Le cartilage est un tissu essentiel au bon fonctionnement de nos articulations. Il est constitué de cellules, les chondrocytes, qui synthétisent une abondante matrice extracellulaire composée de molécules comme le collagène et les protéoglycanes. L’arthrose se caractérise par une synthèse insuffisante de cette matrice, qui est notamment liée à une déficience de production d’ATP et de NADPH par les chondrocytes. Jusqu’à présent, les essais visant à augmenter la teneur des chondrocytes en ATP et NADPH (via des apports exogènes ou via des actions sur les voies métaboliques produisant ces molécules) présentaient de fortes limites pour leur mise en œuvre (coût élevé) ou avaient des effets néfastes (mort cellulaire, stress oxydant).

Pengfei Chen et ses collaborateurs ont cherché à mettre au point, au sein des chondrocytes, un système de production d’ATP et de NADPH, qui soit à la fois contrôlable et indépendant des voies métaboliques de la cellule 1. Pour ce faire, ils ont développé un système innovant, dérivé de thylakoïdes d’épinard. Ceux-ci, mesurant 760 nm en moyenne, ont servi à produire des unités nanoscopiques de thylakoïdes mesurant environ 130 nm. Ces nanothylakoïdes, qui conservent toutes les protéines nécessaires à la photosynthèse, ont été testés in vitro : à la lumière, ils produisent de l’ATP à partir d’ADP et réduisent le NADP+ en NADPH. Les nanothylakoïdes ont ensuite été encapsulés dans de la membrane plasmique mature issue de chondrocytes pour former des éléments mesurant 220 nm de diamètre en moyenne. Mis en culture en présence de chondrocytes, ces nanothylakoïdes enveloppés fusionnent spécifiquement avec ces cellules et, une fois intégrés, ne sont pas dégradés par les lysosomes.

Lors d’essais sur des explants de cartilage de patients humains atteints d’arthrose, les chercheurs ont montré que les nanothylakoïdes enveloppés pénètrent l’explant de manière uniforme après 24 h et ce jusque dans ses parties les plus internes. Comme cela n’est pas le cas pour des nanothylakoïdes encapsulés dans d’autres nanoparticules lipidiques utilisées comme témoin, cela montre que l’encapsulation dans la membrane plasmique issue de chondrocytes est fondamentale. Le mécanisme qui permet cette pénétration rapide de l’explant par les nanothylakoïdes enveloppés repose sur un transport transcellulaire : les chondrocytes libèrent des vésicules extracellulaires comportant une partie des nanothylakoïdes précédemment internalisées, contribuant à la diffusion de ces structures de proche en proche.

Il a aussi été prouvé qu’avec un éclairage adapté, les chondrocytes en culture pourvus de nanothylakoïdes ont une production d’ATP et de NADPH restaurée au niveau habituel si elle avait été précédemment diminuée par des perturbateurs métaboliques. La concentration de métabolites essentiels pour la synthèse du collagène et de glycosaminoglycanes augmente, de même que la synthèse de ces molécules de la matrice extracellulaire. Par ailleurs, une reprogrammation métabolique a lieu dans ces cellules puisque l’expression des gènes liés à la phosphorylation oxydative augmente, tandis que celle des gènes liés à la glycolyse diminue. Ceci se réalise sans générer de stress oxydant supplémentaire puisque les niveaux d’espèces réactives de l’oxygène étaient inférieurs dans les chondrocytes traités avec les nanothylakoïdes enveloppés et éclairés que dans ceux traités mais non éclairés ou que dans ceux non traités.

Les chercheurs ont ensuite testé leurs nanothylakoïdes enveloppés in vivo, sur un modèle murin d’arthrose. L’injection intraarticulaire de ces éléments et l’exposition consécutive à la lumière2 permet de réduire la progression de l’arthrose chez ces souris, de diminuer les altérations morphologiques de leur articulation ainsi que leur douleur. Leurs genoux contiennent aussi plus de protéines de la matrice extracellulaire comme le collagène de type II, ce qui témoigne que les chondrocytes ont un anabolisme accru aboutissant à des biosynthèses efficaces. Les résultats précédemment évoqués obtenus sur les cultures cellulaires ont aussi été confirmés (augmentation de la teneur en ATP, NADPH et diminution des espèces réactives de l’oxygène). Enfin, la biosécurité du traitement avec les nanothylakoïdes enveloppés a été confirmée par des analyses histologiques des organes des souris traitées (cœur, foie, rate, poumons, reins), dont la structure, l’intégrité et l’infiltration par les cellules immunitaires étaient semblables à celles des souris d’un groupe témoin n’ayant pas eu le traitement.

La fonctionnalité apportée par les nanothylakoïdes enveloppés éclairés permet donc d’améliorer l’anabolisme des chondrocytes afin de maintenir l’homéostasie du cartilage et de réduire la progression de l’arthrose. Cette étude ouvre aussi la voie à de nouveaux espoirs thérapeutiques pour traiter d’autres maladies dégénératives liées à des déficits de production d’ATP et de NADPH (notamment certaines myopathies). En particulier les chercheurs ont montré qu’en encapsulant les nanothylakoïdes avec des membranes matures issuées de cellules satellites musculaires, l’anabolisme de ces cellules est aussi amélioré.

Des nanothylakoïdes pour traiter l'arthrose
Auteur(s)/Autrice(s) : Chen et coll., 2022, traduit et adapté par Pascal Combemorel Licence : CC-BY Source : Nature