Auteur : Gilles Camus
Table des matières
- Quelques chiffres sur la consommation du cannabis
- Les effets à court terme du cannabis
- Les effets à long terme du cannabis
- Conclusion
- Références
1. Quelques chiffres sur la consommation du cannabis
Le cannabis ou chanvre (Cannabis sativa) est une plante contenant une substance psychoactive (le delta-9-tetrahydrocannabinol ou THC, voir article du site Vie "Le cannabis, quelques points scientifiques" pour plus d'information à son sujet) inscrite sur la liste des stupéfiants. Elle est de ce fait interdite à la culture, à la vente et à la consommation en France et dans la majorité des pays. Son usage récréatif n'en est pas moins largement répandu. Selon observatoire français des drogues et des toxicomanies, en 2011 sur la population des 12-75 ans (environ 50 millions de personnes), 12,4 millions ont consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie (expérimentateurs) dont 3,9 millions dans l'année écoulée (consommateurs actuels). Et parmi ceux-ci, 1,2 millions sont des consommateurs réguliers (au moins 10 consommations de cannabis dans le mois écoulé) dont 550 000 en consomment quotidiennement. Il s'agit, et de loin, de la drogue illicite la plus consommée. De plus, son usage commence jeune puisqu'à 17 ans deux jeunes sur cinq ont expérimenté le cannabis (41,5 %) avec un âge moyen d'environ 15 ans pour la première expérimentation, que 22,4 % déclarent en avoir consommé dans le mois écoulé et que 6,5 % sont des consommateurs réguliers. Signalons qu'on constate une baisse des chiffres de la consommation du cannabis chez les 17 ans depuis un peu moins d'une dizaine d'année, cette baisse étant plus marquée chez les garçons que chez les filles (mais partant de valeurs plus élevées).
2. Les effets à court terme du cannabis
Les effets à court terme du cannabis sont bien connus. L'usage récréatif du cannabis est motivé par la recherche de la sensation de bien-être qu'il peut procurer (légère euphorie, apaisement, somnolence, etc...) et la modification de la perception qu'il peut engendrer. Mais il peut également entrainer d'autres effets, plus ou moins indésirables : fringale, bouche sèche, anxiété, palpitations, voire nausée, vomissement, malaise.
Par ailleurs, de nombreuses fonctions cérébrales sont altérées sous imprégnation cannabinique : trouble de la mémoire, de l'attention, du raisonnement, de la coordination, de la vigilance, allongement du temps de réaction, etc... Ces troubles persistent plusieurs jours après la dernière consommation, bien que le consommateur ne s'en rende généralement pas compte.
3. Les effets à long terme du cannabis
A plus long terme, il existe des effets liés à une consommation régulière de cannabis tels que des difficultés scolaires, des difficultés de concentration, un isolement sociale, l'apparition ou l'aggravation de troubles psychiques (anxiété, dépression voire schizophrénie) et bien entendu l'apparition d'une dépendance avec son impact sur la vie sociale, les résultats scolaires, etc... Si ces effets sont bien documentés, la littérature est en revanche beaucoup plus réduite sur d'éventuels effets irréversibles de la consommation de cannabis, c'est à dire des effets qui perdurent après l'arrêt de la consommation.
Dans ce cadre, l'étude épidémiologique de longue durée publiée dans PNAS en août 2012 par une équipe néozélandaise apporte des informations nouvelles et importantes sur les effets à long terme de la consommation régulière de cannabis sur un certain nombre de fonctions cérébrales (voir référence 1), y compris après l'arrêt de cette consommation. Pour cela, les auteurs ont suivis 1037 personnes depuis la naissance (dans les années 1972-73) jusqu'à 38 ans. La consommation éventuelle de cannabis a été déterminée à l'occasion d'interviews effectués à 18, 21, 26, 32 et 38 ans. Par ailleurs, des tests neuropsychologiques ont été effectués à 13 ans (c'est à dire à un âge généralement antérieur à la première expérimentation du cannabis) et 38 ans.
Cette étude a alors cherché à tester l'hypothèse d'une diminution des capacités neuropsychologiques liée à la consommation régulière de cannabis sur une longue période, comme plusieurs études passées le suggèrent, tout en mesurant l'influence possibles sur les résultats d'autres facteurs comme l'usage d'autres drogue (héroïne, opium, etc...), la consommation d'alcool, l'usage du tabac, la schizophrénie, etc...
Et les résultats confirment cette hypothèse : si les personnes n'ayant jamais consommé de cannabis montrent une hausse moyenne (non significative) de 1 point de QI entre 13 et 38 ans, les personnes ayant eu une consommation régulière de cannabis montrent une baisse moyenne de leur QI statistiquement significative sur cette même période. (voir figure 1)
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Mais cette étude apporte des précisions très importantes : cette baisse est d'autant plus importante que la consommation a été importante, mais surtout elle n'est observée que si la consommation régulière a commencé à l'adolescence (avant 18 ans dans cette étude). En effet, les consommateurs réguliers ayant commencés à consommer du cannabis à l'âge adulte (après 18 ans) ne sont pas affecté par le phénomène (baisse non significative de 1 point de QI en moyenne entre 13 et 38 ans). Par contre, en cas de consommation avant 18 ans, les effets peuvent être considérables puisque dans le groupe le plus affecté par cette baisse des capacités neuropsychologiques (consommation régulière durant l'adolescence, et classé comme consommateur régulier, voir dépendant au cannabis, à l'occasion d'au moins trois des interviews) la baisse atteint 8 points de QI en moyenne ! (voir figure 2)
Ce graphique présente l'impact sur le QI (fourni par la déviation standard) en fonction de l'importance de la consommation en cannabis, et en fonction de l'âge du début de cette consommation (avant ou après 18 ans). On constate que si les utilisateurs réguliers de cannabis ayant commencé à l'âge adulte ne montrent pas de diminution de leur QI entre 13 et 38 ans, les utilisateurs réguliers ayant commencé avant 18 ans montrent une baisse qui est d'autant plus marquée que la consommation adulte est importante. Source : Graphique issu de l'article "Persistent cannabis users show neuropsychological decline from childhood to midlife." (voir Référence 1). |
Dernier point, et non des moindres, cet effet perdure même après l'arrêt de la consommation de cannabis, même si concernant ce critère l'étude ne prend en compte que l'année précédant les 38 ans et qu'on ne peut exclure un recouvrement partiel ou total des capacités neuropsychologiques initiales suite à un arrêt avéré sur une plus longue période.
Ces résultats, s'ils montrent un effet sur les capacités neurophysiologiques, ne répondent pas à la question du "comment". On peut cependant envisager que le cannabis puisse avoir un effet neurotoxique sur le cerveau particulièrement sensible, car en développement, de l'adolescent. On peut également envisager que cette action soit le résultat d'une influence du cannabis sur le développement cérébrale, sans pour autant qu'il y ait neurotoxicité.
4. Conclusion
Les résultats de cette étude vont à l'encontre souvent associée au cannabis, à savoir celle d'une drogue moins dangereuse que les autres drogues illicites (ce que résume le terme souvent utilisé de drogue "douce") mais également que le tabac et l'alcool. Il est d'ailleurs très intéressant de noter que les dangers de la consommation de cannabis perçus par la population sont souvent en décalage assez important avec les dangers avérés (voir référence 2), y compris dans la surestimation. Pour casser ces fausses représentations, il convient donc de se référer aux effets scientifiquement étayés.
Dans ce cadre, cette étude de grande ampleur apporte des informations importantes sur les effets à long terme du cannabis qui vont dans le sens d'un effet délétère durable de la consommation de cannabis sur le fonctionnement cérébral, et en particulier en cas de consommation régulière au cours de l'adolescence. Précisons que plusieurs études aboutissant à des conclusions similaires sont sorties depuis peu, comme le montre cette revue ciblée sur les effets à long terme du cannabis sur la mémoire (voir référence 3).
Pour autant, cette étude soulève également de nombreuses nouvelles questions : tous les effets observés perdureront-il à plus long terme qu'à l'horizon des 38 ans ? Quel est le mode d'action des effets observés ? Quelle est, avec plus de précision, la période de sensibilité maximale ? Quelle est l'influence du mode de consommation ? Et bien d'autres questions encore. Etant donné l'importance des conclusions de cette étude et le pourcentage important de consommateurs de cannabis dans la population générale, et chez les jeunes en particulier, nul doute que des recherches pour essayer d'apporter des réponses à ces questions fondamentales.
5. Références
- M.H. Meier, A. Caspi, A. Ambler, H.L. Harrington, R. Houts, R.S.E. Keefe, K. McDonald, A. Ward, R. Poulton et T.E. Moffitt. Persistent cannabis users show neuropsychological decline from childhood to midlife. PNAS (2012) 10:1073. (Texte integral en pdf).
- Comment le cannabis est-il perçu en France ? Revue de presse de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MiLDT).
- N. Solowij et R. Battisti. The Chronic Effects of Cannabis on Memory in Humans: A Review. Current Drug Abuse Reviews (2008) 1:81-98 (Texte integral en pdf).