Étude du mode d'action d'une molécule utilisée pour la contragestion et la contraception : le RU-486. Démonstration du rôle soit agoniste, soit antagoniste, de cette molécule vis à vis du récepteur à la progestérone.
Introduction
La progestérone agit, au niveau des cellules, en se fixant sur son récepteur (PR). Ce récepteur est situé, en l’absence de progestérone, dans le cytoplasme des cellules, et est associé à des protéines HSP ; il est ainsi inactif. En présence de progestérone, les protéines HSP se dissocient du PR, qui rentre alors dans le noyau, se dimérise, et peut agir sur la transcription de gènes.
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Plus précisément, le dimère de PR-progestérone se fixe sur des segments spécifiques de l’ADN, nommés PRE (Progesterone Responsive Elements : éléments de réponse à la progestérone). La fixation sur l’ADN du dimère PR-progestérone permet le recrutement des coactivateurs de transcription, et de la machinerie transcriptionnelle (voir (1) sur la figure 1). La progestérone agit donc sur l’expression de gènes, via l’activation de leur transcription.
Un agoniste de la progestérone, tel que le lévonorgestrel, est capable de se fixer sur le PR, et de l’activer, de manière semblable à ce que réalise la progestérone.
Un antagoniste de la progestérone est aussi capable de se fixer sur le PR, mais ne l’active pas : en mobilisant ainsi les PR de la cellule, il rentre en compétition avec la progestérone et en inhibe l’action.
Il existe des molécules à effet mixte : les antagonistes mixtes, ou agonistes – antagonistes. C’est le cas du RU-486 qui lie avec une haute affinité le PR. Les dimères de PR-RU-486 ont la même affinité pour l’ADN que les dimères de PR-progestérone : la fixation du RU-486 sur le PR permet donc toujours la fixation des dimères sur les éléments de réponse à la progestérone (PRE). Mais le RU-486 présente la particularité de pouvoir activer ou inhiber l’expression des gènes cibles de la progestérone, selon les cellules considérées… Le RU-486 n’est donc pas un simple antagoniste, comme on l’a cru un temps, mais une molécule avec un effet bien plus complexe…
Le RU-486 aurait une action non pas sur le recrutement de la machinerie de transcription, mais sur le recrutement des coactivateurs, ou d’éventuels corépresseurs.
Le RU-486, un antagoniste mixte
Afin d’étudier les conséquences de la présence du RU-486 sur l’expression des gènes sous le contrôle d’éléments de réponse à la progestérone (PRE), une construction utilisant un gène rapporteur (luciférase) a été introduite dans deux lignées de cellules (issues de cellules cancéreuses de tissus hormono-dépendants) : des cellules HeLa et des cellules T47D. La luciférase est une enzyme capable de transformer un substrat en produit luminescent. La mesure de la luminescence des cellules permet ainsi de mesurer directement le niveau de transcription du gène, et donc l’activité du promoteur le commandant.
En présence de progestérone, ces deux lignées de cellules transgéniques présentent une forte activité luciférase. En absence de progestérone ou de RU-486, le gène de la luciférase s’exprime légèrement.
En présence de RU-486, ces deux lignées cellulaires présentent un comportement opposé (figure 3) : le RU-486 permet une forte activation de l’activité luciférase dans les cellules T47D, mais induit, au contraire, une forte inhibition de cette activité dans les cellules HeLa.
Le RU-486 agit donc comme un agoniste de la progestérone dans les cellules T47D, mais comme un antagoniste dans les cellules HeLa.
La même expérience a été réalisée à partir d’extraits nucléaires, traités par la progestérone ou le RU-486, et les mêmes résultats ont pu être observés.
Que déduire de cette expérience ?
L’activité du RU-486 est différente selon les cellules considérées. Ceci suggère fortement que l’action du dimère de PR-RU486 est dépendante de molécules corégulatrices présentes dans la cellule. Ces molécules seraient différentes entre les cellules T47D et les cellules HeLa, conduisant à une activité activatrice du RU-486 dans les premières, et inhibitrice dans les secondes.
Cellules T47D et HeLA, coactivateurs et corépresseurs
L’étude précise des cellules T47D et HeLa permet de mettre en évidence une différence d’expression au niveau de certains cofacteurs de transcription, et en particulier de NCoR, SMRT et SRC-1. Ces protéines à localisation nucléaire sont connues pour leurs rôles :
Cofacteur | Signification du nom | Rôle dans la transcription |
---|---|---|
NCoR | Nuclear Receptor Corepressor : corépresseur de récepteur nucléaire | Corépresseur |
SMRT | Silencing Mediator for Retinoid an Thyroid hormone receptor | Corépresseur |
SRC-1 | Steroid Receptor Co-activator - 1 | Coactivateur |
Or il apparaît que les noyaux des cellules T47D sont riches en SRC-1 et pauvres en NCoR et SMRT. Au contraire, les noyaux des cellules HeLa possèdent plus de corépresseurs (NCoR et SMRT) que de coactivateurs (SRC-1) :
Cellule | Rapport $\frac{\textrm{SRC-1}}{\textrm{NCoR + SMRT}} = \frac{\textrm{coactivateurs}}{\textrm{corépresseurs}}$ |
---|---|
HeLa | 0,8 |
T47D | 2,4 |
À partir de cela, il est possible d’émettre l’hypothèse suivante : en présence de RU-486, le récepteur de la progestérone (PR) peut agir comme un inhibiteur de la transcription, si des corépresseurs sont présents (NCoR et SMRT par exemple). Par contre, en présence de coactivateurs (tels que SRC-1), les dimères de PR-RU486 agissent comme activateurs de la transcription des gènes cibles de la progestérone.
RU-486, coactivateurs et corépresseurs
Afin de vérifier cette hypothèse, une série d’expériences in vitro a été réalisée :
Ces expériences ont été réalisées dans de nombreuses conditions, résumées dans le tableau ci-dessous.
Co-facteur | Extrait nucléaire | Hormone | Expression |
---|---|---|---|
SMRT (+) | T47D | Progestérone | +++ |
SMRT (+++) | T47D | Progestérone | +++ |
- | T47D | Progestérone | +++ |
SMRT (+) | T47D | RU-486 | ++ |
SMRT (++) | T47D | RU-486 | + |
SMRT (+++) | T47D | RU-486 | - |
- | T47D | RU-486 | +++ |
- | T47D | - | - |
SRC-1 | HeLa | Progestérone | +++ |
- | HeLa | Progestérone | ++ |
SRC-1 | HeLa | RU-486 | +++ |
- | HeLa | RU-486 | - |
SRC-1 | HeLa | ZK98 | - |
- | HeLa | - | - |
Légendes : |
Ces données confirment les hypothèses émises :
La progestérone est peu sensible, dans son action sur la transcription, aux cofacteurs présents. Par contre, les cofacteurs présents influent grandement sur l’activité activatrice ou inhibitrice de la transcription du RU-486 : alors que dans des extraits T47D (riches en coactivateurs), le RU-486 conduit à une activation de l’expression, l’ajout du corépresseur SMRT annule cette activation.
Parallèlement, l’ajout de coactivateur (SRC-1) à un extrait HeLa (riche en corépresseur) permet de faire passer le RU-486 d’un statut d’inhibiteur à un statut d’activateur de la transcription.
Des expériences de co-immunoprécipitation montrent par ailleurs que les cofacteurs SRC-1 et SMRT sont capables de se lier aux dimères PR-RU-486. En présence de RU-486, le récepteur de la progestérone est accessible aussi bien aux activateurs qu’aux inhibiteurs. Au contraire, en présence de progestérone, seuls les coactivateurs peuvent accéder aux récepteurs de la progestérone.
Ainsi, la progestérone fonctionne uniquement en activateur de la transcription, alors que le RU-486 peut fonctionner, selon les cofacteurs présents (rapport coactivateurs / corépresseurs) en activateur ou en répresseur de la transcription.
Conclusion
Le RU-486 est un antagoniste mixte de la progestérone : selon le ratio coactivateurs/corépresseurs présent dans le noyau de la cellule, cet analogue de la progestérone peut, en se fixant sur le récepteur de la progestérone, activer ou inhiber la transcription des gènes cibles de cette hormone.
Le RU-486 est une molécule utilisée lors de certaines IVG (interruptions volontaires de grossesse), et lors d’interventions liées à des ITG (interruptions thérapeutiques de grossesse) ou des éliminations de fœtus morts in utero. Cependant, les mécanismes précis de l’action de cette molécule sont encore mal compris. Effectivement, il apparaît ici que l’activité du RU-486 peut dépendre des tissus, en fonction des concentrations de coactivateurs et de corépresseurs de transcription. On peut ainsi supposer (sans aucune preuve !) que le RU-486 puisse agir en antagoniste de la progestérone sur certains tissus, et comme agoniste sur d’autres, le tout pouvant, bien sûr, varier dans le temps…
Cette page a été rédigée d’après l’article original «Coactivator / corepressor ratios modulate PR-mediated transcription by the selective receptor modulator RU486», Liu Z et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA 99 (2002) : 7940-7944