Introduction

Le cannabis est une drogue d’usage largement répandu dans la population française, et en particulier chez les jeunes. Elle est au centre d’un débat passionné sur son classement en drogue « dure » ou « douce », sa légalisation, tolérance, etc. Le but de ce document n’est bien évidemment pas de rentrer dans de telles polémiques… Le cannabis reste pour beaucoup de gens (en particulier d’usagers) une grande inconnue quant à ses réels effets.

Le but de ce document est, sans rentrer dans aucune polémique, de faire un rapide tour d’horizon de quelques connaissances scientifiques sur le cannabis. Un autre document expose plus en détails des effets du cannabis sur le système immunitaire.

Récemment, de nouveaux résultats indiquent que la consommation régulière de cannabis à partir de l’adolescence diminuerait à l’âge adulte les capacités neuropsychologiques, mesurées par des tests de QI (voir La consommation régulière de cannabis dès l’adolescence diminue durablement le QI à l’âge adulte).

Son usage thérapeutique est également maintenant autorisée en France, en restant très encadré (voir L’usage thérapeutique du cannabis).

De la plante à la consommation

Le cannabis utilisé comme drogue correspond à certaines variétés de chanvre. Celui-ci est une plante herbacée, dont certaines variétés sont utilisées pour la confection de fibres.

Le composé actif le plus abondant trouvé dans le cannabis est le tétrahydrocannabinol (THC). Sa teneur dans les herbes de cannabis varie de 4 à 9 %. En France, le cannabis est essentiellement consommé sous forme de résine (qui est fumée, mélangée à du tabac). La teneur en THC de la résine de cannabis varie de 8 % (« marocain ») à un maximum de 30 % (« afghan »). Il est à noter que des variétés ont fait leur apparition depuis quelques années, présentant des taux de THC désormais bien plus importants.

Les cannabinoïdes englobent de nombreuses substances chimiques apparentées : cannabinol, cannabidiol, cannabigérol, cannabivarine, cannabicyclol et 9-tétrahydrocannabinol (THC), ce dernier étant le composé actif le plus abondant.

Des études ont démontré que l’administration du seul THC suffisait à recréer chez un individu les sensations et effets physiologiques principaux créés par le cannabis. La majorité des études expérimentales sont ainsi menés directement avec le composé actif (THC), ou des dérivés ayant les mêmes effets. Les nombreuses réponses comportementales observées suggère l’existence d’une multitude de cibles centrales et périphériques.

Mode d’action des cannabinoïdes

Le THC agit sur l’organisme humain en activant des récepteurs portés par les cellules (récepteurs CB1 et CB2). Le récepteur CB1 est essentiellement retrouvé au niveau du cerveau, alors que les récepteurs CB2 sont présents sur les cellules immunitaires.

Dans le cerveau, les récepteurs CB1 sont présents en quantité très importante dans différentes structures du système limbique et jouent ainsi un rôle majeur dans la régulation des émotions. Par ailleurs, leur distribution recouvre dans de nombreuses régions celles des récepteurs dopaminergiques (sans être situés sur les mêmes neurones). L’interaction des deux systèmes explique en partie les propriétés hédonistes et euphorisantes du cannabis. Les troubles de la mémoire et cognitifs souvent rapportés après consommation chronique de cannabis pourraient quant à eux être liés à la présence de récepteurs CB1 dans le cortex et surtout dans l’hippocampe, qui est une structure cérébrale essentielle dans la mise en place des processus de mémorisation. Le cannabis diminue l’attention et ceci a été bien démontré grâce aux souris dépourvues du récepteur CB1. Enfin, la présence de récepteur dans le thalamus, relais des informations sensorielles d’origine périphérique, est probablement en rapport avec la modification des perceptions sensorielles souvent évoquée par les usagers de cannabis. On trouve également beaucoup de récepteurs CB1 dans le cervelet, structure jouant un rôle essentiel dans le comportement moteur.

Tout comme le système opioïde, la caractérisation des récepteurs cérébraux a rapidement suggéré l’existence dans le système nerveux central de « cannabinoïdes endogènes ». L’anandamide, dérivé d’un acide gras, l’acide arachidonique, a été le premier à être isolé en 1992. Il se lie aux récepteurs CB1, et est capable de produire des réponses pharmacologiques généralement similaires à celles qui sont produites par les cannabinoïdes chez l’animal (analgésie, hypothermie, catalepsie). L’anandamide est présent en quantité importante dans la plupart des cellules du cerveau. Il existe d’autres phospholipides analogues, capables aussi de se fixer aux récepteurs CB1, qui peuvent être (ou pas) des intermédiaires du métabolisme de l’anandamide. Parmi ceux-ci il y a le 2-arachidonylglycérol qui est présent en quantité beaucoup plus abondante que l’anandamide dans le cerveau. Les cannabinoïdes sont capables de moduler l’action de pratiquement tous les systèmes de neurotransmission (dopamine, sérotonine, GABA, acétylcholine, opioïdes S).

L’utilisation de souris dépourvues du gène codant pour le récepteur CB1, a montré une diminution des effets renforçants de la morphine dans le test d’auto-administration. À la vue de ces résultats, on aurait pu penser que le THC puisse favoriser la prise d’autres drogues (hypothèse de l’escalade). Néanmoins les études pharmacologiques réalisées chez la souris ont montré une absence de sensibilisation aux effets renforçants de la morphine dans le test de la préférence de place (chez des souris préalablement traitées au THC pendant trois semaines suivi d’un sevrage de trois jours), voir même un blocage de ces effets. Ce résultat a été obtenu dans des conditions expérimentales particulières, et doit être confirmé…

Dépendances

Les drogues sont généralement classées en fonction de leur aptitude à générer des phénomènes de dépendances physique et psychique, et sont considérées comme « à risque » si elles répondent à ces deux critères. Le cannabis a été placé dans ce groupe bien que les cannabinoïdes soient loin de produire des effets comparables à ceux générés par l’héroïne, l’alcool ou le tabac.

En ce qui concerne la dépendance psychique, il est bien établi que la très grande majorité des consommateurs de cannabis n’utilise ce produit qu’occasionnellement et peuvent cesser définitivement son utilisation sans grande difficulté. On considère qu’il existe moins de 10 % de très gros consommateurs de cannabis qui éprouvent des difficultés à abandonner la consommation de la substance bien qu’ils le souhaitent. Néanmoins le débat sur les risques de dépendance au cannabis a été relancé par la mise en évidence de libération de dopamine au niveau du cerveau (dans le noyau acubens) : après une injection de THC, une augmentation du métabolisme du cerveau est observable chez le rat, ainsi que des libérations de dopamine dans une région limitée du cerveau (le noyau acubens). La dopamine est un neurotransmetteur, intervenant en particulier dans les systèmes de récompense, et dont la libération est activée par de nombreuses drogues.

De même, la dépendance physique semble minime… Ce qui ne l’empêche pas d’être bien réelle : des expériences menées sur le rat montrent ainsi que ces derniers, soumis à des injections d’un dérivé de THC, puis brutalement privés de ces injections (sevrage) présentent des signes comportementaux typiques, semblables à ceux observés en cas de sevrage à des opiacés (salivation, diarrhée, toilettage compulsif, secousses, etc.). Toutefois, ces rats ne cherchent pas à réaliser des auto-administrations, comme dans le cas de drogues « dures » (héroïne, cocaïne…). 
Les manifestations physiques à l’arrêt de la prise de cannabis restent ainsi d’intensité plus faible que celles observées lors d’un sevrage morphinique par exemple.

THC, cerveau et comportement

L’usage de cannabis entraîne essentiellement une altération des perceptions de l’utilisateur. Le THC, principe actif du cannabis, agit en effet au niveau du cerveau (voir ci-dessus). La première consommation de cannabis peut entraîner, dans des cas rares, des effets d’anxiété sévères, voisins de ceux éprouvés lors de crises de paniques chez des sujets prédisposés. L’absorption de cannabis produit une sensation d’euphorie légère et de relaxation avec perceptions auditives et visuelles amplifiées. De faibles perturbations sont observées dans l’aptitude à effectuer des tâches coutumières plus ou moins complexes. Cela est interprété par une diminution des performances psychomotrices et mnésiques (de la mémoire).

Le THC est stocké dans les graisses, les cellules du cerveau, etc. Ce stockage explique que les effets du cannabis peuvent se poursuivre près de 24 heures après la consommation. Ainsi, une expérience américaine, menée sur 10 pilotes professionnels s’entraînant sur simulateur de vol a montré que, 24 heures après avoir fumé un « joint », ces pilotes commettaient des erreurs grossières de pilotage. Pourtant ceux-ci se sentaient en pleine possession de leurs moyens. Cette expérience illustre certains effets du cannabis : baisse de l’attention et de la concentration, modification de la motricité et de la coordination, difficultés d’appréciation de situations gênantes.

Cannabis et schizophrénie

On entend beaucoup parler de cannabis et schizophrénie. Les données épidémiologiques semblent effectivement montrer que sur une population contrôle, la prévalence à déclencher un épisode schizophrène est d’environ 1 %, alors qu’elle est de 3 % chez les consommateurs de cannabis. Il y a certes une augmentation, mais elle est qu’en même très faible. D’autre part il faut faire attention quand l’on parle de schizophrénie : il n’y a pas une schizophrénie, mais des schizophrénies très différentes et très complexes d’un point de vue psychiatrique. Les données scientifiques sur les schizophrénies semblent indiquer que le cervelet aurait un rôle important (et le cervelet comprend de nombreux récepteurs CB1).

Aucune donnée scientifique convaincante laisse dire que le cannabis conduit à la schizophrénie. Par contre il est possible que le cannabis puisse être un révélateur d’un état préexistant.

Toxicités du cannabis

Il existe différents critères pour évaluer la dangerosité des drogues : une toxicité générale sur l’organisme, une dangerosité individuelle et interindividuelle, et enfin une toxicité du système nerveux central (revue dans Roques, 1999, La dangerosité des drogues. Rapport au Secrétariat d’État à la Santé. Odile Jacob). La large distribution dans l’organisme des récepteurs auxquels les différentes drogues addictives peuvent se fixer explique leurs nombreux effets toxiques à différents niveaux.

Toxicité générale

La fumée de cannabis contient les mêmes éléments toxiques et cancérigènes (goudrons) pour les poumons que ceux du tabac. Des inflammations bronchiques, des troubles asthmatiques et des altérations des fonctions respiratoires ont été observés chez les gros fumeurs de cannabis.

Toxicité sur le système nerveux central

L’utilisation du cannabis n’entraîne apparemment pas de neurotoxicité, telle qu’on peut le définir par des critères neuroanatomiques, neurochimiques et comportementaux. Néanmoins, l’apport des nouvelles techniques de biologie moléculaire permet d’évaluer de façon fine les régulations de gènes. Une étude récente rapporte des modifications de l’expression (augmentation ou diminution) de nombreux gènes impliqués dans la structure des neurones, ou dans la transduction du signal, dans l’hippocampe de rat après trois semaines d’exposition au THC. Cette étude préliminaire doit être approfondie, et la neuro-imagerie devrait permettre de visualiser les réels désordres causés par la drogue. À l’heure actuelle aucun changement irréversibles n’a été observé, mais cela ne veut pas dire que le THC est sans danger, et les modifications importantes observées dans les comportements de consommation (cannabis surdosé avec jusqu’à 20-25 % de THC, et forte consommation journalière) peut faire craindre l’apparition d’une toxicité non encore supposée.

THC et système cardiovasculaire

Les conséquences d’un usage de cannabis dépendent de la dose consommée, ainsi que de l’individu. On peut toutefois citer une augmentation du rythme cardiaque, et un gonflement des vaisseaux sanguins (vasodilatation), ce qui se manifeste en particulier par des yeux rouges. De même, le cannabis interférerait avec un réflexe permettant à l’organisme de réagir par une vasoconstriction en cas de baisse de la tension artérielle. Cet ensemble « vasodilatation – réduction du réflexe de vasoconstriction » pourrait conduire à un risque accru de défaut d’approvisionnement en dioxygène du cœur ou du cerveau. Bien que globalement considéré comme faiblement toxique, il est possible que le cannabis ait ainsi été à l’origine d’accidents cardiovasculaires ayant conduit à la mort (il s’agit de cas de « morts inexpliquées » subites, les analyses post-mortem montrant la présence de THC dans le sang ou les urines).

THC et reproduction

Des récepteurs cellulaires au THC sont présents dans les testicules. Le THC peut ainsi présenter des effets au niveau du système reproducteur mâle. Chez la souris, par exemple, une forte exposition au THC peut perturber le bon déroulement de la méiose.

Dans le même ordre d’idées, un grand nombre d’expériences montrent un effet du THC (ou de substances analogues) sur le sperme… d’oursin. Ces substances inhiberaient en particulier la réaction acrosomique, réduisant ainsi les capacités de fertilisation des spermatozoïdes d’oursin (voir quelques résultats expérimentaux sur ce sujet).

Des expériences réalisées aussi bien chez le rat que sur des singes montrent que le THC peut modifier le taux des hormones sexuelles (FSH, LH, etc.) dans l’organisme. Ces changements pourraient eux aussi intervenir dans des perturbations du système reproducteur. En particulier, l’exposition de femelles gestantes de souris à du THC produit un effet de démasculinisation chez les mâles nouveaux-né issus de ces portées : alors qu’une injection de testostérone (20 microgrammes) induit chez les jeunes souris mâles témoins une hausse de LH et une baisse de FSH, cette même injection chez les mâles issues de gestations « avec THC » produit : une réduction du taux de FSH bien plus importante, et aucune variation du taux de LH.

De plus, il a été montré chez le rat que l’exposition au THC lors de la gestation cause une inhibition temporaire du développement de l’axe hypothalamo-hypophysaire. Cette action serait due à la conjonction de deux phénomènes : le THC passe sans problème la barrière hémato-placentaire, et des récepteurs aux cannabinoïdes (fixant le THC) existent dans le cerveau.

THC et douleur

De nombreux médecins proposent une utilisation raisonnée du cannabis, sous contrôle médical, lors de certains traitements. En effet, il a été démontré que le cannabis a pour effet de diminuer la douleur. Ce point est largement discuté, certains médecins faisant remarquer que le cannabis n’est pas plus efficace que des traitements existants, comme la codéine…

Petite discussion sur ces résultats et les méthodes employées…

Le cannabis est un sujet hautement polémique, et ouvert à de nombreuses discussions, en particulier du fait de son usage répandu, en particulier chez les jeunes. Le THC, substance active du cannabis, agissant sur des récepteurs spécifiques, situés en particulier dans le cerveau, peut altérer certaines facultés, ou le comportement des consommateurs. De nombreuses études ont mis en évidence des effets variés chez l’animal. Cependant, même si certains de ces effets peuvent paraître alarmants, il faut retenir que les recherches sont encore en cours…

La majorité de ces expériences a été menée sur des animaux, et il reste à démontrer leur validité chez l’homme. De même, ces expériences font souvent appel à des doses fortes de THC… De nombreuses études sont encore nécessaires pour déterminer les effets chez un consommateur occasionnel, même si ces premiers résultats démontrent des risques potentiels. Toutefois, on peut noter ces dernières années l’apparition de variétés de cannabis bien plus riches en THC : les conséquences de ces consommations, de ce fait bien plus importantes, restent encore largement à déterminer, mais ne peuvent qu’être plus importantes que pour les variétés de cannabis avec des taux de THC plus faibles.

Le débat reste, évidemment, de déterminer si ces effets sont plus ou moins importants que ceux causés par l’utilisation d’autres drogues : nicotine, alcool, cocaïne, héroïne, ecstasy, etc.

Bibliographie

Quelques revues et articles sur lesquels sont basés cette page :

  • Commission nationale d’informations sur les drogues (CNID)
  • « Drogues : savoir plus, risquer moins », MILDT et CFES (2001)
  • Acute cardiovascular fatalities following cannabis use, L Bachs et H Morland, For. Science Int. (2001) 124 : 200-3
  • Quantitative evaluation of spermatogenesis in mice following chronic exposure to cannabinoids, P Patra et R Wadsworth, Andrologia (1991) 23(2) : 151-6
  • Perinatal cannabinoid exposure : demasculinization in male mice, S Dalterio et al., Neurobehav. Toxicol. Teratol. (1986) 8(4) : 391-7
  • Cannabinoids-induced hormone changes in monkeys and rats, H Rosenkrantz et H Esber, J. Toxicol. Environ. Health (1980) 6(2) : 297-313
  • Anandamide (arachidonylethanolamide), a brain cannabinoid receptor agonist, reduces sperm fertilizing capcity in sea urchins by inhibiting the acrosome reaction, H Schuel et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA (1994) : 91 : 7678-82
  • The effect of prenatally administered endogenous cannabinoid on rat offspring, T Wenger et al., Pharm. Bioch. Behav. (1997) 58 : 537-44