La Grande Barrière de Corail, en Australie, est menacée par le réchauffement climatique.
Les coraux sont sensibles à la température, et l'action conjuguée du réchauffement climatique global et des épisodes El Niño, qui augmentent transitoirement la température des eaux de surface, entraîne un dépassement des capacités d'adaptation des coraux. Depuis fin 2015-début 2016, 93 % des récifs de la Grande Barrière de Corail sont touchés par un épisode massif de blanchissement, phénomène correspondant au départ des microalgues vivant en symbiose avec les coraux, en raison d'une température de l'eau trop élevée.
Si le phénomène peut-être réversible, une atteinte trop grave peut également entraîner la mort des coraux touchés. Les perspectives d'évolution du climat font malheureusement planer la menace d'une disparition d'une partie importante de la Grande Barrière de Corail, d'ici seulement 20 ans.
Introduction
La Grande Barrière de Corail est située au large de l’Australie, le long des côtes du Queensland (nord-est de l’Australie). Elle constitue l’un des écosystèmes les plus riches de la planète en termes de biodiversité. Longue de 2 300 kilomètres, elle est classée au patrimoine mondial de l’humanité.
Hélas, les récifs coralliens sont également des écosystèmes fragiles, et la Grande Barrière de Corail est soumise à de nombreuses pressions : réchauffement climatique, pollution apportée par les fleuves et les eaux de ruissellement, surpêche, développement côtier lié à l’activité humaine, recrudescence des étoiles de mers, en particulier l’acanthaster pourpre (Acanthaster planci), qui sont des prédateurs redoutables. Mais actuellement, le réchauffement climatique constitue clairement le plus grand danger.
Les récifs coralliens
Les récifs coralliens sont des structures sous-marines qui se développent à faible profondeur.
Ces structures sont constituées par des coraux qui, en dépit de leur aspect et de leur immobilité qui pourraient être trompeurs, sont des animaux marins coloniaux de l’embranchement des Cnidaires, vivant en symbiose avec des Zooxanthelles (des microalgues) responsables de leurs couleurs (voir les deux figures ci-dessous).
Les coraux sécrètent un exosquelette composé de carbonate de calcium. En s’accumulant sur des périodes pouvant atteindre plusieurs millions d’années, ces exosquelettes construisent les récifs.
Les récifs, en proposant de nombreuses niches écologiques, abritent également des milliers d’autres espèces animales (en particulier de mollusques, crustacés et poissons, voir figure ci-dessous), végétales mais aussi bactériennes, ce qui en fait l’un des écosystèmes les plus riches de la planète, avec les forêts tropicales. On estime ainsi qu’environ 30 % de la biodiversité marine actuellement répertoriée se trouve dans des récifs.
Effets du réchauffement climatique sur les récifs coralliens
Les récifs coralliens sont sensibles à la température de l’eau. Leur vie n’est possible que dans une fourchette de températures relativement étroite. Lorsque la température de l’eau augmente au-delà d’une valeur seuil, le corail subit un stress et expulse les microalgues symbiotes. Cette réaction peut se produire pour un dépassement de seulement 1 °C de la température seuil durant quelques semaines. Les algues possédant des pigments photosynthétiques, leur départ est aisément identifiable puisqu’il a pour conséquence une dépigmentation du corail : on parle de blanchissement (voir figure ci-dessous). Ce phénomène peut rapidement entraîner une forte mortalité du corail, même si le blanchissement peut également être réversible (restauration de la symbiose).
État actuel de la Grande Barrière de Corail
Le réchauffement climatique actuel a pour principales conséquences une augmentation de la température moyenne du globe, ainsi que la recrudescence d’évènements climatiques extrêmes. À cette tendance globale s’ajoutent des variations de la température à court terme, et l’on citera en particulier le phénomène El Niño qui revient périodiquement tous les 2 à 7 ans pour une durée de 6 à 18 mois. Ce phénomène, connu depuis longtemps, est une anomalie positive de la température de surface d’une large zone du Pacifique équatorial allant du centre du Pacifique jusqu’aux côtes du Pérou et de l’Équateur. Elle entraîne différentes perturbations du climat à grande échelle, surtout le long de la ceinture équatoriale (en particulier en Australie, Asie du Sud-Est, Inde, Amérique Centrale, Amérique du Sud, Afrique de l’Est, etc.), mais également en Amérique du Nord, y compris jusqu’au Canada et en Alaska. L’Europe est beaucoup moins affectée.
Or nous sommes actuellement dans une phase de survenue du phénomène El Niño, qui a débuté vers le printemps 2015, et l’épisode actuel est particulièrement important. Il est ainsi déjà établi que 2015 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée à l’échelle mondiale.
Dès lors, on imagine aisément que la conjugaison du réchauffement climatique global et du phénomène El Niño actuel peut avoir des répercussions sur les récifs coralliens.
De fait, des chercheurs Australiens travaillant à l’ARC Centre of Excellence for Coral Reef Studies ont révélé, dans une communication [1], que 93 % de la Grande Barrière de Corail sont affectés par le blanchissement (voir figure ci-dessous). Évidemment, cette atteinte présente des degrés divers (sévère, modérée ou légère) selon les zones étudiées. Les atteintes modérées et légères permettent d’envisager un retour rapide à la normale, mais les atteintes sévères font courir un risque de mortalité beaucoup plus important au corail atteint.
Dans le secteur Sud de la Grande Barrière de Corail, le moins touché, seulement 1 % des récifs surveillés est affecté par un blanchissement sévère, contre 25 % qui ne le sont pas du tout. Mais dans le secteur Nord, le plus touché, 81 % des récifs surveillés sont affectés par un blanchissement sévère (et seulement moins de 1 % ne le sont pas). Le secteur central présente un état intermédiaire avec 33 % d’atteinte sévère (et 10 % non touchés). La figure ci-dessous fournit davantage de précisions.
La sévérité de l’atteinte de la partie Nord s’explique par l’anomalie positive de température des eaux de surface particulièrement importante dans cette zone (entre + 1 et + 2,7 °C par rapport à la normale). Cette zone de la Grande Barrière de Corail était jusqu’à présent la plus épargnée du fait d’une moindre pression d’origine anthropique (pollution d’origine agricole, pêche, activité portuaire).
À ce jour, trois épisodes de blanchissement importants ont été constatés : en 1998, en 2002 et le troisième, toujours en cours, en 2016. Chacun de ces évènements est survenu lors d’un épisode El Niño. Pourtant, avant 1998, il n’a pas été constaté de blanchissement d’une telle ampleur, même lors des années présentant un épisode El Niño.
Cependant, la température moyenne ne cessant d’augmenter, une anomalie positive qui pouvait être sans conséquence il y a plus de 20 ans peut désormais entraîner un dépassement des capacités d’adaptation à la chaleur de l’ensemble symbiotique coraux-zooxanthelles, surtout lors d’un épisode El Niño important comme c’est le cas cette année. Ceci pourrait expliquer que l’épisode actuel de blanchissement soit le plus grave jamais observé.
Dans ce contexte, l’ARCCSS (Australian Research Council's Centre of Excellence for Climate System Science) a publié le 29 avril 2016 un communiqué estimant que l’anomalie de température à l’origine de l’épisode de blanchissement en cours pourrait devenir la norme d’ici à 2034, du fait du réchauffement climatique, si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter [2].
Or le professeur Hoegh-Guldberg a déclaré que « les récifs nécessitent environ 15 ans pour se régénérer complètement après un épisode de blanchissement de cette importance », ajoutant « le taux de régénération est dépassé pas des épisodes plus fréquents et plus sévères de blanchissement de masse ». Les scientifiques qui ont réalisé cette étude estiment donc que si rien n’est fait, une grande partie de la Grande Barrière de Corail pourrait avoir disparu d’ici le milieu des années 2030.
Conclusion
La Grande Barrière de Corail est le plus grand ensemble corallien au monde. Elle est, de ce fait, devenue le symbole mondialement connu de cet écosystème. Tout ce qui affecte cette merveille de la nature trouve donc un écho particulier.
En 1999 le professeur Hoegh-Guldberg avait publié une étude avertissant du danger pesant sur les formations récifales tropicales en raison du réchauffement climatique [3]. Cette étude, publiée peu de temps après l’épisode de blanchissement massif de la Grande Barrière de Corail de 1998, avait suscité la controverse. Or, force est de constater que ces prévisions semblent se réaliser.
La Grande Barrière de Corail subit actuellement un épisode de blanchissement d’une ampleur inédite due à une température des eaux de surface particulièrement élevée, comparée à la normale. Les capacités d’adaptation des coraux sont visiblement dépassées, et une partie des coraux les plus touchés est déjà en train de mourir.
Les nouvelles prévisions des climatologues prévoient que si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, des anomalies positives de température de cette ampleur devraient devenir courantes. Un tel scénario entraînerait la disparition d’une part importante de la Grande Barrière de Corail d’ici 20 ans. Il semble bien que le seul moyen d’éviter un tel désastre soit de lutter contre le réchauffement climatique, sujet qui a été au centre des discussions de la COP21 qui s’est tenue à Paris en 2015. Mais étant donné l’inertie importante qui existe dans ce domaine entre les prises de décisions et les résultats concrets sur le climat mondial, les récifs coralliens, en général, et la Grande Barrière de Corail, en particulier, risquent de subir de fortes dégradations dans les décennies à venir. Les conséquences pour toutes les espèces liées à cet écosystème seraient également très importantes, y compris pour l’espèce humaine, à travers les pertes écologiques, les pertes économiques, et de manière moins quantifiable, la perte d’un « patrimoine mondial de l’humanité ».