Alors que les océans occupent une surface bien plus importante que celles des terres émergées, la masse des êtres vivants les peuplant est largement inférieure à celle trouvée en milieu continental. Par ailleurs, la répartition des différents groupes d’êtres vivants est très différente entre ces deux milieux de vie.
Après avoir estimé la biomasse totale se trouvant sur Terre, Yinon M. Bar-On et Ron Milo, chercheurs à l’Institut Weizmann des sciences (Israël), se sont intéressées à celle des milieux océaniques.
Méthodologie
Par « océans », les auteurs entendent toutes les surfaces recouvertes de manière permanente par de l’eau salée. Ils ont donc exclu certains territoires comme les mangroves et les marais salants.
La méthode retenue pour déterminer la biomasse peuplant les océans reste la même que celle employée par les deux chercheurs dans leur article précédent : une analyse des données de biomasse disponibles dans la littérature scientifique, suivie d’une extrapolation de ces informations à l’ensemble du globe. L’ensemble des données utilisées et des calculs réalisés a été publié sur GitHub afin que la communauté scientifique puisse se saisir de ces résultats, les compléter, les critiquer. En effet, comme les auteurs le soulignent, de nombreuses incertitudes sont associées à ces estimations, par exemple pour les taxons peu étudiés par la communauté scientifique ou pour les organismes benthiques. Comme le rappelle Chris Bowler, directeur de recherche à l’Institut de biologie de l’École normale supérieure : « Les principales incertitudes à propos de l’estimation de la biomasse des milieux océaniques concernent la vie dans l’océan profond et dans les sédiments. »
Groupes étudiés
Les estimations de biomasse ont été réalisées sur sept groupes d’êtres vivants : Animaux, Plantes, Champignons, protistes, Bactéries, Archées et virus.
Les auteurs considèrent que les Plantes correspondent aux Archéoplastidés. Ce taxon regroupe les Glaucophytes, les Rhodophytes (« algues rouges ») et les Chloroplastidés (« algues vertes »).
Le groupe des protistes (défini ici comme les Eucaryotes n’étant ni des Animaux, ni des Plantes, ni des Champignons), malgré son caractère polyphylétique, a été employé dans cette étude car il s’agit d’un groupe encore largement utilisé dans la littérature scientifique.
Résultats
Alors que la biomasse de l’ensemble des êtres vivants de la Terre a été estimée à 546 Gt C, celle des espèces peuplant les océans ne vaut que 6 Gt C, soit à peine plus de 1 % du total !
Dans les océans, la biomasse des êtres vivants décroît selon l’ordre suivant :
- Animaux, principalement représentés par les Crustacés et les poissons (et parmi ceux-ci, essentiellement les petits de la zone mésopélagique)
- protistes
- aussi bien unicellulaires avec, notamment, les Diatomées, Coccolithophoridés et Dinoflagellés…
- que pluricellulaires avec, essentiellement, les Phéophycées
- Bactéries, et en particulier les cyanobactéries des genres Prochlorococcus et Synechococcus
- Plantes (Archéoplastidés)
- Archées
- virus, en particulier des phages, qui jouent un rôle important dans le recyclage des nutriments
- Champignons
Les trois premiers groupes de ce classement (Animaux, protistes et Bactéries) représentent à eux seuls près de 80 % de la biomasse océanique alors qu’ils ne forment que 2 % de la biomasse continentale ! À l’inverse, les Plantes, qui dominent largement les écosystèmes terrestres en y constituant plus de 80 % de la biomasse, ne représentent qu’une faible fraction de la biomasse océanique (moins de 10 %). Par ailleurs, cette dernière est, pour les deux tiers, constituée par des êtres vivants unicellulaires.
Enfin cette étude confirme un résultat bien connu en écologie : en milieu aquatique, la biomasse des consommateurs dépasse largement celle des producteurs (5 Gt C contre 1 Gt C). Une telle pyramide des biomasses s’explique par un taux de renouvellement des producteurs plus important que celui des consommateurs.
En permettant de mieux connaître la structure des écosystèmes océaniques ainsi que leur biomasse, cette étude permettra de mieux paramétrer le stock de carbone de ces environnements. Un élément important pour les modèles climatiques car, comme le souligne Yinon M. Bar-On, « la biomasse que nous avons estimée est deux fois plus importante que celle utilisée par le GIEC dans ses rapports ».
Référence
The Biomass Composition of the Oceans: A Blueprint of Our Blue Planet, Bar-On, Yinon M. et al. Cell, Volume 179, Issue 7, 1451 - 1454