Le principe de l'horloge moléculaire repose sur l'hypothèse que les mutations synonymes sont neutres du point de vue de la sélection naturelle. Une étude remet en cause ce postulat, mais ses résultats sont controversés.
Depuis quelques années, le paradigme consistant à dire qu’une mutation synonyme – ou silencieuse1 – n’a pas d’effet sur l’organisme est remis en cause. En effet, il a été prouvé que certaines maladies génétiques sont liées à la présence d’une mutation synonyme dans le génome. Il a également été montré que ces mutations agissent non pas sur la qualité des protéines produites (qui sont identiques), mais sur leur quantité.
Dans un travail publié dans Nature, Xukang Shen et ses collaborateurs ont déterminé l’influence des mutations synonymes chez les levures Saccharomyces cerevisiae en comparant la valeur adaptative (fitness) de souches sauvages avec celle de souches porteuses d’une mutation synonyme et celle de souches porteuses d’une mutation faux-sens 2. Les mutations portaient sur 21 gènes non essentiels. La valeur adaptative de chaque souche a été estimée à partir de la fréquence des génomes sauvage et mutants dans une culture mixte après 30 générations. Les résultats ont montré que les trois quarts des mutants portant une mutation synonyme se reproduisaient moins efficacement que les sauvages. De plus, les mutations synonymes diminuaient autant la valeur adaptative que les mutations faux sens.
Le taux de mutation synonymes séparant deux lignées est utilisé comme horloge moléculaire, pour dater la divergence entre ces lignées. Ce principe suppose que les mutations synonymes s’accumulent au même rythme dans des taxons proches, car elles n’ont pas d’effet sur la valeur sélective. Si les résultats obtenus chez Saccharomyces étaient reproduits chez d’autres vivants, les dates de divergence entre lignées produites selon le principe de l’horloge moléculaire seraient à remettre en question.
Cependant, il est important de noter que les résultats de Shen ont suscité de nombreux commentaires dans la communauté scientifique, en particulier à propos des témoins utilisés, qui ne seraient pas adaptés. Dans une prépublication mise en ligne sur la plateforme bioRxiv, Kruglyak et ses collaborateurs notent qu’un « réexamen des données de Shen et coll. suggère fortement qu’elles sont entièrement cohérentes avec la prévision que la plupart des mutations non synonymes et presque toutes les mutations synonymes n'ont pas d'effets détectables sur la valeur sélective » 3.