Le cycle de vie du polypode (Polypodium vulgare) est un cycle typique des Embryophytes, c'est-à-dire où une génération sporophytique, diploïde et produisant les spores, alterne avec une génération gamétophytique, haploïde et produisant des gamètes. Les structures associées à la reproduction sexuée du polypode peuvent facilement s'observer à la loupe binoculaire et au microscope.
Le polypode (Polypodium vulgare) est une espèce de fougère très commune qu’on trouve sur des talus forestiers, des escarpements rocheux, des murs, des troncs d’arbres, etc. dans toute la France métropolitaine, mais aussi dans toute l’Europe, en Afrique du Nord et jusqu’en Asie centrale (Figure 1).
La partie la plus visible est la fronde. Une fronde est une feuille « vraie » (ou euphylle), c’est-à-dire constituée d’un pétiole et d’un limbe (Figure 2). Chez cette espèce, le limbe est lobé avec une nervation ramifiée.
Les frondes paraissent généralement alignées, car elles croissent depuis une tige rampante, un rhizome, d’où naissent également les racines qui assurent la nutrition hydrominérale de la plante et un ancrage sur le substrat.
Nous allons ici nous intéresser au cycle de vie (ou cycle de reproduction) du polypode, qui est typique des fougères et est couramment enseigné dans les cursus universitaires. La reproduction sexuée du polypode permet de générer de nouveaux individus, différents de leurs parents. Cette diversité est permise par les brassages génétiques réalisés par la méiose et la fécondation (étapes caractéristiques de la reproduction sexuée des Eucaryotes). Chez les fougères, les individus feuillés sont diploïdes. À la différence des animaux, où la méiose produit des gamètes haploïdes qui fusionnent directement pour former une cellule œuf diploïde, chez les fougères, la méiose produit des spores haploïdes. Ces spores sont portées par les individus feuillés que l’on qualifie ainsi de sporophytes (Figures 1 et 2). Après dispersion par le vent, une spore haploïde germe et se divise par mitoses, formant un individu haploïde qui produit des gamètes (le gamétophyte, ou prothalle). Ces gamètes fusionnent et produisent de nouveaux sporophytes diploïdes1. Le cycle comprend donc deux générations l’une diploïde, l’autre haploïde, comme chez toutes les Embryophytes (plantes terrestres, Figure 3).
Les spores sont produites par méiose sur le sporophyte
Les individus feuillés que nous venons de présenter sont des sporophytes car, nous allons maintenant le voir, ce sont eux qui produisent et portent les spores.
Les parties fertiles sont situées sur la face inférieure des frondes (Figure 4). Il s’agit de petits disques d’aspect granuleux, les sores. Leur observation à la loupe binoculaire permet de distinguer un amas constitué de dizaines de sporanges, dans lesquels se forment les spores (Figure 5). La feuille qui porte les spores est appelée sporophylle.
L’observation de sporanges au microscope optique permet de mieux en apprécier la structure (Figure 6). Chacun est constitué d’un filament (pédicelle) portant un petit sac terminal constitué de plusieurs cellules et produisant des spores. L’observation de coupes de sporanges à différents stades permet de démontrer que les spores sont produites à partir d’une cellule mère par quatre mitoses suivie d’une méiose, formant finalement 64 spores.
Une file de cellules est nettement visible, c’est l’assise ou anneau mécanique. Elle est formée de cellules de grande taille, et à paroi lignifiée en U. Elle se déshydrate à maturité et se rétracte comme un ressort. Ceci déchire le sporange et libère les spores.
Les spores de polypode ont une forme de demi-lune. Ce sont des structures de dispersion typiques, dans laquelle la cellule reproductrice est protégée par une paroi permettant de résister aux agressions physiques et biotiques. Ceci est notamment assuré par la présence dans sa partie externe de sporopollénine, qui est la substance biologique la plus résistante connue 12.
La cellule à l’intérieur présente plusieurs caractéristiques qui permettent une survie prolongée. Un état de déshydratation poussé associé à une vie ralentie permettent de résister aux conditions adverses du milieu (froid, sécheresse, UV, etc.). La taille réduite et les réserves lipidiques (offrant un meilleur rapport quantité d’énergie stockée/masse que les glucides), la rendent dispersable facilement. Ces réserves permettent également le développement initial d’un nouvel individu.
Les spores dispersent et se développent en prothalle
Les spores dispersent de façon très efficace sous l’effet du vent et peuvent ainsi être transportées sur des distances allant de quelques centimètres à plusieurs milliers de kilomètres (des spores ont été retrouvées dans des courants d’altitude, ou jetstream). Une spore qui arrive dans des conditions favorables germe. Le développement est d’abord assuré par les réserves lipidiques puis par la photosynthèse. Les mitoses successives forment en effet un prothalle vert, photosynthétique (Figure 7). Il s’agit d’un individu prostré (c'est-à-dire se développant très près du sol), très mince, en forme de cœur et mesurant moins d’un centimètre (sa discrétion empêche généralement de l’observer facilement en conditions naturelles). Il est constitué d’une seule couche de cellules haploïdes, sans différenciation importante hormis des rhizoïdes. Ces structures se distinguent des racines car, à la différence de ces dernières qui sont composées de différents types de cellules différenciées, elles ne sont formées que de filaments de cellules. Les rhizoïdes servent principalement à la fixation au substrat, mais pourraient également être impliquées dans la nutrition hydrominérale 3.
L'observation de prothalles en milieu naturel
Les fougères sont présentes un peu partout sur notre territoire : forêts, vieux murs, bordures de cours d’eau, zones humides, sans compter les forêts tropicales des territoires ultramarins.
Vu la répartition et l’abondance des fougères, les prothalles sont nécessairement des objets biologiques communs. En effet, partout où se trouve un sporophyte, il y a eu un prothalle. Pourtant, de nombreux botanistes confirmés n’en ont jamais observé, et encore moins en conditions naturelles.
Voici quelques conseils qui vous permettront peut-être d’en trouver vous-même :
- chercher des endroits où la végétation est peu dense, afin de pouvoir repérer facilement de très jeunes sporophytes (de quelques millimètres à quelques centimètres). La présence de jeunes sporophytes est un indice qu’il y a eu des prothalles récemment et qu’il en reste peut-être encore ;
- les prothalles de fougères peuvent être particulièrement abondants dans des conditions de faible luminosité (entrées des grottes, éclairages artificiels souterrains) ;
- rarement, il est possible d’observer de petites languettes à la base du sporophyte qui semblent correspondre au prothalle (une observation microscopique est alors nécessaire pour confirmer) ;
- des prothalles peuvent parfois être observés sur des rochers en bordure de cours d’eau, avec des jeunes sporophytes.
Avec cette image de recherche en tête, saurez-vous les repérer la prochaine fois que vous en croiserez ?
Les gamètes sont produits par mitoses sur le prothalle, qui constitue donc le gamétophyte
Le prothalle est un individu sexué, hermaphrodite et qui, produisant les gamètes, est donc qualifié de gamétophyte (Figure 8). Chez le polypode, les gamètes mâles et femelles sont produits par mitoses respectivement dans les anthéridies et les archégones. Ces deux structures sont des enveloppes constituées de cellules qui protègent la gamétogenèse du milieu aérien (on parle de gamétanges). Elles sont produites sur la face inférieure du prothalle.
Les anthéridies sont produites vers la pointe du cœur formé par le prothalle (Figure 9). Ce sont de simples sacs sphériques. Chacun produit par mitoses 32 spermatozoïdes nageurs et biflagellés.
Les archégones sont produits au niveau de l’échancrure du cœur formé par le prothalle (Figure 10). Ils ont une structure plus complexe : une partie renflée (ventre) contient une oosphère (gamète femelle), tandis qu’une partie allongée (le col) dépasse du prothalle. Les oosphères sont sphériques, de grande taille et non libérées à maturité.
La fécondation a lieu sur le prothalle, en présence d’eau
Les spermatozoïdes sont libérés dans le milieu en présence d’une pellicule d’eau (pluie ou rosée) qui leur permet de nager à une distance pouvant atteindre quelques centimètres. À maturité, les cellules du canal du col dégénèrent et laissent un passage qui permet aux spermatozoïdes d’accéder aux oosphères et de les féconder pour former un œuf (ou zygote), qui est diploïde.
Les anthéridies d’un prothalle étant mâtures avant les archégones, l’autofécondation est limitée. Ce décalage temporel dans la maturité des gamétanges favorise la fécondation croisée, c’est-à-dire entre les spermatozoïdes d’un prothalle et les oosphères d’un autre prothalle. Cette fécondation croisée est à l’origine d’une plus grande diversité génétique des zygotes que celle qui serait obtenue par autofécondation.
Le sporophyte croît d’abord aux dépens du prothalle puis devient indépendant
Le zygote diploïde formé se divise par mitoses et forme une nouvelle génération de sporophyte, une nouvelle plante entière avec feuilles (frondes), tige (rhizome) et racines (Figure 11). Il croit aux dépens du prothalle jusqu’à devenir indépendant.
Bilan : le cycle de vie du polypode
À partir des différents éléments présentés ici, nous pouvons récapituler le cycle de vie du polypode (Figure 12).
Nous pouvons souligner quelques caractéristiques de ce cycle de vie :
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La présence de deux générations morphologiques distinctes et successives. Le sporophyte, avec ses frondes bien visibles, produit les spores. Le prothalle, discret car plus petit et prostré au sol correspond au gamétophyte, qui produit les gamètes. Le cycle de reproduction du polypode se caractérise donc par l’alternance entre une phase diploïde et une phase haploïde : il est qualifié d’haplo-diplophasique.
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Cette alternance de deux générations est permise par les étapes fondamentales de la sexualité eucaryote que sont la méiose et la fécondation. Entre chacune de ces deux étapes, des mitoses permettent le développement de deux types d'individus : sporophyte (individu feuillé) et gamétophyte (prothalle).
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La présence d’une génération haplophasique présente l’avantage de pouvoir purger des mutations délétères d’une population. En effet, chez le prothalle, haploïde, chaque allèle n’est présent qu’en un seul exemplaire. Un allèle délétère qui empêcherait le développement du prothalle ne pourrait donc être transmis à la génération suivante.
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La fécondation est strictement dépendante de l’eau, elle est zoïdogame (l’un des gamètes, le spermatozoïde, est nageur) et oogame (l’autre gamète, l'oosphère, n’est pas nageur).
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La diplophase est dominante.
Certaines de ces caractéristiques ont une valeur cladistique en définissant des groupes évolutivement cohérents, c'est-à-dire monophylétiques (Figure 3) :
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Le cycle à deux générations avec fécondation zoïdogame correspond au cycle fondamental des Embryophytes. Les végétaux de ce groupe se caractérisent également par la présence de sporanges et de gamétanges (anthéridies et archégones).
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La présence de plusieurs sporanges et d’une diplophase dominante est partagée par toutes les Trachéophytes actuelles (chez lesquels on trouve également des éléments vasculaires lignifiés).
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Le sporange pédicellé (leptosporange) est caractéristique du groupe des fougères leptosporangiées, qui réunit la très grande majorité des espèces actuelles de fougères.
Conclusion : un cycle typique des fougères, chez lesquelles des variations existent néanmoins
Le cycle de vie du polypode est partagé par de nombreuses fougères. Il s’agit d’un exemple classique des cours de biologie, ce qui explique la présence d’anciennes planches pédagogiques dans divers établissements supérieurs ou secondaires (Figure 13).
Cependant, les quelque 12 000 espèces de fougères connues dans le monde présentent certaines variations dans leurs cycles de reproduction. En voici quelques exemples non exhaustifs :
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les sores peuvent être protégés par des membranes appelées indusies (en forme de parapluie chez Dryopteris sur la planche ci-dessus, ou encore les Asplenium) ;
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certaines espèces (cryptogramme crépue, osmonde royale, etc.) présentent un dimorphisme foliaire : elles possèdent à la fois des frondes stériles et des frondes fertiles, de formes différentes ;
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chez les fougères eusporangiées (ophioglosses, lunulaires, etc.), les sporanges sont de grandes taille, non pédicellés et l’enveloppe est constituée de plusieurs assises de cellules (caractère ancestral, partagé aussi avec les Équisétophytes, représentées actuellement par un seul genre, Equisetum) ;
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la forme des prothalles et la position des gamétanges sur le prothalle diffèrent chez certaines espèces ;
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certaines fougères (Marsilea, Salvinia, etc.) produisent, de façon convergente avec les sélaginelles et les plantes à graines (Spermatophytes), des spores de tailles différentes à l’intérieur desquelles se développent des prothalles mâles et femelles distincts (hétérosporie et endoprothallie). Dans ces cas, les spores mâles contiennent un prothalle réduit à une anthéridie, tandis que les spores femelles, nettement plus grosses, forment un prothalle avec des cellules de réserve et quelques archégones.
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la forme des spores est variable, ainsi que l’ornementation de la périne (partie extérieure visible) ce qui permet de reconnaître certains groupes de fougères dans des archives sédimentaires ou géologiques.
Enfin, de nombreuses fougères peuvent également se reproduire de façon asexuée par fragmentation du rhizome des sporophytes. La reproduction asexuée est possible également pour les prothalles. Dans certaines espèces, notamment de Vandenboschia speciosa en Europe centrale, les individus ne produisent pas de sporophytes et vivent à l’état de gamétophytes pérennes, se reproduisant donc uniquement de manière asexuée par la production de propagules !