Les greffes

Un pépiniériste possédant une variété végétale d’intérêt va chercher à multiplier fidèlement celle-ci. Le problème posé par la reproduction sexuée, notamment en cas de fécondation croisée, est qu’elle rend les semis hétérogènes : les dix pépins d’une pomme ‘Reine des reinettes’ donneront dix variétés nouvelles. Pour obtenir un clone de ‘Reine des reinettes’ il faut avoir recours à la multiplication végétative. Quand le bouturage ou le marcottage sont impossibles ou trop coûteux, la solution est le greffage.

Greffer, c’est tenter l’union du greffon, partie de végétal à multiplier, avec le porte-greffe.

Le greffage permet également de :

  • Choisir le porte-greffe, adapté au sol et à la vigueur souhaitée, résistant aux maladies ou aux insectes. Exemple : avant l'invasion du phylloxéra, les vignes étaient simplement bouturées et sont depuis la fin du dix-neuvième siècle, greffées sur des porte-greffe résistants aux attaques de cet insecte.
  • Améliorer la pollinisation d’un arbre en lui greffant un autre cultivar, ce qui va permettre la fécondation croisée (l’autofécondation étant rare chez les arbres fruitiers).
  • Changer un cultivar peu intéressant par un autre.
  • Réparer de graves blessures. Par exemple les greffes en pont permettent de rétablir la circulation de la sève élaborée entre les parties aériennes et souterraines du végétal si le liber a été endommagé par un accident ou un animal.
  • Consolider des arbres à charpente fragile : greffe en arc boutant.
  • Sauvegarder des cultivars en voie de disparition.
  • Tester si les greffons sont virosés en les greffant sur des porte-greffe réputés sensibles : si le greffon est virosé, il peut entraîner la mort du porte-greffe. Inversement il est possible de mesurer la sensibilité d’un cultivar à certains virus en le greffant sur des porte-greffe virosés.
  • Se faire plaisir soit trois semaines après lors de l’entrée en végétation du greffon, soit quelques années plus tard lors des récoltes, soit bien plus tard lors de la fabrication d’objets en bois issus de cet arbre ou simplement lors du doux rayonnement émis par les braises. Ces plaisirs sont cumulables !

Les inconvénients du greffage sont la transmission des virus et la diminution de la durée de vie de l’arbre greffé. Le greffage en rendant les arbres d’un verger génétiquement homogènes favorise la propagation des bioagresseurs.

Quelques types de greffe

Les flèches rouges indiquent le greffon, les vertes le porte-greffe.
(A) Greffe d’un pollinisateur dans l’arbre à féconder. Le rameau greffé va permettre une meilleure pollinisation de l’arbre.
(B) Le tronc du porte-greffe avait été endommagé jusqu’au bois. La mise en place de greffons, sur la périphérie, a permis de rétablir la circulation de la sève élaborée et de la sève brute. Photographie prise deux ans après la greffe dite « en pont ».
(C) Greffe en arc-boutant après un an (à gauche) et six ans (à droite).

Auteur(s)/Autrice(s) : Denis-Jacques Chevalier Licence : CC-BY-NC-ND
Un bourrelet de recouvrement
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La lecture de la suite de cet article nécessite de bien connaître la structure des tiges secondaires des arbres.

Blessures, cals et bourrelets de recouvrement

Le greffage nécessite de blesser les deux partenaires jusqu’au cambium afin de mettre en contact permanent ces cambiums respectifs. Suite à une telle blessure, deux types de structure peuvent être mises en place par le végétal lésé : les bourrelets de recouvrement et le cal.

Si la blessure reste exposée à l’air libre, il se met en place un bourrelet de recouvrement. Il s’agit d’un ensemble de tissus recouvrant une blessure ayant mis à nu une partie du bois. Ce bourrelet est produit par les deux méristèmes secondaires : cambium et phellogène. Il est donc constitué par du bois, du liber, du phelloderme (éventuellement) et du liège.

Aspect cotonneux du cal
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Si la blessure est protégée de la lumière et de la déshydratation par une bâche étanche, il se forme un cal (du latin callum, callosité). Il s’agit un amas de cellules indifférenciées issu des mitoses de cellules peu spécialisées comme celles du parenchyme, qui se sont dédifférenciées. Bien que totipotentes, les cellules de cal ne sont pas méristématiques mais certaines le deviendront et initieront, sous l’action de certaines hormones (auxine en particulier), un néocambium et un néophellogène. Environ quarante jours après la blessure, les cellules du cal vont se lignifier et lui donner l’aspect du bois mais pas sa structure.

Ainsi, la production du cal peut être assimilée à une cicatrisation puisque la tige retrouve une structure proche de son état initial. Par contre, la production d’un bourrelet de recouvrement ne fait, comme son nom l’indique, que recouvrir la zone blessée.

Lors du greffage, il y a production d’un cal de jonction entre le greffon et le porte-greffe. C’est au niveau de ce cal que s’initie le néocambium, qui permet l’établissement des liaisons vasculaires entre les libers et les bois des deux partenaires produits après le greffage par le cambium resté vivant. Le cal initie également le néophellogène qui protège les tissus de l’union.

Évolution des blessures en fonction du type de coupe

Premier type de blessure : coupe longitudinale

Blessure de type « coupe longitudinale »

Une coupe longitudinale, légèrement sécante au bois a été réalisée sur une tige de pommier ‘Reinette d’Armorique‘, en deuxième feuille. La blessure a été réalisée le 2 juillet sur une tige de 9 mm de diamètre.

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Évolution des blessures suite à une coupe longitudinale

Deux blessures identiques, de type « coupe longitudinale » (voir Figure 4) ont été réalisées le 2 juillet. Celle du bas a été protégée par un film plastique opaque. Les photos ont été prises le 23 août (à gauche : sections transversales).
En haut : Un bourrelet de recouvrement, produit par le cambium et le phellogène s’est mis en place. Il est impropre de dire « bourrelet cicatriciel ».
En bas : Un cal, amas de cellules indifférenciées, produit essentiellement par dédifférenciation du parenchyme libérien, s’est mis en place. Dans ce cal vont s’initier le néo-cambium et le néo-phellogène. Il est possible, ici et seulement ici, de parler de « cal cicatriciel ». Lors du greffage, ce cal est dit « de jonction » (callus bridge dit-on outre-Manche).

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Cet exemple montre qu’une même blessure peut déclencher deux processus complètement différents suivant les conditions. À l’air libre, ce qui correspond aux conditions « naturelles », il se forme un bourrelet de recouvrement. Par contre, si la blessure est protégée suite à une intervention humaine, c’est un cal qui se met en place. Hors greffage, il n’est pas conseillé de recouvrir les blessures, il faut laisser le recouvrement se faire naturellement.

Production de cal suite à une coupe longitudinale

Une blessure de type « coupe longitudinale » (voir Figure 4) a été réalisée le 2 juillet sur une tige de pommier d’un diamètre de 18 mm, protégée aussitôt par un film plastique opaque. La photographie, prise le 2 août, montre des strates de cal. Le fait que le cal soit formé de cellules indifférenciées laisse supposer qu’il pourrait provenir de cellules elles-mêmes peu différenciées. Ainsi, le cal pourrait provenir des zones parenchymateuses du liber, ainsi que des initiales des rayons du cambium (qui donnent naissance au parenchyme libérien). Cette hypothèse est appuyée par la localisation des cellules du cal. Noter par ailleurs les petits cals provenant des lenticelles (flèches oranges) et l’absence de cal au niveau du bois (flèche bleue).

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Production de cal suite à une coupe longitudinale

Un greffon de pommier, de 8 mm de diamètre, a été placé le 4 mai dans une boîte opaque et hermétique. La photographie, prise le 7 juillet, montre des strates de cal. Le cal pourrait provenir des zones parenchymateuses du liber, ainsi que des initiales des rayons du cambium. Cette hypothèse est appuyée par la localisation des cellules du cal.

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Deuxième type de blessure : coupe transversale

Blessure de type « coupe transversale »

Une coupe transversale a été réalisée sur une tige de pommier ‘Président Descours‘ en neuvième feuille. La tige a un diamètre d’environ 95 mm.

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Formation d’un cal à partir du parenchyme libérien

La tige sectionnée le 15 mai a été placée dans un sac hermétique, dans une cave. L’observation est réalisée le 7 juillet. Elle met en évidence que le cal provient essentiellement du parenchyme libérien.

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Formation d’un cal

La tige sectionnée le 14 juin a été aussitôt recouverte d’un film plastique noir. L’observation est réalisée 26 jours plus tard. Elle met en évidence que le cal provient des initiales de rayons. Le liber s’est déshydraté superficiellement.

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Formation d’un bourrelet de recouvrement

La tige sectionnée le 16 juillet à été exposée à l’air libre. L’observation, un mois plus tard, montre la formation d’un bourrelet de recouvrement (flèches blanches) issu des deux méristèmes.

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Coupe longitudinale d’un bourrelet de recouvrement, suite à une section transversale

Le bourrelet de recouvrement a pour origine les deux méristèmes.

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Troisième type de blessure : soulèvement du liber et mise à nu du bois.

Un autre type de blessure consiste à soulever le liber, ce qui met à nu le bois. Un cal peut alors se former dans les conditions suivantes :

  • le bois ne doit pas avoir été sectionné dans l’opération
  • la blessure doit être protégée des UV et de la déshydratation

En pratique il est assez rare que le cal se développe sur le bois, c’est essentiellement côté liber que celui-ci est produit.

Soulèvement du liber et mise à nu du bois

Un rectangle « d’écorce » a été ôté d’une tige de pommier d’un diamètre de 32 mm.
À gauche : observation de la blessure, 24 heures après
Au centre : si la tige a été aussitôt protégée par un film plastique noir, il se forme un cal abondant, même sur le bois. Ce cal provient des rayons du xylème, le cambium ne survivant pas dans ces conditions.
À droite : si la tige a été laissée à l’air libre, un bourrelet de recouvrement se met en place à partir des initiales abritées entre le bois et le liber non décollé.

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Soulèvement du liber et mise à nu du bois, en laissant un îlot « d’écorce »

À gauche : une tige de pommier a été blessée le 27 septembre.
À droite : observation le 6 juillet de l’année suivante. Le bourrelet est produit à partir des initiales abritées entre le bois et le liber non décollé, mais uniquement par celles situées en périphérie. Les initiales de l’îlot ne sont effectivement pas alimentées en sève élaborée car les tubes criblés ont été sectionnés.

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Îlot en coupe transversale

L’îlot central est encore vivant grâce à la faible circulation radiale de la sève minérale.

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La liaison greffon/porte-greffe

La greffe à l’anglaise simple (photographies)

Dans une greffe à l’anglaise simple, le greffon et le porte-greffe sont coupés en biseau. Vue de face sur les trois images de gauche, vue de profil sur les deux images de droite. En vert, le cambium.

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Coupes longitudinales d’une greffe à l’anglaise simple (schéma)

À gauche : lors d’une greffe à l’anglaise simple, le porte-greffe et le greffon sont coupés en biseau, mis en contact et ligaturés fortement.
Au centre : schéma illustrant les différents tissus initialement présents chez le porte-greffe et le greffon, ainsi que les tissus mis en place suite à la greffe.
À droite : photographie d’une greffe à l’anglaise simple, quarante jours après sa mise en place

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La greffe « Van Gogh »

Le porte-greffe et le greffon, tous deux des pommiers de 8 mm de diamètre, ont été sectionnés transversalement et mis en contact le 20 avril et ligaturés façon Autoportrait à l'oreille bandée de Van Gogh . L’observation en coupe longitudinale est réalisée le 7 juillet. Elle montre que le cal de jonction a « soulevé » le greffon. Les vaisseaux et les tubes criblés d’origine du greffon et du porte-greffe sont devenus inopérants. Les nouveaux tissus conducteurs ont été produits par le néocambium qui s'est initié dans le cal de jonction permettant une continuité cambiale, puis une continuité vasculaire, entre les deux partenaires.

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