La déforestation constitue l’un des défis environnementaux les plus pressants du XXIe siècle. Bien qu’elle diminue, elle continue de provoquer la perte d’environ 8 millions d’hectares de forêts chaque année, principalement en raison de l’expansion de l’agriculture et de l’élevage. Ce phénomène, très inégal, se concentre surtout dans les régions tropicales, où il est l’une des principales causes de la perte de biodiversité. De plus, la déforestation contribue à près de 12 % des émissions annuelles de dioxyde de carbone et aggrave ainsi le changement climatique.
La déforestation est sans conteste l’un des défis environnementaux les plus urgents du XXIe siècle. Chaque année, environ 7,8 millions d’hectares de forêts sont abattus à travers le monde 1, soit l’équivalent de la superficie d’un terrain de football toutes les trois secondes.
La déforestation remonte probablement aux débuts de la révolution néolithique il y a quelque 10 000 ans, où les forêts commencèrent à être défrichées au profit de l’élevage et des cultures et exploitées pour le bois de chauffage et les matériaux de construction 23. Cependant, c’est à partir de la révolution industrielle que l’ampleur de la déforestation a commencé à croître à un rythme effréné pour atteindre l’échelle qui est la sienne aujourd’hui 4. L’apparition des bulldozers et des tronçonneuses dans les années 1960 a logiquement contribué à l’accroissement de la déforestation.
Parce qu’elle se produit quasiment exclusivement dans les tropiques, régions les plus riches en biodiversité de la planète, la déforestation est une cause majeure de la perte de biodiversité et de l’extinction des espèces, et sans doute la principale menace qui pèse sur les espèces terrestres 5. Et, parce que les forêts constituent de formidables stocks de carbone, la déforestation est également un contributeur important du réchauffement climatique en cours. Chaque année, elle libère sous forme de CO2 environ 1,9 milliards de tonnes de carbone (GtC) dans l’atmosphère, contribuant ainsi à environ 12 % de nos émissions mondiales (les 88 % restants sont dues à la combustion d’énergies fossiles) 6.
La déforestation est ainsi à la croisée des deux crises existentielles que traverse notre époque : le péril climatique et l’effondrement de la biodiversité. Et, parce que s’y attaquer demande un changement systémique de notre rapport au vivant et un revirement de nos modes de consommation, la déforestation est également une question politique et sociétale.
Les chiffres de la déforestation
La déforestation dans le monde
Il y a de cela 10 000 ans, les forêts occupaient environ 6 milliards d’hectares, soit la moitié des surfaces terrestres libres de glace de notre planète 7. Au moins 2 milliards, environ un tiers, ont été perdus depuis 8, une surface qui représente deux fois la taille des États-Unis. La moitié de cette perte s’est faite au cours du siècle dernier, tandis que 420 millions d’hectares ont été déboisés au cours des trois dernières décennies seulement, soit 7,6 fois la superficie de la France métropolitaine 9. Et, bien que le rythme ait fortement diminué depuis le début du siècle (il a été réduit de près de 30 % au cours de la décennie 2010-2020 par rapport à la décennie précédente), la déforestation affecte encore 7,8 millions d’hectares chaque année 10.
Toutefois, la déforestation est inégalement répartie sur la planète. Les forêts tropicales sont, de loin, les plus touchées puisque leur déforestation représente plus de 90 % de la déforestation mondiale 11 (Figures 1 et 2). En tête des pays avec le plus fort taux de déforestation se trouvent le Brésil et l’Indonésie, qui représentent respectivement 33 % et 14 % de la déforestation mondiale 12. Cela signifie que près de la moitié de la déforestation mondiale se concentre dans ces deux pays seulement. L’expansion des pâturages, notamment pour la production de viande bovine, des terres cultivées pour le soja et l’huile de palme et, de plus en plus, la conversion des forêts en plantations d’arbres pour la pâte à papier ont été les principaux moteurs de cette évolution 13. Cette expansion entraîne bien souvent des coupes rases de la forêt pour la mise en place de pâturages ou de monocultures.
La couverture arborée (ou couverture forestière) de 2010 est représentée en vert 1. Elle correspond aux zones recouvertes de forêts, définies sur cette carte comme les zones où la hauteur de la végétation est supérieure à 5 mètres et où la densité de la canopée est supérieure à 10 %. Selon les endroits, cette couverture arborée peut aussi bien correspondre à des forêts naturelles qu’à des plantations.
Les zones de gain de couverture arborée entre 2010 et 2020 sont figurées en bleu 2.
Les zones de pertes de la couverture arborée entre 2010 et 2020 sont représentées en rose 1. Les pertes de couverture arborée peuvent être dues à de nombreux facteurs : abattage mécanique, incendies, maladies, dégâts causés par les tempêtes… Une zone rose ne correspond donc pas nécessairement à une zone de déforestation.
Les données ont été obtenues par imagerie satellitaire avec une résolution de 30 × 30 mètres.
Une version interactive de cette carte est disponible sur le site Global Forest Watch. NB : à cause d'un dysfonctionnement de l'application, les données ne s'affichent pas aux plus hautes latitudes Nord (extrême nord de la Russie et du Canada).
La couverture arborée correspond aux zones recouvertes de forêts, définies sur cette carte comme les zones où la hauteur de la végétation est supérieure à 5 mètres et où la densité de la canopée est supérieure à 10 %.
Déforestation due aux produits de base : déforestation à grande échelle principalement liée à l’expansion de l’agriculture commerciale (élevages, palmiers à huile, arbres pour la pâte à papier…) ainsi qu'à l’exploitation minière et aux infrastructures énergétiques.
Agriculture itinérante : conversion à petite ou moyenne échelle des forêts et des zones arbustives à des fins agricoles. Ces zones sont ensuite abandonnées, ce qui permet une repousse ultérieure de la forêt.
Foresterie : perte temporaire due à l’exploitation des forêts naturelles et des plantations.
Feu de forêt : perte temporaire, n’inclut pas la déforestation par brûlis pour l’agriculture.
Urbanisation : déforestation pour l’expansion des centres urbains.
Une version interactive de cette carte est disponible sur le site Global Forest Watch. Les données sont issues de 1. NB : à cause d'un dysfonctionnement de l'application, les données ne s'affichent pas aux plus hautes latitudes Nord (extrême nord de la Russie et du Canada).
Bien que la déforestation se concentre aujourd’hui dans les régions tropicales, les pays tempérés ont eux aussi connu une déforestation massive. Celle-ci eut lieu avant les années 1950, réduisant largement les surfaces forestières pour faire place à l’agriculture, à l’industrie et aux infrastructures. L’histoire de la déforestation dans les zones tempérées ne doit donc pas être négligée : elle explique pourquoi, encore aujourd’hui, leurs superficies forestières sont bien plus faibles que celles de nombreux pays tropicaux.
Les principaux moteurs de la déforestation
La déforestation semble une conséquence inévitable de l’expansion humaine. Agriculture, élevage, exploitation forestière et minière ou encore développement urbain, ces activités occupent désormais plus de la moitié des surfaces terrestres libres de glace 1, signe d’une destruction planétaire des écosystèmes naturels. Cependant, leur contribution au processus de déforestation diffère considérablement.
La première cause historique de la déforestation est l’expansion agricole, surpassant de loin toutes les autres activités. Les surfaces agricoles, qui comprennent les pâturages et les terres cultivées, occupent 4,8 milliards d’hectares 2, soit près de la moitié des surfaces terrestres habitables, au détriment des forêts, des zones humides, des prairies naturelles et de nombreux autres écosystèmes naturels (Figure 3). À titre de comparaison, les zones urbaines n’en représentent, selon les estimations, qu’entre 1 et 3 % 34. En réalité, sur ces 4,8 milliards d’hectares, seulement 16 % sont des terres arables consacrées à la production de cultures destinées directement à l’alimentation humaine (fruits et légumes) et 4 % serviront dans le textile ou les biocarburants. 80 % des surfaces agricoles mondiales sont réservés à l’élevage, à la fois pour les pâturages et les cultures nécessaires à l’alimentation du bétail – une superficie équivalente à celles des deux Amériques réunies, mais qui ne produit que 17 % des calories qui sont consommées dans le monde 5.
Il y a 10 000 ans, 10,6 milliards d’hectares, soit 71 % de la surface continentale, étaient couverts de forêts, d’arbustes et de prairies sauvages. Les 29 % restants sont recouverts de déserts, de glaciers et d’autres types de terrains stériles.
En 2018, 46 % des surfaces autrefois recouvertes par des forêts, des arbustes ou des prairies sauvages sont désormais utilisées pour l’agriculture. Sur ces surfaces, 23 % correspondent à des cultures directement consommées par les êtres humains, tandis que les 77 % restant servent au bétail (pâtures et cultures destinées à l’alimentation animale).
Encore aujourd’hui, l’expansion de l’agriculture est de loin le premier moteur de la déforestation mondiale, puisqu’entre 2000 et 2018, elle était responsable de près de 90 % de la déforestation 1. Trois produits agricoles – le bœuf, le soja et l’huile de palme – sont à eux seuls responsables de 60 % de la déforestation mondiale 2. Cependant, plus des trois quarts de la production de soja est destinée à l’alimentation animale 3, faisant de l’élevage un contributeur majeur de l’expansion agricole, et par extension de la déforestation.
Au-delà de ces causes directes de déforestation se trouvent deux causes sous-jacentes, qui sous-tendent la déforestation. La première est la démographie. La population mondiale a doublé au cours des 50 dernières années, une croissance exponentielle qui a mécaniquement engendré une augmentation de la demande d’espace pour répondre aux besoins de la population, notamment en matière d’alimentation, de logement et d’infrastructures. Néanmoins, la démographie n’est pas la seule responsable de l’accroissement de la déforestation 4. En effet, concernant l’alimentation par exemple, la croissance de la demande alimentaire a été en partie satisfaite par l’intensification de la productivité agricole 5. La seconde cause indirecte de la déforestation est l’augmentation de la consommation de ressources par habitant, stimulée par l’urbanisation et l’augmentation des revenus, mais aussi par le mode de vie et les habitudes de consommation 6. Puisque la majorité de la déforestation est causée par l’expansion agricole, le régime alimentaire constitue une variable clé dans la demande en terres agricoles. La consommation de produits d’origine animale, notamment de bœuf et de mouton nécessite une surface agricole jusqu’à 100 fois plus grande que les équivalents d’origine végétale pour une même quantité de calories ou de protéines produites (Figure 4).
Une version interactive de cette figure est disponible, en anglais, sur le site Our World in Data.
Enfin, l’urbanisation et l’augmentation des revenus causent une consommation accrue de ressources, que ce soient des minerais, des combustibles fossiles ou de la biomasse. De nombreuses villes se trouvent à proximité ou à l’intérieur de régions riches en biodiversité, où elles génèrent des pollutions et stimulent l’extraction de ressources 1. La consommation de ressources par habitant a augmenté de 38 % depuis le début du siècle 2. Leur extraction entraîne déforestations, dégradations et pollutions. Notamment, de vastes gisements de combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon) se situent dans des régions particulièrement riches en biodiversité, telles que l’Amazonie ou l’Indonésie 3. Leur exploitation provoque non seulement la destruction et la dégradation des habitats naturels, mais elle favorise aussi l’expansion humaine dans des zones auparavant sauvages. Cela s’accompagne souvent de l’introduction d’espèces envahissantes et d’agents pathogènes, de l’érosion des sols, de la pollution des eaux et de la chasse illégale 4. L’extraction de minéraux, en augmentation, présente les mêmes risques 5.
Quels acteurs sont responsables de la déforestation ?
Divers acteurs ont contribué à la déforestation dans les régions tropicales, avec une évolution marquée de leur rôle au fil du temps. Entre les années 1960 et 1980, les petits exploitants agricoles représentaient la principale force de déboisement. Encouragés par des politiques étatiques promouvant la déforestation comme moteur de développement économique, ces agriculteurs ont défriché de vastes étendues de forêts tropicales, en particulier en Asie du Sud-Est et en Amérique latine 6. Cependant, avec le développement de la mondialisation et de l’urbanisation dans les années 1980, la part des entreprises, notamment de l’agro-industrie, a connu une croissance importante – pour la culture du soja et l’expansion des pâturages pour l’élevage en Amérique du Sud et pour l’expansion des plantations industrielles pour l’huile de palme et la pâte à papier en Indonésie. Toutefois, cette tendance s’est depuis inversée à nouveau. La conversion de forêts en terres agro-industrielles a significativement diminué, laissant place à une déforestation à petite échelle, menée par des petits exploitants agricoles, qui surpasse désormais le déboisement pour les cultures agro-industrielles 7. En Indonésie, il y a 15 ans, l’expansion des plantations industrielles pour l’huile de palme et la pâte à papier représentait plus de la moitié de la déforestation, mais ce chiffre est tombé sous les 15 % depuis, tandis que l’expansion des cultures à petite échelle a vu sa contribution augmenter – une tendance également observée dans d’autres régions d’Asie du Sud-Est. Cette tendance est encore plus marquée dans le bassin du Congo, autre point chaud de déforestation (Figure 2), où les petits exploitants et l’agriculture de subsistance sont responsables de la majorité des pertes forestières, alors que la déforestation industrielle n’y représente qu’un modeste pourcent 8.
Les industriels ont donc sans conteste une responsabilité à la fois historique et actuelle dans la déforestation. Cependant, la part de la déforestation provoquée par de petits exploitants agricoles ne doit pas être négligée. Alors que la déforestation se concentre dans les régions tropicales, beaucoup de ces régions sont également parmi les plus pauvres de la planète 9. C’est pour cette raison que la déforestation à petite échelle, pour l’agriculture vivrière, est tant prévalente. Le bien-être des populations rurales pauvres est essentiel : il est peu probable qu’elles participent à la préservation des forêts si elles ne parviennent pas d’abord à subvenir à leurs besoins ou à ceux de leurs familles. Le défi consiste donc à trouver des moyens d’aider les populations rurales tout en évitant le déboisement.
Déforestation et biodiversité
Les points chauds de biodiversité
Lorsqu’il est question de déforestation, l’image de la forêt amazonienne revient fréquemment dans les médias ou plus largement dans l’imaginaire collectif. Plus grande forêt tropicale du monde avec ses 550 millions d’hectares, elle est l’incarnation d’une nature extraordinairement riche et menacée. Pourtant, la forêt amazonienne n’est pas la plus durement affectée par la déforestation et, ces dernières années, son taux de déboisement a atteint des niveaux historiquement bas 10. Cependant, cette amélioration cache une réalité bien moins connue : un report inquiétant de la déforestation vers d’autres écosystèmes brésiliens. Limiter la déforestation en Amazonie est certes un enjeu climatique (la quantité de carbone stockée par hectare dans la biomasse y est particulièrement importante), mais c’est aussi un enjeu médiatique et politique de premier plan ; la déforestation se reporte en contrepartie vers des biomes moins médiatisés, comme le Cerrado, ou la forêt Atlantique 11. Ayant respectivement perdu 46 % 12 et 88 % 13 de leur surface initiale, ces écosystèmes continuent de subir une intense déforestation qui, malheureusement, passe largement inaperçue aux yeux du grand public.
Pourtant, ces deux écosystèmes font partie des 36 points chauds de biodiversité (en anglais hotspots) 1 – des régions d’une richesse exceptionnelle en espèces végétales et animales, mais également particulièrement menacées par les activités humaines (Figure 5). Deux critères définissent ainsi un point chaud de biodiversité : compter au moins 1 500 plantes vasculaires endémiques, c’est-à-dire qu’on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète, et avoir perdu plus de 70 % de sa végétation primaire 2. En d’autres termes, un point chaud de biodiversité est à la fois irremplaçable et extrêmement menacé. Ce concept permet ainsi de cibler les efforts de conservation sur les zones où la biodiversité est à la fois riche et vulnérable.
Un point chaud de biodiversité (en anglais hotspot), également appelé zone critique de biodiversité, est une surface émergée de la planète qui répond à deux critères : il contient au moins 1500 espèces de plantes vasculaires endémiques (que l’on ne retrouve nulle part ailleurs sur Terre) et qui a perdu au moins 70 % de sa végétation d’origine. Actuellement, 36 points chauds sont recensés. Les différentes couleurs servent uniquement à pouvoir distinguer facilement les différentes zones. Les points chauds de biodiversité ne tiennent compte que de la biodiversité terrestre. Les lignes rouges servent donc uniquement à délimiter des îles faisant partie d’un même point chaud.
Ces 36 points chauds de biodiversité ne représentent que 2,5 % de la surface terrestre1, mais ils abritent plus de la moitié des espèces végétales et près de 43 % des espèces d’oiseaux, de mammifères, de reptiles et d’amphibiens de la planète 2. La forêt Atlantique, par exemple, abrite 2 960 espèces d’arbres, 719 d’amphibiens, 517 de reptiles, 1 025 d’oiseaux et 384 de mammifères avec des taux d’endémisme extraordinaires (70 % des amphibiens, 24 % des reptiles, 21 % des oiseaux et 28 % des mammifères y sont endémiques) 3. Ces espèces endémiques s’éteindraient si leur habitat venait à disparaître entièrement.
La déforestation, première menace sur la biodiversité terrestre
Avec 1,8 milliard d’hectares, les forêts tropicales représentent environ 45 % du couvert forestier mondial, soit environ 10 % des surfaces terrestres mondiales 4. Cette zone relativement petite à l’échelle de la planète, abrite cependant les deux tiers de toutes les espèces connues sur Terre et certainement encore plus d’espèces inconnues 5. On compte ainsi 16 000 espèces d’arbres rien qu’en forêt amazonienne 6. À titre de comparaison, un seul hectare de la forêt amazonienne peut en abriter 473 espèces 7, plus que le nombre total d’espèces d’arbres trouvées dans toute l’Europe 8. C’est pour cette raison que la déforestation, qui affecte quasiment exclusivement les écosystèmes tropicaux, représente une telle menace pour la biodiversité terrestre, à la fois pour les espèces végétales mais également pour les espèces animales qui dépendent de cet habitat pour leur survie. Pour cette raison, la destruction des habitats naturels constitue la première menace qui pèse sur la biodiversité terrestre 9. L’agriculture, première responsable de cette destruction, menace à elle seule pas moins de 5 407 espèces 10 dont près de 4 500 espèces de vertébrés 11. Or, globalement, entre la moitié et les deux tiers de toutes les plantes et 57 % de tous les vertébrés terrestres menacés d’extinction sont des espèces endémiques des points chauds de biodiversité 12. La conservation des forêts tropicales et particulièrement des points chauds de biodiversité sera donc clé pour la protection de la biodiversité terrestre.
Alors qu’on continue de découvrir de nouvelles espèces végétales et animales en explorant des régions du monde encore méconnues, il ne fait guère de doute que la déforestation ait déjà causé, et puisse encore causer, l’extinction d’espèces avant même qu’elles n’aient été découvertes et décrites par la science 13. Selon certaines projections, la poursuite de la déforestation dans les zones tropicales au rythme actuel pourrait suffire à provoquer une extinction de masse 1415, c’est-à-dire conduire à l’extinction de plus de 75 % des espèces vivantes sur Terre 16.
Déforestation et changement climatique
Les forêts, de puits à sources de carbone ?
Depuis 1850, date du début de la période industrielle, les émissions liées aux activités humaines ont totalisé environ 695 GtC 17. Pourtant, la quantité de CO2 dans l’atmosphère n’a augmenté « que » de 296 GtC depuis cette période 18. Autrement dit, plus de la moitié de nos émissions n’ont pas rejoint l’atmosphère. Elles ont été absorbées par deux « puits de carbone », les océans et les forêts (Figure 6). Les océans, car le CO2 s’y dissout (ce qui est à l’origine de leur acidification) et parce qu’il est stocké sous forme de molécules organiques par le phytoplancton, des organismes microscopiques réalisant la photosynthèse. Les forêts, puisque les végétaux, notamment les arbres, fixent également le CO2 atmosphérique pour leur croissance via la photosynthèse. Ce carbone se retrouve alors stocké dans la biomasse vivante, mais aussi, in fine, dans le bois mort, la litière et les sols.
Les stocks de carbone (en GtC) sont représentés par des ronds tandis que les flux de carbone (en GtC/an) sont figurés par des flèches de différentes couleurs. Gris : combustibles fossiles et production de ciment ; jaune : changements d’occupation des sols (déforestation principalement) ; vert clair : flux net correspondant à la photosynthèse ; bleu-vert : flux net correspondant à la dissolution du carbone atmosphérique dans les océans.
Ainsi, depuis 1850, l’océan a absorbé 26 % des émissions anthropiques totales, et les écosystèmes terrestres en ont absorbé 32 % (Figure 7). Alors qu’il est central de réduire immédiatement et drastiquement à zéro les émissions de gaz à effet de serre, nous aurons besoin de restaurer de vastes écosystèmes pour enlever de l’atmosphère les quelque 296 GtC déjà accumulées. Au contraire, la déforestation détruit ce puits de carbone et annihile ainsi les potentialités d’atténuer nos émissions.
Les émissions de CO2 d'origine anthropique sont notées avec des valeurs positives, donc au-dessus de l'axe des abscisses. Il s'agit des émissions d’origine fossile (EFOS ; gris) et dues au changement d’affectation des terres (ELUC ; jaune). Ces émissions se répartissent l’atmosphère (cyan) et les deux puits de carbone, l’océan (SOCEAN ; bleu) et les surfaces terrestres (SLAND ; vert).
À gauche : flux annuels (en GtC/an). À droite : cumul des flux (en GtC) depuis 1850.
Les émissions totales (ligne rouge en trait plein) devraient être égales à l’absorption totale (représentée par la ligne rouge pointillée, symétrique de la ligne en trait plein par rapport à l’axe des abscisses). Toutefois, l’imprécision des données et/ou des modèles entraîne un léger déséquilibre entre la somme des flux vers l’océan, l’atmosphère et les surfaces terrestres et le flux théorique (ligne rouge pointillée).
A. Surface de forêts par types de forêts.
B. Flux de carbone d’origine anthropique (combustibles fossiles et production de ciment) et séquestration par l’atmosphère, les continents et les océans. Le bilan (émissions − répartition) n'est pas équilibré, ce qui traduit la difficulté de mesurer et de modéliser ces flux.
C. Stock de carbone par type de forêts.
D. Stock de carbone par type de composant des forêts.
Source des données : A, C et D: Pan et coll., 2011, Science ; B : Friedlingstein et coll., 2024 Earth System Science Data. Remarque : Il existe beaucoup d’incertitudes sur les valeurs absolues des flux et stocks de carbone dans les forêts, ce qui explique des écarts parfois assez importants entre les estimations faites par différentes études scientifiques. En particulier, le stock de carbone des forêts estimé par Pan et coll. (860 GtC) est supérieur à celui estimé par le Global Carbon Project (450 GtC).
Source des images : Veitchia arecina, Mason McNair, CC-BY, Phylopic ; Quercus rubra, Gabriela Palomo-Munoz, CC-BY, Phylopic ; Pseudotsuga, T. Michael Keesey, domaine public, Phylopic.
La déforestation libère le CO2 stocké dans les forêts, entraînant chaque année l’émission d’environ 1,9 GtC, contribuant ainsi à environ 11 % de nos émissions mondiales (Figures 7 et 8). Les trois principaux contributeurs, tant historiques qu’actuels sont le Brésil (en particulier l’arc de déforestation de l’Amazonie), l’Indonésie et la République démocratique du Congo, qui représentent à eux seuls plus de la moitié des émissions mondiales liées à la déforestation 1.
Au niveau mondial, les écosystèmes menacés de déforestation ou de dégradation contiennent de vastes quantités de carbone. Certains écosystèmes en particulier ont accumulé sur des milliers d’années des quantités de carbone qui seraient irrémédiablement émises dans l’atmosphère s’ils venaient à être détruits, une quantité estimée à 260 GtC parmi les écosystèmes les plus menacés à l’échelle mondiale 2. Parmi ces écosystèmes, on trouve notamment les tourbières, les marais, mais aussi deux écosystèmes forestiers : les mangroves et les forêts anciennes. Ces 260 GtC représentent près de 40 % des stocks mondiaux contenus dans les forêts, et augmenteraient de 30 % la quantité de CO2 dans l’atmosphère si elles venaient à être libérées 3.
Aujourd’hui, malgré une réduction continue de leur superficie, les forêts absorbent plus de carbone qu’elles n’en émettent 4, car les forêts intactes et en voie de reconstitution absorbent plus de carbone que celui libéré par la déforestation et la dégradation. Mais, dans un avenir proche, elles pourraient devenir une source de carbone en raison de la disparition continue des forêts mais également de l’effet du changement climatique sur la capacité des forêts restantes à capturer l’excès de CO2 atmosphérique. Notamment, les fortes chaleurs et les sécheresses causent l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des feux de forêts, ce qui libère le carbone accumulé et accélère la diminution des zones forestières 56.
Les forêts tropicales comptent parmi les écosystèmes les plus riches en carbone de la planète, représentant 40 % du carbone stocké dans la végétation vivante 7. Mais, en raison de leur extrême déforestation, les forêts tropicales n’agissent déjà plus comme puits de carbone, puisque les émissions liées à la déforestation ont totalisé, sur la période 2001-2019, 1,3 fois ce que ces forêts ont absorbé 8. À l’avenir, si le besoin de terres supplémentaires persiste, que ce soit pour l’agriculture et l’élevage, pour les matériaux de construction ou pour les mines, il est possible qu’à l’échelle globale, la déforestation émette plus de CO2 que ce que les forêts retirent de l’atmosphère.
Reforestation, afforestation et les risques pour la biodiversité
La reforestation vise à restaurer une forêt là où elle a disparu, soit de manière active par la plantation d’arbres, soit de manière passive en laissant la forêt se régénérer naturellement. En revanche, l’afforestation consiste à créer une forêt dans une zone qui n’en a jamais abrité, comme une savane, et implique donc toujours une intervention humaine. Alors que les forêts subissent une déforestation à hauteur de près de 8 millions d’hectares par an, la reforestation et l’afforestation sont estimées à environ 5 millions d’hectares par an 1. Dans les chiffres, ces processus compensent donc en partie la déforestation. Cependant, la compensation de forêts primaires, anciennes et non perturbées par les activités humaines, par des forêts en régénération ou des forêts plantées, n’a pas les mêmes conséquences, que ce soit sur la biodiversité ou le climat.
Dans les tropiques, les forêts se régénèrent rapidement et le nombre d’espèces d’arbres peut atteindre celui de forêts primaires en quelques décennies seulement 2. Cependant, si le nombre d’espèces d’arbres des forêts secondaires est rapidement semblable à celui des forêts primaires, la nature de ces espèces est très différente avec, dans ces forêts secondaires, de nombreuses espèces pionnières ou adaptées aux perturbations. Une étude a estimé que le retour à une composition en espèces voisine de celle d’une forêt primaire prendrait près de 800 ans en moyenne en Amérique du Sud 3. En ce qui concerne les espèces animales, les chercheurs ont constaté que seuls 60 % de l’ensemble des espèces présentes dans les forêts primaires pouvaient également être présentes dans des forêts en régénération 4. En fait, ces forêts sont souvent très jeunes (en Amazonie une étude a estimé leur âge à 8,2 ans en moyenne seulement 5) ; trop jeunes pour pouvoir abriter la même diversité qu’une forêt primaire. Quant aux forêts plantées, qui représentent 7 % des forêts mondiales 6, elles sont souvent composées de quelques espèces d’arbres seulement et abritent en moyenne seulement 47 % de la diversité des espèces présentes dans des forêts primaires 7.
Concernant l'atténuation du changement climatique, la croissance des forêts capte chaque année 1,3 GtC, compensant en partie les émissions liées à la déforestation 8. Cependant, reforestation et afforestation capturent seulement 0,5 GtC de ce total. Le reste provient de l’agriculture itinérante, une pratique qui consiste à déboiser un espace pour le cultiver, puis à l’abandonner une fois que sa fertilité diminue, au profit d’un autre terrain plus fertile. Bien que cette méthode permette à la végétation naturelle de repousser temporairement, l’espace est souvent défriché à nouveau dès qu’il retrouve sa fertilité. Annuellement, les forêts en régénération captent plus de carbone qu’une forêt primaire. Cependant, une forêt primaire contient toujours davantage de carbone, tant dans ses sols que dans sa végétation 9. De plus, alors que la déforestation affecte les forêts tropicales, la régénération concerne en majorité les forêts tempérées, qui, à surface égale, stockent largement moins de carbone 10. Enfin, dans les tropiques, les forêts en régénération sont fortement susceptibles d’être de nouveau déforestées, ce qui rend leur stockage de carbone éphémère 11. Bien sûr, l’extension des surfaces forestières, en favorisant notamment la régénération naturelle, est essentielle pour préserver la biodiversité et atténuer le changement climatique. Cependant, cet objectif ne pourra être atteint que si, en parallèle, la déforestation des forêts primaires est stoppée.
Conclusion
La déforestation est une problématique particulièrement complexe. Elle fait intervenir une multitude d’acteurs et différents facteurs – démographiques, économiques et culturels. Toutefois, les faits sont clairs : la quasi-totalité de la déforestation se situe dans les tropiques, des régions parmi les plus riches en biodiversité de la planète, et des forêts parmi les plus riches en carbone. Freiner la déforestation représente donc un enjeu majeur pour éviter une possible sixième extinction de masse et ralentir l’accumulation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, responsable du changement climatique. La déforestation s’explique principalement par l’augmentation de la production agricole, du fait, en partie, de l’accroissement démographique. Notre capacité à fournir un régime alimentaire sain et préservant l’environnement à une population mondiale de 10 milliards de personnes dépendra de la nature des aliments que nous produisons, de la manière dont nous les produisons et à quel endroit, ainsi que de la quantité perdue ou gaspillée. Certains régimes alimentaires et certains modes de consommation ne permettront pas de nourrir 10 milliards d’individus tout en protégeant les dernières forêts tropicales.