Les récifs coralliens sont bâtis par accrétion des squelettes calcaires de colonies de polypes. Ces polypes, hétérotrophes, tirent la majorité de leurs apports en matière organique des glucides produits par leurs symbiotes photoautotrophes (des algues unicellulaires de la famille des Symbiodiniaceae). Les coraux s’associent avec des symbiotes précis et de façon pérenne sauf si un stress environnemental vient perturber l’association. Si tel est le cas, une restructuration de la communauté symbiotique peut s’effectuer par remaniement, c’est-à-dire par modification de l’abondance relative des espèces de symbiotes, ou par échanges, avec l’acquisition de nouvelles espèces de symbiotes depuis l’environnement. Néanmoins, si le stress est intense et prolongé (canicule par exemple) les coraux expulsent leurs symbiotes : c’est le blanchiment des coraux. En 2016, un blanchiment massif a touché les récifs de la Grande Barrière de corail. À cause de la combinaison de divers facteurs (réchauffement climatique, El Niño, phénomènes météorologiques locaux), la température des eaux de surface a excédé d’environ 1 °C les normales entre février et avril. Le seuil critique de 3 °C de stress thermique accumulé sur 3 mois a donc été franchi, ce qui a occasionné le blanchiment de 29 % des près de 4000 récifs composant la Grande Barrière de corail et même 90 % de ceux du tiers Nord. Sans cette symbiose, beaucoup de coraux constructeurs de récifs meurent. C’est un problème majeur puisque les récifs coralliens sont des écosystèmes qui abritent une forte biodiversité marine et qui apportent des services écosystémiques considérables : source de nourriture et de revenus pour les populations locales qui pêchent, protection du littoral contre les fortes houles, revenus économiques liés à l’attractivité touristique, réservoir de potentielles substances actives pour les biotechnologies.

Afin d’appréhender les conséquences du réchauffement climatique sur la symbiose corallienne, une équipe australienne a analysé, entre 2003 et 2019, 1643 communautés d’algues de la famille des Symbiodiniaceae, associées à trois espèces de coraux du genre Acropora au niveau de la Grande Barrière de corail 1. Les symbiotes de la famille des Symbiodiniaceae présents dans les coraux appartiennent essentiellement aux genres Cladocopium (sensible aux stress environnementaux) et Durusdinium (tolérant aux stress environnementaux). Les espèces du genre Durusdinium sont globalement minoritaires dans les associations symbiotiques avec les coraux, que ce soit avant ou après le blanchiment massif de 2016 (Figure 1). Chez l’espèce de cnidaire Acropora millepora la prévalence du genre Durusdinium est passée de 27 % avant 2016 à 61 % après 2016 tandis que pour les deux autres espèces de cnidaires étudiées, A. hyacinthus et A. tenuis (renommée A. kenti en 2023), les changements étaient inférieurs à 3 %. Pourtant, les espèces du genre Durusdinium étaient présentes dans l’environnement de ces trois espèces de coraux et étaient donc disponibles pour être absorbées et devenir leur partenaire symbiotique. Ces résultats révèlent que les remaniements et les échanges aboutissant à une plus grande proportion de symbiotes tolérants la chaleur dépendent de l’espèce corallienne considérée et ne sont pas aussi communs qu’espéré parmi l’arbre phylogénétique des coraux.

Abondance de neuf genres d’algues de la famille des Symbiodiniaceae dans des échantillons de trois espèces de coraux (A. hyacinthus, A. millepora et A. tenuis) et dans des sédiments récifaux collectés sur la Grande Barrière de corail avant et après l’épisode de blanchiment massif de 2016

Chaque barre représente un récif. Chacun des neuf genres d’algues est associé à une couleur. Chaque récif a été classé dans l’une des quatre catégories en fonction des observations suite au blanchiment de 2016 :
 - récif ayant subi un fort blanchiment dans un contexte de forte chaleur accumulée ;
 - récif ayant subi un fort blanchiment dans un contexte de faible chaleur accumulée ;
 - récif ayant subi un faible blanchiment dans un contexte de forte chaleur accumulée ;
 - récif ayant subi un faible blanchiment dans un contexte de faible chaleur accumulée.

Auteur(s)/Autrice(s) : Quigley et coll., 2022, traduit et adapté par Alexandra Moderc Licence : CC-BY-NC Source : Science Advances

Par ailleurs, les chercheurs ont quantifié la part respective des remaniements et des échanges de symbiotes à l’échelle des récifs. Les analyses des prélèvements avant et après 2016 montrent que les communautés symbiotiques ont été restructurées à la fois dans l’environnement et dans les coraux. Chez les coraux, ceci s’explique en majorité par le phénomène de remaniement, bien que le phénomène d’échange soit aussi répandu. Ces deux phénomènes impliquent néanmoins des espèces symbiotiques différentes chez les trois espèces du genre Acropora.

L’étude a également porté sur la richesse spécifique, qui correspond au nombre d’espèces identifiées dans un milieu, ainsi que sur la diversité spécifique, qui prend en compte la contribution relative de chaque espèce au nombre total d’individus d’un écosystème. Dans un milieu à faible diversité spécifique, une petite minorité d’espèces représente la quasi-totalité des individus, tandis que dans un milieu à forte diversité spécifique, la contribution de chaque espèce au nombre total d’individus est similaire. Après l’épisode de blanchiment massif de 2016, la richesse spécifique des Symbiodiniaceae a doublé dans l’environnement et la diversité du genre Durusdinium a augmenté. Dans les coraux A. millepora, la richesse spécifique des Symbiodiniaceae a diminué parallèlement à l’augmentation de leur diversité spécifique. Mis en relation avec l’augmentation précédemment évoquée de la prévalence du genre Durusdinium chez A. millepora, cela témoigne que Durusdinium est un « opportuniste » qui, plus compétitif et plus adapté au stress thermique que d’autres symbiotes, peut prendre leur place lors de stress environnementaux répétés. Ces phénomènes à court terme ont aussi été observés pour les récifs caribéens, mais les effets à long terme restent à étudier.

Enfin, selon les communautés symbiotiques en place, la quantité de chaleur nécessaire pour provoquer une même intensité de blanchiment varie. Par exemple les coraux A. tenuis qui n’étaient pas associés à des symbiotes du genre Durusdinium (tolérant la chaleur) ont subi un fort blanchiment alors que la quantité de chaleur accumulée était faible. Pour les coraux ayant subi un faible blanchiment malgré de fortes chaleurs, les communautés symbiotiques étaient très peu variables ce qui suggère des communautés résilientes. Le blanchiment est donc provoqué par la chaleur accumulée dans les eaux de surface, mais il est atténué ou accentué selon les communautés symbiotiques en place chez les coraux.

La connaissance des potentialités de remaniement des communautés symbiotiques chez les différentes espèces de coraux est essentielle pour la conservation des récifs coralliens dans un contexte de réchauffement climatique.