Le spectre de la diversité biologique n’est pas continu, mais se compose de groupes d’organismes similaires partageant un même plan corporel. Utilisées pour construire les classifications taxonomiques classiques, les discontinuités dans la structure des organismes ouvrent également une fenêtre d’étude des mécanismes macroévolutifs.
Ce texte a été initialement publié à cette adresse le 8 septembre 2023 sur Actualités scientifiques Prépas, le blog d'actualités de Patrick Pla, maître de conférences à l'université Paris Saclay. La version proposée ici a été adaptée pour Planet-Vie.
Dans un article paru dans Nature Plants, des chercheurs britanniques ont compilé des données provenant de 248 taxons de plantes vertes1 actuelles et fossiles 2. Pour chaque taxon, ils se sont penchés sur l’état de 548 traits phénotypiques (par exemple la présence ou l’absence de plasmodesmes, de pyrénoïdes, de stomates, le nombre de flagelles, etc.). Chacun des 248 taxons a alors pu être positionné dans un espace en 548 dimensions. Comme un tel espace est difficile à appréhender, l’équipe britannique a eu recours à la technique du positionnement multidimensionnel, qui permet de représenter les données d’une matrice à n dimensions dans un espace à deux (éventuellement trois) dimensions, en faisant en sorte que les distances entre points dans ce nouvel espace traduisent au mieux les similarités entre points de la matrice (Figure 1).
Les résultats montrent que les espèces appartenant aux « grands groupes » identifiés par l’analyse phylogénétique (Fougères, Gymnospermes, Angiospermes, etc.) se retrouvent proches les unes des autres, ce qui traduit une certaine homogénéité des caractères présentés par les membres de ce groupe. Par ailleurs, on constate que ces groupes sont séparés par de larges espaces vides, c’est-à-dire par des combinaisons de caractères que l’on ne retrouve chez aucun être vivant.
Cette distribution discrète des plans d’organisation est également observée chez les animaux. En outre, les archives fossiles animales montrent que la diversité phénotypique n’est pas uniformément répartie au fil du temps. De nombreux groupes atteignent une diversité maximale tôt dans leur évolution et les variations d’ampleur plus tardives sont rares. Les travaux réalisés chez les plantes ont confirmé qu’elles aussi présentaient un tel schéma macroévolutif.
Par ailleurs, les chercheurs ont bien visualisé un équivalent de « l’explosion cambrienne » des animaux pour les plantes vertes : elle a eu lieu entre 500 et 450 millions d’années, une période qui correspond à la conquête du milieu aérien par les plantes vertes à l’Ordovicien (Figure 2). Beaucoup des paramètres étudiés par les chercheurs ont connu des modifications importantes à cette période.
En ce qui concerne le « vide » entre les taxons, l’analyse des chercheurs supporte une évolution rapide avec un nombre faible d’espèces « intermédiaires », ce qui veut dire que le « vide » ne vient pas du fait que de nombreux taxons intermédiaires ont rapidement disparu au cours de l’évolution, supplantés par des taxons présentant un plus grand nombre d’innovation évolutives, mais que le nombre de taxons intermédiaires a été très faible dès le départ. Ce résultat est en accord avec la théorie des équilibres ponctués développée par Stephen Jay Gould et Niles Eldredge dans les années 1970.
Qu’est-ce qui a permis ces « sauts quantiques évolutifs » ? Les auteurs citent les duplications génomiques qui permettent de dégager rapidement des innovations génétiques, car les deux copies du génome divergent et se spécialisent. Il y a aussi les nouveaux caractères eux-mêmes, en particulier ceux liés aux changements de milieu (par exemple passage au milieu aérien), qui peuvent entraîner en cascade des modifications rapides et profondes du fonctionnement physiologique (apparition de tissus vasculaires, de vraies feuilles) et de la reproduction (apparition des graines puis des fleurs).