Face à de nouveaux aliments, de nombreux oiseaux semblent présenter une réaction de peur. Cette néophobie alimentaire dépend notamment des caractéristiques de l'aliment (couleur, taille, forme...), de l'âge de l'oiseau ainsi que de facteurs génétiques et environnementaux. L'apprentissage aurait un rôle important dans l'expression d'un comportement néophobique.
C’est quoi la néophobie alimentaire ?
D’un point de vue étymologique, la néophobie signifie peur (phobie) de la nouveauté (néo). On distingue différents types de néophobies comme la peur des objets nouveaux, des environnements nouveaux ou des aliments nouveaux. D’un point de vue comportemental, la néophobie s’oppose à la néophilie (attrait pour la nouveauté) et se traduit par un comportement d’évitement transitoire envers un objet, un lieu ou un aliment simplement parce qu’il diffère de ce que l’animal connaît et a expérimenté. La néophobie alimentaire est très répandue dans le règne animal puisqu’on l’observe aussi bien chez les non-Vertébrés que chez les Vertébrés dont l’homme.
La néophobie alimentaire répond à des caractéristiques précises [1]. D’abord c’est une réponse transitoire. Quelle que soit son intensité de départ (évitement de plusieurs heures ou de quelques minutes), la réponse va s’éteindre (il n’y a plus d’évitement) après une expérience répétée avec l’aliment nouveau ; ce que l’on appelle l’habituation. Ensuite, l’évitement des aliments nouveaux ne dépend pas de l’état de faim de l’animal.
Pour certains auteurs, ces caractéristiques précises permettent de distinguer la néophobie alimentaire d’un autre trait comportemental très exprimé chez l’oiseau (et l’homme): le conservatisme alimentaire [2] . Dans ce cas une absence d’habituation va être observée même après de multiples présentations de l’aliment (parfois plus de 300 fois). Le conservatisme se caractérise par la durée de l’évitement qui peut durer plusieurs jours ou plusieurs mois alors que les propriétés olfactives ou visuelles de l’aliment ne sont plus inconnues. Même après avoir touché l’aliment (la phase de néophobie est passée), l’animal ne va pas consommer celui-ci.
L’évitement des aliments nouveaux a pour fonction de protéger l’organisme d’un potentiel risque d’intoxication et de conserver des « habitudes » alimentaires sûres. Cependant, l’expression de néophobie peut également constituer un frein pour la colonisation de nouveaux milieux, l’adaptation à des environnements changeants ou l’intégration de nouvelles ressources alimentaires [1]. La néophobie alimentaire peut avoir des conséquences délétères quand elle est fortement exprimée en conditions d’élevage où les oiseaux n’ont pas d’autre aliment que celui proposé par l’homme. La poule domestique (Gallus gallus domesticus) peut, par exemple, cesser de s’alimenter totalement ou partiellement pendant plusieurs jours lors de transitions alimentaires, c’est-à-dire lorsque qu’il y a des changements dans le contenu nutritionnel (et donc sensoriels) de l’aliment unique.
Bien que tous les auteurs s’accordent à définir la néophobie alimentaire comme une réponse « de peur », à ce jour seuls des marqueurs comportementaux ont été mis en évidence. Ainsi, en conditions naturelles, un ébouriffement des plumes et un comportement typique ritualisé de « jumping jacks » (petits sauts) est communément observé en présence d’un aliment nouveau [3, 4] . Les oiseaux vont exprimer des mouvements d’approche et des sauts de reculs à répétition traduisant une tension entre l’attrait et la peur de la nouveauté. Ces observations mettent en évidence un évitement actif et non pas passif de la nouveauté. En effet, le fait d’éviter certains stimuli nouveaux peut s’expliquer par une aversion dite passive (les stimuli nouveaux sont évités parce qu’ils ne sont pas reconnus comme des aliments, l’animal montre alors un manque d’attention). Au contraire, une aversion active est définie par le fait que le stimulus attire l’attention de l’animal mais qu’il y a un évitement lié à la réponse de peur.
Les vocalisations émises, notamment par les jeunes oiseaux, en présence d’un aliment nouveau, constituent une autre solution pour accéder à la composante émotionnelle. Chez les poussins de poule domestique, en plus de paramètres comme la latence à manger l’aliment nouveau (i.e. le temps mis avant de commencer à manger) et le temps passé à manger l’aliment nouveau lors de tests de courte durée (trois minutes), les vocalisations apportent un indice sur l’expérience émotionnelle sous-jacente à l’expression de néophobie [7] (voir vidéographies 1 et 2).
Réaction de poussins de poule domestique face à un aliment familier. Auteur : Aline Bertin
Cette vidéographie montre successivement quatre paires de poussins de poule domestique mis en présence de mangeoires contenant leur aliment familier (granulés de céréales) après une privation alimentaire d’une heure. À 6 secondes, à partir du moment où l’aliment est détecté, des vocalisations appelées « pleasure calls » sont exprimées. Elles traduisent un certain contentement. L’ensemble des poussins exprime cette vocalisation dans cet extrait vidéographique.
Réaction de poussins de poule domestique face à un aliment nouveau. Auteur : Aline Bertin
Cette vidéographie montre successivement quatre paires de poussins mis en présence de mangeoires contenant un aliment non familier mais comestible (des graines de blé et de maïs concassées) après une privation alimentaire d’une heure. À 1 et 3 secondes, chaque poussin va émettre une vocalisation : une « trille de peur ». Cette vocalisation est associée à un mouvement de recul de la mangeoire et elle est exprimée par l’ensemble des poussins dans cet extrait. À 6 et 37 secondes, des vocalisations appelées « cris d’appel » sont exprimées. Ces vocalisations d’une intensité bien supérieure aux trilles traduisent communément une émotion négative chez le poussin (peur). Entre ces deux types de vocalisations, d’autres vocalisations sont émises : des « cris de tension ».
Pour être certain que la néophobie alimentaire est bien associée à un état de peur il faudrait, en plus de ces marqueurs comportementaux, disposer de preuves physiologiques de cet état émotionnel. À ce jour, aucune étude n’a été réalisée afin de caractériser l’état physiologique d’oiseaux mis en présence d’aliments nouveaux. En revanche, on a pu déterminer que la présence d’un objet nouveau pourrait conduire à une émotion négative chez les oiseaux. En effet, en présence d’un objet nouveau, quelques travaux ont montré une augmentation de la concentration plasmatique en corticostérone, une hormone sécrétée en situation de stress [5]. Cependant, pour certains auteurs ce résultat s’explique principalement par le fait de tester les animaux isolés de leurs congénères et parfois en présence de l’homme ou après manipulation par l’homme [6]. De plus, la durée brève de la réponse émotionnelle et/ou sa faible intensité ne permettraient pas de doser correctement la corticostérone circulante. Malgré ce que suggère l’étymologie du terme, il n’est donc pas encore certain que la néophobie des aliments et des objets soit réellement associée à un état de peur.
La mise en place de la néophobie alimentaire
En conditions naturelles, on observe dans un premier temps une période de néophilie chez les jeunes oiseaux. Au contraire, les adultes se révèlent plus facilement néophobiques. Par exemple, chez une espèce réputée très néophobique comme le grand corbeau (Corvus corax), les jeunes sont attirés par tous les éléments nouveaux qui leur sont présentés et prennent contact avec eux spontanément, même lorsqu’ils sont correctement alimentés. Au contraire, les corbeaux adultes et sub-adultes s’approchent de façon beaucoup plus hésitante des aliments nouveaux et initieront ce contact seulement s’ils sont motivés par la faim [8,9]. Chez les passereaux, de manière générale, la néophobie est considérée comme caractéristique des adultes. Les juvéniles vont être très explorateurs puis, avec l’âge, ils vont ajuster leur comportement à celui des adultes [1].
Ce changement d’attitude pourrait être expliqué par un changement dans le rapport bénéfices/risques du comportement d’exploration de nouveaux aliments. Le principal bénéfice de ce trait est de pouvoir trouver de nouvelles sources de nourriture. Les risques correspondent à la possibilité de s’intoxiquer et d’être victime de prédateurs lorsque l’attention de l’animal est dirigée vers l’exploration de son environnement et de nouveaux aliments. Alors que les jeunes peuvent bénéficier de la surveillance de leurs parents pour éviter ce risque de prédations, les adultes, chez les espèces solitaires, sont plus vulnérables lorsqu’ils recherchent de nouvelles sources d’alimentation. Ceci pourrait expliquer la mise en place de la néophobie chez les adultes [10].
À l’inverse chez les jeunes, tant qu’ils ne sont pas familiers avec leur environnement, tout est nouveau et la néophilie demeurerait jusqu’à ce que l’individu devienne familier avec son environnement natal. Certains auteurs ont émis l’hypothèse que la mise en place de la néophobie se ferait par un phénomène d’« empreinte » (ou imprégnation) sur les aliments, analogue au processus d’empreinte filiale [1]. Durant une période sensible, l’animal associerait chaque aliment comestible à une sorte d’image mentale de référence. À la fin de cette période sensible, seuls les aliments enregistrés dans la mémoire de l’animal continueraient à être consommés. Ce phénomène permettrait de « protéger » les comportements alimentaires acquis mais très peu d’études ont été réalisées à ce sujet.
À l’âge adulte, une fois la néophobie installée, elle fonctionnerait en balance avec la néophilie. Comme les animaux sont en théorie libres d’éviter les nouveaux éléments entraînant une réaction de peur, il n’y aurait alors pas de contacts répétés pouvant mener à une habituation si seule la néophobie intervenait chez les adultes, sans contrepoids néophilique. Cette balance néophobie/néophilie permettrait également à certains individus de développer des « innovations alimentaires » au sein des populations [11] . L’exemple le plus connu est celui des mésanges charbonnières (Parus major) qui ont appris à ouvrir les bouteilles de lait sur les pas de porte en Angleterre. La néophobie serait un inhibiteur de la néophilie quand le degré de nouveauté est élevé. La tension interne entre ces deux axes se manifesterait par des comportements d’approche/évitement caractéristiques [12] et cette balance néophilie/néophobie serait une clé de voûte déterminante dans la capacité des oiseaux à s’adapter à de nouvelles ressources alimentaires.
Les facteurs déclencheurs
Les oiseaux utilisent leur vue et leur odorat pour reconnaître les aliments. En conséquence, les propriétés visuelles et olfactives des aliments jouent un rôle clé dans l’expression de ce comportement [13, 14]. Dès l’éclosion, certaines couleurs peuvent être spontanément attractives (vert) ou aversives (rouge) (dindes, poules [15]). Le facteur visuel influence l’expression de néophobie alimentaire à la fois chez les jeunes et chez les adultes. L’évitement plus prononcé pour certaines couleurs serait en lien avec les couleurs aposématiques : les oiseaux auraient tendance à éviter ces couleurs vives (rouge, orange), car elles font partie des signaux émis par certains insectes en avertissement de leur toxicité [16, 17] . En plus de la couleur, on notera aussi l’influence de la taille (plus la proie est grosse, plus les oiseaux s’en approchent avec précaution) ou de la forme (attirance des corvidés pour les aliments ronds et lisses et évitement des éléments longs et fins) [9]. Heinrich et al. [9] montrent aussi que les corvidés approchent de manière franche les chenilles lisses, mais présentent des comportements d’approche beaucoup plus hésitants (« jumping-jack ») en présence de chenilles recouvertes de poils.
Les propriétés olfactives seules, peuvent aussi engendrer une réponse néophobique. Loin d’être anosmiques, les oiseaux présentent des réponses marquées en présence de certaines odeurs ou lorsque l’odeur de leur aliment familier est changée. Des odeurs associées à un aliment toxique comme la pyrazine ou l’amande vont être évitées mais l’odeur d’orange, à la base non toxique, engendre également un évitement chez la poule alors que celle de vanille ne sera pas évitée [18, 19, 20]. Toutefois pour l’ensemble de ces études les concentrations utilisées n’étant pas équivalentes ni mentionnées, il est possible qu’une concentration trop forte provoque un évitement quelle que soit la substance utilisée. Chez le poussin, la présence d’une odeur familière dans l’environnement (la vanilline) peut faciliter l’acceptation d’un aliment nouveau [21].
Les oiseaux peuvent ainsi réagir au changement d’une seule modalité sensorielle de leur aliment (par exemple l’odeur) ou de plusieurs à la fois (par exemple l’odeur et la couleur). La combinaison de plusieurs facteurs potentialise la réponse néophobique : plus l’aliment diffère sensoriellement de ce qui est connu, plus la réaction va être marquée [2, 22] . De manière générale, c’est le changement dans les propriétés sensorielles ou des propriétés sensorielles inconnues qui vont engendrer une réponse néophobique.
Quel est le déterminisme biologique de ce comportement ?
La néophobie alimentaire est aussi caractérisée par une grande variabilité dans son expression et son intensité tant entre espèces, qu’entre populations d’une même espèce ou qu’entre individus d’une même population. À ce jour l’origine de cette variabilité reste peu étudiée.
Déterminisme génétique
Quelques travaux suggèrent une composante génétique à l’expression de néophobie alimentaire. Marples et Brakefield [23] ont ainsi sélectionné deux lignées de cailles japonaises divergentes sur leur vitesse de recrutement d’une nouvelle proie (insecte) dans leur régime alimentaire. L’absence de calcul d’héritabilité ne permet pas d’estimer le poids de la composante génétique. Dans le sens d’un déterminisme génétique, d’après une étude de Bókony et al. [24] sur plusieurs populations de moineaux domestiques (Passer domesticus), la néophobie alimentaire pourrait correspondre à un trait de personnalité (traits de comportement qui différent entre individus d’une même population d’une manière stable au cours du temps et des situations).
La température d’incubation
Très peu d’études portent sur l’influence de l’expérience embryonnaire sur l’expression de néophobie alimentaire. Une étude menée en conditions de laboratoire sur des poussins de poules domestiques montre cependant que la température d’incubation des œufs peut jouer un rôle sur l’expression de néophobie après éclosion.
Pour se développer, les embryons d’oiseaux ont besoin de la chaleur apportée par le corps du ou des parents qui se couchent ou s’assoient sur les œufs (comportement parental d’incubation). Chez un grand nombre d’espèces, une fenêtre très étroite de températures comprises entre 35,5°C et 38,5°C est considérée comme optimale pour le développement embryonnaire [25]. Cependant, des mesures de températures prises sur le terrain montrent qu’il est difficile pour les parents de maintenir une telle gamme de températures du fait qu’ils doivent quitter le nid régulièrement pour se nourrir, ou se défendre des prédateurs. En conséquence, en fonction de la qualité de l’environnement dans lequel se trouvent les parents, les embryons d’oiseaux sont plus ou moins exposés à des températures sub-optimales, c’est-à-dire en deçà de 35,5°C [26].
Des travaux récents montrent qu’une exposition répétée (deux fois 1h par jour) à une température sub-optimale (27°C) pendant le développement embryonnaire engendre des poussins plus enclins à exprimer de la néophobie alimentaire et spatiale (peur d’un environnement nouveau) [27]. En effet, des poussins exposés de manière chronique à une température sub-optimale pendant l’incubation montrent des latences d’approche d’un aliment nouveau plus longues que des poussins exposés in ovo à une température constante optimale de 37,8°C (poussins témoins) (Figure 1).
De plus, les poussins exposés à une température sub-optimale présentent également une plus forte densité de neurones exprimant la corticolibérine (neurotransmetteur) au niveau de l'amygdale ; c’est-à-dire au niveau du système limbique impliqué dans la régulation des émotions dont la peur.
La température d’incubation, bien que connue pour ses conséquences physiologiques et morphologiques sur les oiseaux, n’était pas étudiée à ce jour comme facteur pouvant influencer le développement comportemental des oiseaux. Ces travaux suggèrent que la température d’incubation et le comportement parental d’incubation pourraient être à l’origine de variabilité inter-individuelle dans l’expression de la néophobie alimentaire.
L’expérience alimentaire après éclosion
De nombreux travaux ont montré que la diversité de l’environnement précoce jouerait un rôle déterminant dans l’expression de néophobie alimentaire. Ces recherches avaient notamment pour but de trouver des moyens de diminuer la peur des nouveaux aliments chez les oiseaux d’élevage. Il a ainsi été possible de montrer que même des expériences de très courtes durées réalisées à un âge précoce sont suffisantes pour faciliter ultérieurement l’acceptation d’aliments nouveaux. Par exemple, Marples et al. [28] ont montré que la possibilité pour des poussins d’interagir avec des granulés colorés en rouge, bleu, jaune ou vert pendant deux sessions de 3 minutes à 3 et 4 jours d’âge réduisait de manière très significative les latences à approcher et à manger des granulés colorés en noir à l’âge de 5 jours par rapport à des poussins qui n’ont expérimenté aucun changement.
De même, Jones [13] montre que des poussins nourris avec des aliments colorés en rouge, jaune ou vert avant présentation d’un aliment bleu acceptent beaucoup plus rapidement de toucher et de manger l’aliment que des poussins sans expérience de diversité visuelle. Une seule session d’une minute avec un aliment coloré est même suffisante pour réduire significativement les latences d’approche ultérieures [18]. Par contre, si le poussin rencontre une seule fois une expérience négative en ingérant un aliment nouveau (goût amer), la réponse de néophobie va se remettre en place à la même intensité que des animaux non-expérimentés. Pour réduire l’expression de néophobie il apparaît nécessaire que les oiseaux puissent apprendre que la nouveauté ne constitue pas un danger. Cet apprentissage nécessiterait la possibilité que l’oiseau puisse interagir lui-même avec un aliment nouveau. En effet, apprendre en interagissant directement avec un aliment nouveau apparaît bien plus efficace que de regarder les autres manger ce même aliment ou de simplement voir l’aliment nouveau sans pouvoir le toucher [18].
Plus le temps passé à pouvoir interagir avec un aliment nouveau sera long et plus le poussin acceptera rapidement un autre aliment inconnu. De même, chez la jeune dinde, de longues durées d’exposition à des aliments nouveaux vont être plus efficaces pour réduire la néophobie que de courtes durées d’exposition [29] . L’ensemble des travaux menés suggère que l’expérience du changement a plus d’importance que la nature des stimuli proposés.
Dans les populations naturelles, une hypothèse actuelle sur l’origine de la variabilité observée dans l’expression de néophobie alimentaire concerne le type d’habitat fréquenté par les oiseaux. En environnement urbain, les occasions de rencontrer des aliments nouveaux sont nombreuses et le risque de prédation réduit, il est donc théoriquement attendu que les populations urbaines soient moins néophobes que les populations rurales [30] .
L’influence sociale
En plus de l’environnement, il existe également une influence sociale dans l’expression de néophobie alimentaire. Pour de nombreux oiseaux, un contact parental prolongé permettrait aux jeunes de bénéficier d’un modèle d'apprentissage concernant l’emplacement et la nature des ressources alimentaires. Chez le roselin familier (Carpodacus mexicanus), les jeunes élevés par des adultes qui évitent l’avoine (du fait d’une aversion induite par traitement chimique) évitent cet aliment de façon plus marquée que les jeunes élevés par des adultes qui mangent de l’avoine ; cette aversion disparaît lorsque les jeunes sont exposés individuellement et de façon répétée à l’aliment (habituation) [31]. L’auteur de cette étude émet alors l’hypothèse que la néophobie alimentaire des jeunes est influencée par les parents de deux manières possibles : (i) les jeunes se souviennent du goût et de la texture des aliments qui leur étaient proposés par leurs parents et les comparent avec les caractéristiques des aliments qu’ils mangent eux-mêmes ; (ii) les jeunes ont appris quoi manger en observant les adultes (apprentissage par observation).
La présence d’un démonstrateur peut dans certains cas faciliter l’acceptation d’un aliment nouveau. Chez la poule domestique adulte, la présence d’un démonstrateur entraîné à picorer l’aliment familier coloré artificiellement en rouge (couleur à la base aversive) peut favoriser l’acceptation de ce même aliment coloré par des observateurs [32]. Au sein d’un groupe, le statut social joue aussi un rôle important dans la manière dont les animaux vont approcher une ressource inconnue. Par exemple, chez la corneille noire (Corvus corone), les mâles reproducteurs, dominants, sont toujours les premiers à initier le contact avec l’aliment nouveau, suivis par les mâles immigrants, puis par les jeunes et enfin par les femelles reproductrices, ce qui correspond à la hiérarchie de rang social observée dans cette espèce [33]. De la même manière chez le grand corbeau il existe un initiateur de contact avec l’aliment nouveau qui sera de statut dominant. Les subordonnés ne s’intéressent qu’aux items déjà explorés par l’initiateur, même s’ils ont faim et même si d’autres items sont proches [9]. L’exploration du mâle dominant permettrait aux subordonnés de surmonter leur néophobie alimentaire, ce qu’ils ne font pas en l’absence de l’initiateur. Chez les choucas des tours (Coloeus monedula) ou la mésange à tête noire (Poecile atricapillus) les initiateurs du contact sont des oiseaux de rang moyen ou bas, les oiseaux de haut rang social ne s’approchant de l’aliment nouveau qu’après initiation de ce premier contact par un autre individu [34]. Le fait d’être chassés des ressources pourrait favoriser l’exploration d’autres ressources et la prise de risques par les subordonnés pour s’alimenter.
Conclusion
L’ensemble des données montre que la néophobie alimentaire ne se résume pas une simple réponse d’évitement face à un aliment inconnu. À la base de ce comportement se déroule un processus cognitif consistant à percevoir, évaluer et catégoriser l’aliment comme connu ou inconnu. Ce processus fait appel à la fois à la perception des informations sensorielles provenant de l’aliment, à l’apprentissage et à la mémoire. L’évaluation qui sera faite de l’aliment conduira ou non à l’expression de néophobie. La grande variabilité observée dans l’expression de ce comportement peut s’expliquer, d’après la littérature, par l’importance considérable de l’expérience de chaque individu avec son environnement biotique et abiotique. Encore très peu étudiée, l’expérience in ovo peut, à la base, prédisposer les individus à exprimer plus ou moins de néophobie notamment en jouant sur la construction du système limbique. Par la suite, après l’éclosion, nous pouvons penser que plus les oiseaux auront une expérience sensorielle diversifiée au cours de leur vie (sans risque d’intoxication) moins ils seront enclins à exprimer de la néophobie.
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