La méthode : comment estimer la biomasse mondiale ?

La biomasse d’un écosystème correspond à la masse des êtres vivants présents dans cet écosystème. Il existe plusieurs façons de la mesurer : poids frais, poids sec, masse de carbone. C’est cette dernière solution qui a été retenue par Ron Milo et son équipe pour deux raisons. Premièrement, cette mesure permet de s’affranchir de la quantité d’eau, variable, des organismes. Deuxièmement, il s’agit du type de mesure le plus fréquemment utilisé dans la littérature scientifique. Pour obtenir la masse sèche à partir la masse de carbone, il suffit de multiplier cette dernière par deux, qui est le facteur de conversion caractéristique entre masse en carbone et masse sèche.

Pour calculer la biomasse mondiale les chercheurs ont réalisé une méta-analyse de plusieurs centaines de publications, contenant chacune des données sur la biomasse d’un ou plusieurs groupes d’êtres vivants. Chacune de ces études portait, nécessairement, sur une zone géographique restreinte. Pour calculer la biomasse à l’échelle du globe, l’équipe de chercheurs a donc dans un premier temps établit une corrélation entre la biomasse mesurée à un endroit donné et les caractéristiques physico-chimiques du biotope : température, luminosité… Connaissant la répartition mondiale de ces paramètres, il est alors possible d’en déduire la répartition de la biomasse. L’ensemble des données utilisées est disponible en open-source sur GitHub .

La validité des résultats obtenus dépend en grande partie du nombre de données utilisées pour les calculs. Ainsi, les mesures de biomasse réalisées au niveau des fonds océaniques ou des sous-sols profonds étant peu fréquentes, les extrapolations à l’échelle de la planète présentent plus d’incertitudes que celles faites à partir des données de biomasse des forêts tempérées par exemple, où les mesures sont bien plus nombreuses.

Une autre limite à la détermination de la biomasse est qu’elle est souvent calculée de manière indirecte, en comptant un nombre d’individus. Ce nombre est ensuite multiplié par la masse moyenne d’un individu. Toute incertitude sur cette moyenne entraîne nécessairement une incertitude sur la biomasse calculée.

Les résultats

Distribution de la biomasse en fonction des groupes d’êtres vivants

Les auteurs ont choisi de donner les biomasses pour six grands groupes d’êtres vivants : plantes, bactéries, champignons, archées, protistes et animaux. Sous le terme de « plantes », les auteurs désignent les Embryophytes, les algues vertes et les algues brunes. Les protistes désignent les eucaryotes unicellulaires. Ces deux groupes, à la différence des quatre autres, ne sont donc pas monophylétiques.

Répartition de la biomasse en fonction des groupes d'êtres vivants

(A) Les biomasses sont représentées sur un diagramme de Voronoï où l’aire de chaque surface est proportionnelle à la biomasse du groupe d’êtres vivants considéré. (B) Biomasse de différents groupes d’animaux. Les groupes dont la biomasse est négligeable ne sont pas représentés. Les diagrammes ont été générés à partir de l’outil Proteomaps .

Auteur(s)/Autrice(s) : D’après Bar-On et al., traduit par Pascal Combemorel Licence : Reproduction autorisée dans un contexte éducatif et non commercial (PNAS) Source : PNAS
Groupe Biomasse (Gt C) En pourcentage du total Incertitude (x fois)
Plantes 450 82 1,2
Bactéries 70 13 10
Champignons 12 2 3
Archées 7 1 13
Protistes 4 1 4
Animaux 2 0,5 5
   Arthropodes terrestres 0,2    
   Arthropodes marins 1    
   Chordés, marins 0,7    
   Chordés, animaux d’élevage (bovins, ovins et porcins uniquement) 0,1    
   Chordés, humains 0,06    
   Chordés, Mammifères sauvages 0,007    
   Chordés, Oiseaux d’élevage 0,005    
   Chordés, Oiseaux sauvages 0,002    
   Annélides 0,2    
   Mollusques 0,2    
   Cnidaires 0,1    
   Nématodes 0,02    
Virus 0,2 0,04 20
Total 550   1,7

L’essentiel de la biomasse est donc constitué par les plantes (82 %) et, dans une moindre mesure, par les bactéries (13 %). Les autres organismes représentent une fraction infime de la biomasse totale.

On remarque que la biomasse d’un groupe n’est pas corrélée au nombre d’espèces qui le compose. Ainsi, si les plantes ne comptent « que » 380 000 espèces (dont 365 000 espèces d’Embryophytes) mais pèsent 450 Gt, les Euarthropodes et leurs 1 100 000 espèces ne représentent que 1,2 Gt.

Biomasse en fonction du nombre d'espèces

Les barres d’erreur représentent les incertitudes liées aux estimations de biomasse. Les auteurs ont choisi de ne pas représenter les bactéries, archées et virus dont ils estiment que la définition de l’espèce est problématique. Ils notent également que pour les champignons et les protistes, le nombre d’espèces est incertain.

Auteur(s)/Autrice(s) : D’après Bar-On et al., traduit par Pascal Combemorel Licence : Licence MIT Source : GitHub

La biomasse d’un groupe n’est pas non plus reliée au nombre d’individus qui le composent. Ce résultat n’est pas surprenant dans la mesure où la masse d’un individu est très variable en fonction des espèces. Par exemple, la masse d’une Escherichia coli est de 0,95 pg (soit 9,5.10-13 g) tandis qu’une baleine bleue peut atteindre 180 t (1,8.108 g).

Biomasse en fonction du nombre d'individus

Les barres d’erreur représentent les incertitudes liées aux estimations de biomasse.

Auteur(s)/Autrice(s) : D’après Bar-On et al., traduit par Pascal Combemorel Licence : Licence MIT Source : GitHub

Parmi les animaux, un résultat notable est la biomasse de l’espèce humaine, dix fois supérieure à celle de l’ensemble des Mammifères sauvages (5 500 espèces connues) !

L’impact de l’homme sur la biosphère se voit également au niveau des espèces domestiquées : les bovins, ovins et porcins représentent une biomasse 14 fois plus importante que celle des Mammifères sauvages ; les oiseaux d’élevage représentent une biomasse presque 3 fois plus importante que les oiseaux sauvages.

En s’appuyant sur des études estimant la biomasse passée, les auteurs indiquent que l’expansion de l’espèce humaine a modifié profondément la répartition de la biomasse. L’homme serait ainsi responsable de la disparition de la moitié de la biomasse des plantes terrestres.

Distribution de la biomasse en fonction des biotopes

Distribution des biomasses en fonction des milieux de vie

(A) Les biomasses sont représentées sur un diagramme de Voronoï où l’aire de chaque surface est proportionnelle à la biomasse de chaque environnement. Les sous-sols profonds correspondent aux sédiments marins et à la croûte en milieu océanique ; aux roches du sous-sol et notamment aux aquifères profonds en milieu continental. (B) Fraction de la biomasse de chacun des six grands groupes d’êtres vivants étudiés dans les trois types d’environnement. Pour les champignons et les protistes, les données étaient insuffisantes pour évaluer la biomasse présente dans les sous-sols profonds.

Auteur(s)/Autrice(s) : D’après Bar-On et al., traduit par Pascal Combemorel Licence : Licence MIT Source : GitHub

Bien que les océans et les mers recouvrent 71 % de la planète, la biomasse continentale est largement plus importante que la biomasse marine (470 Gt de carbone contre 6 Gt C). De plus, au sein de ces deux types d’environnement, des différences majeures existent entre groupes d’êtres vivants. Par exemple, si l’essentiel de la biomasse des plantes est terrestre : la fraction marine, représentée par les algues vertes et brunes est négligeable (entre 0,0075 et 2,55 Gt C selon les études). À l’inverse, la biomasse animale est essentiellement marine tandis que celle des bactéries et archées se concentre dans les environnements profonds : sédiments marins et croûte en milieu océanique, roches du sous-sol et notamment aquifères profonds en milieu continental.

Pyramides des biomasses

Distribution des biomasses entre les producteurs et les consommateurs dans les environnements terrestres et marins. Les valeurs sont en Gt C.

Auteur(s)/Autrice(s) : D’après Bar-On et al., traduit par Pascal Combemorel Licence : Licence MIT Source : GitHub

Entre les milieux terrestres et marins, on constate une différence dans la pyramide des biomasses. Dans le premier cas, les producteurs sont bien plus nombreux que les consommateurs. En milieu marin, la pyramide de biomasse est inversée : les consommateurs représentent une biomasse plus importante que les producteurs. Il s’agit là d’un résultat classique en écologie, documenté pour différents écosystèmes aquatiques, et confirmé au niveau mondial par cette étude. Une telle répartition des biomasses est possible car le taux de renouvellement des producteurs est important : leur durée de vie est courte mais ils se reproduisent rapidement, maintenant ainsi une forte productivité primaire.

Ces estimations nouvelles et surtout cette vision globale de la biomasse devrait permettre de mieux comprendre le cycle du carbone et surtout de mieux prévoir les effets des activités humaines sur celui-ci.

À lire également

Références

The biomass distribution on Earth, Bar-On Yinon M. Bar-On, Rob Phillips, and Ron Milo, PNAS, 2018

Informations supplémentaires http://www.pnas.org/content/suppl/2018/05/16/1711842115.DCSupplemental