Éléments constitutifs d’un agrosystème

Un agrosystème est avant tout un système. C’est-à-dire un ensemble d’éléments liés entre eux par des interactions. On peut appliquer la notion d’agrosystème à une parcelle agricole ou à une exploitation agricole complète. Comme pour un écosystème spontané (ne subissant pas les interventions humaines), un agrosystème va être constitué :

  • d’un ensemble d’êtres vivants (la biocénose) : certains choisis par l’agriculteur (les plantes cultivées, les animaux élevés), d’autres spontanés (lombrics, pollinisateurs, bioagresseurs1) ;
  • d’un ensemble de facteurs physico-chimiques (ou abiotiques, constituant le biotope) : le climat et le sol2 (facteurs pédoclimatiques) qui peuvent être plus ou moins modifiés par les interventions humaines (amendements3, engrais, irrigation, cultures et élevages dans des bâtiments).

L’humain joue dans les agrosystèmes un rôle particulier, à la fois comme gestionnaire (il agit sur les caractéristiques de l’agrosystème) et comme exploitant (il tire profit de la biomasse).

La diversité des agrosystèmes reflète la diversité des productions possibles

La gestion d’un agrosystème dépend d’abord de la biomasse que l’agriculteur souhaite récolter. Autrement dit, sur une surface agricole donnée, pour un climat donné, l’agriculteur pourra choisir d’orienter son activité vers différents types de production. En France, un peu plus de la moitié (54 % en 2014) de la surface du pays est consacrée à l’agriculture. Les deux tiers de cette surface sont cultivés alors qu’un tiers est constitué de prairies permanentes (utilisées pour le pâturage ou la production de foin).

Répartition de la surface des exploitations agricoles par type de production

D’après données Agreste, 2019.

Auteur(s)/Autrice(s) : Samuel Rebulard Licence : CC-BY-NC-ND

Les surfaces cultivées sont essentiellement utilisées pour des cultures annuelles qui peuvent être des grandes cultures (céréales, oléagineux, betterave à sucre, pommes de terre, etc.) destinées à la consommation humaine ou des cultures fourragères. Les cultures permanentes (vergers, vigne) sont nettement minoritaires puisqu’elles n’occupent que 4 % de la surface cultivée (Figure 1). Toutes les productions agricoles ne sont pas alimentaires. Certaines plantes sont cultivées pour leur usage industriel : le peuplier pour le papier, le chanvre pour le textile et le papier, le coton (en zone tropicale) pour le textile, le maïs, la betterave et la canne à sucre pour les agrocarburants, les plantes médicinales pour en extraire des molécules pharmaceutiques actives, etc.

Cette répartition, fruit d’une spécialisation des surfaces agricoles au cours du XXe siècle, ne fait pas apparaître des surfaces, certes minoritaires, qui cumulent des cultures principales et des cultures secondaires mélangeant ainsi différents types de production : vigne + verger, verger + culture annuelle, etc. Notons cependant que ces surfaces à la production diversifiée présentent des caractéristiques tout à fait intéressantes aussi bien sur le plan de l’organisation du travail agricole (complémentarité selon les saisons), de la résilience économique (réduction des risques liés à la forte spécialisation) que du point de vue des conséquences environnementales (synergies et complémentarités entre les productions, création d’habitat pour la biodiversité spontanée).

On constate qu’une partie des surfaces agricoles (surface toujours en herbe, fourrages divers, une partie de la production des céréales) est destinée à l’alimentation des animaux d’élevage. Ces agrosystèmes reposent sur une importante production de biomasse végétale qui peut être produite sur l’exploitation ou achetée à des fournisseurs extérieurs. Dans ce cas, la production des aliments est le plus souvent réalisée sur des surfaces agricoles lointaines (cas du soja produit majoritairement sur le continent américain).

Un agrosystème est un écosystème particulier

Les agrosystèmes ne sont pas les seuls écosystèmes à produire de la nourriture. La pêche exploite la biocénose des océans par exemple. Et si la cueillette en milieu naturel contribue marginalement à l’alimentation en France (champignons, mûres, châtaignes, etc.), elle peut couvrir une part non négligeable des besoins alimentaires dans certaines régions du monde (Figure 2).

Aliments forestiers prélevés par la cueillette et la chasse dans les forêts du Cameroun.
Espèce ou aliment Usage
Mange sauvage (Irvingia gabonensis) La pulpe du fruit est consommée fraîche. Les amandes sont écrasées pour former une pâte commercialisée et exportée.
Igname sauvage (Dioscorea sp.) Les tubercules sont recherchés par les Pygmées qui les consomment comme complément dans plusieurs de leurs plats.
Poivre sauvage (Piper guinensis) Les fruits sont utilisés comme condiment (grains de poivre).
Gnetum africanum Les feuilles de gnetum sont un mets apprécié, à haute valeur nutritive. Elles sont consommées hâchées en grande quantité dans les pays d’Afrique équatoriale. Elles font l’objet d’un commerce local important.
Corossol sauvage (Annonidium manil) Fruit proche du corossol (ou anone) cultivé dont la pulpe est consommée fraîche.
« Noisette » (Coula edulis) Fruit à coque dont l’amande, au goût et à l’apparence de noisette, peut être consommée crue ou cuite.
Cola amer (bitta cola) (Garcinia kola) Les graines de cette plante sont mâchées et consommées comme excitant ou aphrodisiaque.
Champignons Plusieurs espèces apparaissant au début de la saison des pluies sont consommées localement. La plupart de ces champignons se développent sur les bois morts ou sur les termitières. Ce sont des aliments prestigieux avec des recettes propres à chaque région.
Larves de hannetons, criquets et sauterelles, etc. Les larves de hannetons (toute l’année), les criquets et sauterelles (saison sèche) sont communément appréciés en ville comme en zone rurale. On le trouve facilement sur les marchés.
Antilope forestière (céphalophe), singe moustac, toucans, loutre à joues bleues, etc. Plusieurs dizaines d’espèces de mammifères, d’oiseaux et de lézards sont chassées et consommées comme viande de brousse.
Poissons des marécages et cours d’eau forestiers Beaucoup d’espèces sont pêchées, appartenant à plus d’une dizaine de genres différents.

Source : Le défi alimentaire, S. Rebulard, Belin Éducation, 2018.

Un agrosystème terrestre présente des points communs avec un écosystème spontané de type prairie ou forêt. En effet, la biomasse végétale est produite par des organismes photosynthétiques (les plantes cultivées) à partir du dioxyde de carbone atmosphérique, de la lumière solaire ainsi que de l’eau et des ions puisés dans le sol. Cette biomasse végétale constitue l’essentiel de la biomasse. C’est vrai aussi dans un élevage où il faut tenir compte de l’alimentation des animaux, elle-même végétale. Enfin, troisième point commun, la rythmicité saisonnière des facteurs abiotiques (climat, durée du jour) impose une rythmicité de la production de biomasse.

Au contraire d’un écosystème spontané un agrosystème a une finalité principale : la production de biomasse à usage des humains (alimentation notamment). Pour maximiser la production de cette biomasse par unité de surface (ce que l’on appelle le rendement agricole), l’agriculteur va agir sur les éléments constitutifs de l’agrosystème : les facteurs biotiques et abiotiques, les flux de matières et d’énergie.

La maîtrise des paramètres abiotiques est favorisée par les progrès techniques

Pendant longtemps, le principal paramètre physico-chimique contrôlé par les paysans concernait l’eau. On observe d’ailleurs une grande diversité dans les systèmes d’irrigation connus depuis le Néolithique. Néanmoins, on peut noter d’autres actions visant à modifier le biotope agricole. C’est le cas de la réalisation de haies limitant les effets négatifs du vent et des intempéries et créant un microclimat favorable aux cultures1 (Figure 3). C’est le cas également, de l’assèchement des marécages ou des amendements par ajout de chaux (réduction de l’acidité du sol) visant à améliorer la fertilité du sol.

Vaches Montbéliarde en Bourgogne

En plantant des arbres dans les parcelles agricoles, les humains modifient le microclimat local. Ici les vaches apprécient l’ombre du noyer un jour de juillet.

Auteur(s)/Autrice(s) : Samuel Rebulard Licence : CC-BY-NC-ND

Depuis le XIXe siècle, les connaissances scientifiques et le progrès technique ont permis de maîtriser la totalité des paramètres physico-chimiques s’appliquant aux agrosystèmes. Bien sûr, pour les cultures ou les élevages en plein air, la maîtrise de ces facteurs physico-chimiques reste limitée. Il s’agit le plus souvent de l’apport en nutriments (engrais de synthèse) et de l’apport en eau.

En revanche, pour les cultures ou les élevages dans des bâtiments, d’autres facteurs physico-chimiques peuvent être plus ou moins aisément contrôlés. Le principe des serres, connu depuis les orangeries de la Renaissance, a été progressivement généralisé pour certaines cultures à partir du XIXe siècle. Il est désormais possible d’y contrôler la température, la teneur en dioxyde de carbone (lorsque cette teneur augmente, l’activité photosynthétique des plantes augmente), le taux d’hygrométrie, les solutions nutritives apportées aux plantes cultivées hors-sol, etc. Des lampes d’appoint peuvent également modifier la photopériode de façon à favoriser des productions d’hiver (pour les tomates par exemple). La production sous serre est aujourd’hui le mode de production dominant pour certaines cultures comme les fraises ou les tomates (Figure 4). Cette maîtrise est poussée à son maximum dans les productions urbaines qui se sont développées au Japon depuis l’accident nucléaire de Fukushima dans des bâtiments aseptisés totalement isolés de l’extérieur, ou même la lumière du Soleil est remplacée par des éclairages électriques. Compte-tenu des lourds investissements techniques, ce type de productions est bien évidemment réservée à des produits à forte valeur ajoutée (salades, plantes aromatiques par exemple).

Surface française de production de fruits et légumes en fonction du mode de production

Source : S. Rebulard, Le Défi Alimentaire, d’après Agreste Primeur n°173, janvier 2006.

Auteur(s)/Autrice(s) : Samuel Rebulard Licence : Reproduit avec autorisation

La biocénose de l’agrosystème est le cœur de l’activité agricole

Une grande partie du travail de l’agriculture consiste à choisir les espèces que l’on cultive ou que l’on élève et à les protéger (des bioagresseurs notamment). Les pratiques agricoles sont dédiées à ce pilotage de la biocénose des agrosystèmes :

  • le cycle de vie des êtres vivants choisis (cultivés ou élevés) y est suivi et contrôlé pour optimiser la production de biomasse : date de semis, date de taille des arbres, date de fécondation des animaux, etc.
  • la biodiversité présente est utilitaire : soit les organismes fournissent la biomasse utile (grains des céréales, lait des vaches, etc.), soit ils favorisent la production de biomasse utile (plantes fourragères, fixatrices d’azote ou abritant des auxiliaires par exemple)
  • la biodiversité altérant la production (parasites, compétiteurs, phytophages des espèces de production) fait l’objet d’une lutte plus ou moins ciblée (protection des plantes cultivées et des animaux élevés)

L’agrosystème est soumis à une grande diversité d’interactions biotiques.

Les interactions biotiques sont généralement classées en fonction des bénéfices ou désavantages retirés par les espèces partenaires de l’interaction. On distingue ainsi des interactions négatives pour les deux partenaires (compétition entre une culture et une plante adventice par exemple), négatives pour l’un des partenaires et positives pour l’autre (champignon attaquant une culture, chenilles se nourrissant d’un fruit) ou encore à bénéfice mutuel (mutualisme entre les pollinisateurs et les plantes, symbiose entre les champignons du sol et la plupart des plantes).

Influence du travail du sol et de la fertilisation azotée sur le taux de mycorhization des racines de blé

Le taux de colonisation racinaire des racines de blé (variété Expert) par des champignons mycorhiziens gloméromycètes est mesuré dans quatre conditions.
SD sans N : semis direct sur sol sans azote appliqué depuis 6 ans.
SD avec N : semis direct sur sol avec azote appliqué depuis 6 ans.
Labour sans N : labour + herse rotative sur sol sans sans azote appliqué depuis 6 ans.
Labour avec N : labour + herse rotative sur sol avec sans azote appliqué depuis 6 ans.
D'après TCS n°94, septembre-octobre 2017

Auteur(s)/Autrice(s) : Pascal Combemorel Licence : CC-BY

Les organismes spontanés (non choisis) dans l’agrosystème ont dans leur grande majorité été vu comme des ennemis des cultures jusque récemment. Les abeilles, les lombrics ou les coccinelles étant une exception notable. Le développement de l’agronomie au cours du XXe siècle s’est attaché à réduire la biodiversité spontanée des espaces agricoles pour favoriser la présence des seules espèces choisies (cultures). La lutte chimique qui prend son essor dans l’après-guerre a reposé sur la fourniture d’une large gamme de molécules biocides (environ 400 autorisées à ce jour en France) et a contribué à simplifier efficacement la biodiversité au champ. De même, l’arrachage des haies et le rebouchage des fossés, considérés comme des réservoirs de bioagresseurs des cultures, a supprimé sans discernement des habitats pour les espèces vivant dans les zones rurales. Les progrès du machinisme agricole ont permis un travail du sol (labour notamment) plus fréquent visant à réduire le développement des adventices mais aux conséquences délétères sur les organismes du sol (Figures 5 et 6).

Trois types de luttes contre les adventices applicables en grandes cultures
Pratique Type de lutte Avantages Inconvénients
Labour Physique Efficace, simple à mettre en œuvre, utilisable en agriculture biologique Coût, altération de la qualité des sols (vie du sol, déstructuration, risque d’érosion, etc.)
Glyphosate (herbicide total) Chimique Efficace, simple à mettre en œuvre Altération de la vie du sol, pollution des eaux
Couverture des sols + rotations des cultures Agronomique Efficacité variable, favorise la faune du sol et le stockage de carbone (absence de travail du sol) Grande maîtrise technique nécessaire pour la mise en œuvre, nécessite parfois des actions complémentaires (lutte chimique)

Aujourd’hui, on sait que cette simplification biologique excessive pose question non seulement sur le plan environnemental mais sur la pertinence agronomique des pratiques. Les lombrics augmentent la fertilité d’un facteur moyen de 25 % [Van Groenigen et coll., 2014], les champignons mycorhiziens améliorent la nutrition des plantes cultivées, les pollinisateurs augmentent la production de fruits et graines et un très grand nombre d’espèces (carabes, syrphes, oiseaux insectivores, rapaces nocturnes) jouent le rôle d’auxiliaires agricoles en s’attaquant aux ennemis des cultures.

Effet de différents types de travail du sol sur l’abondance et la biomasse des vers de terre

Les valeurs sont données en pourcentage du témoin, représenté par le labour conventionnel, qui correspond à l’enfouissement par une charrue des résidus végétaux à une profondeur de 20 à 40 cm. Pour chaque type de traitement, le carré représente la moyenne et les barres les intervalles de confiance à 95 %.
Pas de labour : pas de travail du sol excepté éventuellement de petits trous faits pour planter les graines.
Agriculture de conservation : pas de travail du sol et une couverture permanente du sol (par les résidus des cultures précédentes ou par du paillage).
Ameublissement de surface : travail du sol sur moins de 15 cm de profondeur, sans retourner la terre.
Décompactage superficiel : travail sur sol sur plus de 15 cm de profondeur, sans retourner la terre.
Travail du sol simplifié : travail du sol moins de 15 cm de profondeur, en retournant la terre.

Auteur(s)/Autrice(s) : Pascal Combemorel, d'après Briones et Schmidt, 2017 Licence : CC-BY Source : Global Change Biology

Les flux de matière et d’énergie sont modifiés par l’action agricole

Lors de la formation de biomasse par la photosynthèse, les plantes agricoles captent du carbone dans l’atmosphère (dont une partie sera restituée à l’atmosphère par la respiration), mais elles vont aussi se procurer les autres éléments nécessaires dans le sol : azote (constitution des protéines, des acides nucléiques, de la chlorophylle), phosphore (nucléotides, métabolites divers), soufre (protéines, coenzymes), etc. En conséquence, au moment de la récolte, l’agriculteur en sortant la biomasse de l’agrosystème (pour la vendre ou la consommer) exporte une partie de la matière que la plante a prélevée dans le sol.

Rendement d'une culture de blé et reliquat d'azote selon les apports

Les reliquats d'azote sont faibles tant que les apports permettent une augmentation de la production. Au-delà d'un certain seuil, l'azote n'est plus absorbé par la plante et reste dans le sol. Dans beaucoup de régions en France l’apport d’azote est limité autour de 150 kg/ha.
Source : Le défi alimentaire, Samuel Rebulard, Belin Éducation, 2018.

Auteur(s)/Autrice(s) : Samuel Rebulard, modifié d'après Dominique Soltner, Les bases de la production végétale, 2001 Licence : Reproduit avec autorisation

Il est nécessaire, pour maintenir une nutrition correcte des plantes, de renouveler ces éléments nutritifs, ce que les agriculteurs font depuis toujours par l’apport d’engrais (organique ou de synthèse depuis le début du XXe siècle). En allant plus loin que la seule compensation, l’apport d’engrais peut également contribuer à augmenter la production de biomasse. Jusqu’à une limite au-delà de laquelle les excès d’éléments nutritifs ne sont plus utilisés par les plantes (on parle de reliquats) et peuvent quitter la parcelle agricole par infiltration ou ruissellement, générant ainsi des pollutions (Figure 8).

Comparaison des pyramides trophiques et des flux de matière dans un agrosystème « champ de blé » et un écosystème « prairie » en l’absence de pâturage

Source : Le défi alimentaire, Samuel Rebulard, Belin Éducation, 2018

Auteur(s)/Autrice(s) : Samuel Rebulard Licence : Reproduit avec autorisation

D’autres flux de matière sous forme d’intrants s’ajoutent aux engrais dans les agrosystèmes :

  • les apports en eau (principalement pour le maïs et les cultures légumières en France métropolitaine) ;
  • les produits phytosanitaires qui, comparativement à la biomasse produite, représentent de faibles quantités de matière, mais sont employés pour leur effet biocide. Les molécules actives, selon les cas, sont absorbées ou non par la plante et peuvent persister dans les sols ou au contraire y être dégradées.

Concernant les flux d’énergie, la principale source reste bien sûr l’énergie solaire qui est convertie par les plantes en énergie chimique contenue dans les molécules organiques produites par photosynthèse. Notons, à ce titre, qu’une exportation de biomasse est aussi une exportation d’énergie solaire destinée à devenir une énergie alimentaire (Figure 10). Cette dernière sera utilisée par les humains ou les animaux d’élevage par le métabolisme respiratoire. Par ailleurs, le maintien des caractéristiques de l’agrosystème (aussi bien les facteurs physico-chimiques que biotiques) nécessite un apport constant d’énergie de la part des agriculteurs (semis, récolte, etc). Cette énergie était autrefois apportée principalement sous forme musculaire (humains, animaux de travail), et avait donc une origine alimentaire (donc solaire). Aujourd’hui, l’essentiel de l’énergie est apportée par les combustibles fossiles (utilisés par les machines agricoles ou pour le chauffage des serres par exemple) et l’électricité1 (pompes d’irrigation par exemple). Lorsque l’énergie utilisée dans l’agrosystème provient de combustibles fossiles, il s’agit donc toujours d’énergie solaire, mais emmagasinée sous forme d’énergie chimique par la photosynthèse d’organismes ayant vécu il y a des millions d’années. Ces ressources sont limitées car l’utilisation de ces combustibles est plus rapide que leur formation.

Comparaison de la production de biomasse annuelle par hectare de quelques agrosystèmes (valeurs moyennes pour la France en 2018)
Agrosystème Production Biomasse produite (t/an/ha) Énergie alimentaire produite (GJ/ha/an)
Grandes cultures Blé tendre d’hiver 7,0 107
Grandes cultures Maïs grain 9,2 41
Grandes cultures Tournesol 2,3 62
Cultures industrielles Betterave sucrière 81,6 220 2
Pommes de terre Pommes de terre 40,4 42
Cultures légumières Laitue 26 8
Cultures légumières Tomate 124 10
Cultures fruitières Pomme de table 38,4 29

S. Rebulard d’après données Agreste, 2019 et Ciqual, 2019

Rendement agricole et rendement écologique abordent différemment la performance agricole

Pour mesurer la performance agronomique d’une activité agricole, le premier critère utilisé est le plus souvent le rendement agricole. Celui-ci correspond à une biomasse produite et récoltée annuellement par unité de surface. Cette biomasse récoltée ne correspond pas à l’ensemble de la production primaire produite sur la parcelle. En effet, il est rare que les plantes entières soient récoltées, seuls les organes d’intérêt (grains des céréales, tubercules des pommes de terre, etc.) sont collectés et exportés. Subsiste alors au champ le reste de la biomasse produite dans l’année : feuilles, tiges, racines, etc.

L’évaluation de la performance écologique de l’agrosystème peut être réalisée grâce à la notion de rendement écologique, c’est-à-dire le rapport entre l’énergie reçue et l’énergie récoltée. Une parcelle agricole reçoit une énergie solaire d’environ 38 000 GJ/ha/an. On peut comparer cette énergie reçue avec l’énergie collectée sous forme de biomasse lors de la récolte (Figure 10). On constate ainsi que, pour la moyenne française, une culture de blé tendre à un rendement écologique de 107/38 000 soit 0,28 %. Ce qui est l’un des rendements écologiques les plus importants parmi les cultures métropolitaines.

Cette notion de rendement écologique peut également être appliquée à l’élevage, les calculs sont alors un peu plus compliqués et nécessitent d’évaluer, sur la durée de vie de l’animal, la quantité d’énergie pouvant être récupérée par les humains sous forme de biomasse. Dans le cas d’un élevage laitier cette biomasse alimentaire correspond au lait et à la viande, soit 9 GJ/ha/an (Figure 11). Le rendement écologique est alors de 9/38 000 soit 0,02 %. On constate un rapport de un à dix par rapport à l’agrosystème « blé tendre » qui s’explique par la position trophique de la vache : il s’agit d’un consommateur primaire qui doit être nourri de biomasse végétale. Il y a alors des pertes (notamment dues à la respiration de l’animal) entre les deux niveaux trophiques.

Ces exemples permettent de chiffrer une notion bien connue : sur une surface donnée, il est possible de produire de plus grandes quantités d’énergie alimentaire sous forme végétale que sous forme animale.

Bilan énergétique dans un agrosystème vache sur prairie

Dans cet exemple, seuls 14 % (9/63 soit un coefficient énergie fournie/énergie produite de 7) de l'énergie ingérée par l'alimentation aboutissent à une production alimentaire (viande ou lait). Remarquons qu'une part importante de l'énergie ingérée, 27 % (17/63) reste dans l'agrosystème et alimente la vie dans le sol. Les valeurs indicatives sont des moyennes annuelles pour une vache laitière de 500 kg abattue à 6 ans, élevée sur un hectare pendant un an, dont la viande représente 36 % du poids vif (MS : matière sèche).
Source : Le défi alimentaire, Samuel Rebulard, Belin Éducation, 2018

Auteur(s)/Autrice(s) : Samuel Rebulard Licence : Reproduit avec autorisation

Les leviers pour augmenter quantitativement la production

Depuis toujours, l’activité agricole est guidée par un objectif principal : l’augmentation de la production de biomasse que l’on mesure par le rendement agricole. Cette augmentation quantitative a été accélérée au cours du XXe siècle (Figure 12) grâce à plusieurs leviers technologiques :

  • l’amélioration des plantes qui a permis la sélection génétique de variétés à haut rendement (par la sélection de gènes de nanisme chez les céréales par exemple) ;
  • l’utilisation systématique d’engrais de synthèse, fournissant des formes minérales des nutriments facilement utilisables par les plantes ;
  • la lutte chimique, rendue nécessaire par l’homogénéité spécifique et génétique des agrosystèmes et l’augmentation des nutriments disponibles dans les parcelles agricoles.

L’irrigation (pompes, tuyaux souples, barrages et canaux) peut être ajoutée à cette liste puisqu’elle a contribué à l’amélioration des performances de certaines cultures importantes (ou élargit les régions dans lesquelles leur culture a été possible) comme le riz, le maïs ou les cultures légumières.

Notons enfin que parallèlement à cette augmentation quantitative par unité de surface, le temps de travail a lui été réduit grâce à la mécanisation et au recours massif aux énergies fossiles (carburant).

Évolution des rendements moyens des quatre principales céréales cultivées en France depuis 1862

Source : Le défi alimentaire, Samuel Rebulard, Belin Éducation, 2018. D’après Agreste, statistiques agricoles, consultation 2014.

Auteur(s)/Autrice(s) : Samuel Rebulard Licence : Reproduit avec autorisation

Les conséquences qualitatives amènent à repenser le modèle dominant

Si les résultats quantitatifs sont indéniables, ces leviers technologiques, utilisés à grande échelle posent un certain nombre de problèmes qualitatifs. Tout d’abord, ils engendrent des coûts importants et une dépendance économique des agriculteurs à leurs fournisseurs. Ce qui les rend difficilement applicables dans les régions agricoles à bas revenus. Sur le plan environnemental, les éléments nutritifs apportés par les engrais (notamment les engrais de synthèse, mais aussi certains engrais organiques comme les lisiers) qui ne sont pas utilisées par les plantes peuvent sortir de l’agrosystème pour rejoindre les nappes phréatiques ou les cours d’eau. Les produits phytosanitaires, selon les molécules utilisées, peuvent poser des problèmes environnementaux à long terme comme c’est le cas pour l’atrazine (herbicide utilisé sur le maïs, interdit en France en 2001) ou le chlordécone (insecticide utilisé sur les bananiers, interdit en France en 1993). Sur le plan sanitaire, ils exposent les populations agricoles et riveraines à un grand nombre de molécules dont les effets chroniques en mélange (effet « cocktail »), même à faible dose, ne sont pas connus.

L’agriculture mondiale est aujourd’hui parcourue par de nombreuses tendances proposant des pratiques alternatives aux modèles dominants qui reposent sur une forte mécanisation et un fort recours aux intrants. Des expérimentations réalisées par les agriculteurs eux-mêmes, par des structures associatives, des entreprises ou par les institutions officielles montrent qu’il est possible de maintenir quantitativement les niveaux de production tout en réduisant les conséquences négatives, notamment en :

  • privilégiant des approches holistiques (vision globale des systèmes agricoles, voire du système alimentaire) ;
  • pilotant la présence des espèces spontanées pour favoriser celles qui rendent des services écologiques tout en réduisant les populations des bioagresseurs ;
  • acceptant le principe d’une différenciation des pratiques en fonction des conditions locales.

L’ensemble de ces tendances permet d’imaginer une gestion durable des agrosystèmes dans les décennies à venir.

Références

  • Mazoyer, M. Roudart, L. 2002. Histoire des agricultures du monde : du néolithique à la crise contemporaine. Seuil, Points Histoire.
  • Rebulard, S. 2018. Le défi alimentaire, écologie, agronomie et avenir. Belin éducation, 528 pp.
  • Collectif, L’agronome en action, Mobiliser concepts et outils de l’agronomie dans une démarche agroécologique. Educagri édition, 2017
  • Van Groenigen, J. W., Lubbers, I. M., Vos, H. M., Brown, G. G., De Deyn, G. B., & Van Groenigen, K. J. (2014). Earthworms increase plant production : a meta-analysis. Scientific reports, 4.