Parmi les Mammifères, les campagnols des prairies (Microtus ochrogaster) forment l’une des rares espèces monogames. Des paires ou couples de deux individus de sexe opposé persistent ainsi tout au long de leur vie 1. Le couple partage le même nid au sein duquel il prodigue des soins parentaux durant une longue période et rejette les autres congénères, préférant la compagnie du partenaire aux étrangers de sexe opposé.

Contrairement au campagnol des prairies, le campagnol des montagnes (Microtus montanus) est polygame et seule la femelle s’occupe des petits. Alors que l’organisation anatomique et les projections des neurones synthétisant l’ocytocine sont les mêmes chez ces deux espèces de campagnols, monogame et polygame, la distribution cérébrale des récepteurs du neuropeptide est différente. Il pourrait donc exister un lien entre la communication ocytocinergique et la monogamie. De nombreuses études pharmacologiques, utilisant des molécules de synthèse bloquant la liaison de l’ocytocine à son récepteur, montrent en effet de façon non équivoque que les campagnols des prairies sont incapables de former des couples durables lorsque la voie de signalisation de l’ocytocine est bloquée.

Une étude récente, publiée par des neuroscientifiques américains, a cherché à confirmer ce résultat d’un point de vue génétique 2. Grâce au système d’édition de gènes CRISPR-Cas9, les auteurs ont obtenu des campagnols des prairies chez lesquels le récepteur de l’ocytocine est inactif dès le stade embryonnaire. De façon très surprenante, ces campagnols mutants forment comme les campagnols des prairies sauvages des couples durables.

Les autres fonctions attribuées à l’ocytocine dans les précédentes études ont également été testées : parturition, soins apportés aux jeunes et lactation. Les femelles mutantes ont donné naissance aux petits puis, avec leurs partenaires mutants, elles ont exprimé un comportement parental complet élevant leur progéniture jusqu’au sevrage. Cependant, la difficulté d’éjection du lait au moment de la tétée chez les femelles mutantes entraîne la perte d’une partie de la descendance et une diminution importante du poids des petits survivants.

Pourquoi ces résultats viennent-ils à l'encontre des précédents ? Le rôle de l’ocytocine en tant qu’« hormone du lien social3 » serait-il remis en question ?

Les chercheurs insistent sur les particularités de l’approche génétique CRISPR-Cas9 comparativement aux études pharmacologiques ou aux manipulations de l’expression des récepteurs : (i) les molécules agonistes ou antagonistes de l’ocytocine utilisées dans les travaux pharmacologiques pourraient manquer de sélectivité et se lier à d’autres récepteurs que ceux de l’ocytocine, ce qui rendrait leurs effets difficiles à interpréter ; (ii) l’inactivation ciblée d’un seul récepteur, celui de l’ocytocine, grâce à la méthode CRISPR-Cas9 ne supprime pas les éventuels effets d’autres neuromodulateurs, puisqu’une seule voie de signalisation est inactivée ; (iii) enfin la mutation du récepteur de l’ocytocine ayant été réalisée au stade embryonnaire, il est possible que les animaux mutants aient compensé l’absence de signalisation ocytocinergique en mobilisant d’autres voies (par exemple celle de la vasopressine). Ce sont alors ces voies qui seraient responsables de l’attachement et des soins à la progéniture chez les campagnols des prairies mutants. Une telle compensation serait impossible dans le cas des manipulations virales de l’expression du récepteur de l’ocytocine car elles ont été réalisées chez des adultes 4.

Les résultats obtenus par mutagenèse CRISPR-Cas9 remettent en question les espoirs d’utiliser l’ocytocine pour traiter des troubles des interactions sociales tels que les troubles du spectre de l’autisme ou de la schizophrénie. Ils témoignent de la complexité de la mise en place du comportement social, dont l’ocytocine n’est probablement que l’un des maillons.