouvrage cherche à ramener sur le devant de la scène. Ces compromis lexicaux alourdissent malheureusement le discours et en diminuent la spontanéité et l’accessibilité.
Des formulations nouvelles rigoureuses, mais rebutantes
Outre ces compromis à trouver sur le vocabulaire, le souci de rigueur dans la description et l’explication des phénomènes et des processus décrits contraint l’auteur à des développements longs et minutieux ; et s’il s’efforce d’expliciter pas à pas les graphiques et les schémas qui synthétisent son propos, leur rendu final est complexe et difficilement mémorisable. Une longue légende associée reste indispensable.
De même, É. Danchin propose et défend un mécanisme évolutif nouveau et important, faisant le lien entre épigénétique et génétique, par lequel les modifications épigénétiques faciliteraient l’apparition et la fixation des mutations adaptatives. Mais l’appellation qu’il donne à ce processus, « l’assimilation génétique mutationnelle médiée par l’épigénétique », est certes précise et explicite5 mais seulement intelligible pour un biologiste expérimenté, plus encore si elle se retrouve condensée en un acronyme (AGMME).
Conclusion
Le plaidoyer rigoureux et précis d’É. Danchin pour cette théorie révisée et agrandie paraît donc à même de convaincre les spécialistes, la nécessité « d’étendre » la théorie de l’évolution et d’y (ré)intégrer les processus d’apparence « lamarckiens » de l’épigénétique étant déjà défendue par d’autres chercheurs depuis plusieurs années. Ce livre, synthèse de la carrière et du cheminement de l’auteur, constitue aussi un état des lieux de cette tendance réformatrice, qui s’appuie sur des découvertes nouvelles à des échelles spatiale (les molécules et les cellules) et temporelle (quelques générations) diamétralement opposées à celles que sollicitaient Stephen Jay Gould dans sa propre tentative de rénovation du darwinisme (le temps long de la paléontologie).
Par contre, l’acceptation de cette « synthèse inclusive » au-delà du cercle des spécialistes exigera peut-être d’abord la création de termes et de formules sans doute moins précises mais plus évocatrices, plus à même d’attirer un public plus large, au risque d’être imparfaitement comprises. Les historiens des sciences et de la littérature ont en effet largement documenté combien le succès de la théorie darwinienne et son appropriation par le grand public ont tenu aux « formules chocs » que les darwiniens ont forgé (en dépit des réticences de Darwin lui-même), telles que « la survie du plus apte » ou la « lutte pour l’existence ». De même que l’adjectif provocant d’« égoïste » attribué au gène par Richard Dawkins a assuré le succès de sa théorie, quoi qu’on pense aujourd’hui de sa validité. Bien sûr, la science se doit d’être rigoureuse dans ses formulations et dans ses raisonnements, mais sa diffusion et son assimilation par la société, au-delà du cercle des spécialistes, demande souvent de réduire cette exigence et d’accepter de solliciter non seulement la raison, mais aussi l’imaginaire individuel et collectif (en tombant parfois dans les simples slogans trop réducteurs). Le « succès évolutif » de la Synthèse inclusive demandera peut-être la construction d’une terminologie elle aussi plus « inclusive ».