Des bactéries sont-elles capables d'utiliser de l'arsenic à la place du phosphore ?
Table des matières
- Introduction
- Découverte des bactéries utilisant l'arsenic en remplacement du phosphore
- Implications
- Mise à jour du 9 juillet 2012 : Deux nouvelles études infirment les conclusions de ce travail
- Références
1. Introduction
Les six éléments de base de toutes les molécules du vivant sont le carbone, l'hydrogène, l'azote, l'oxygène, le phosphore et le soufre. Bien d'autres éléments sont aussi trouvés, comme le zinc ou le magnésium, mais en quantités beaucoup plus faibles.
Il existe certains cas décrits dans lesquels un élément peut être remplacé par un autre sans perturber la fonction de la molécule. Citons pour exemple certains mollusques dont les molécules de transport d'oxygène peuvent utiliser le cuivre en lieu et place du fer. Mais jusqu'à présent, aucun exemple de substitution d'un des six éléments majeurs n'avait été rapporté. C'est pourtant ce qu'a réussi à faire une équipe de chercheurs emmenés par Felisa Wolfe-Simon de l'institut d'astrobiologie de la NASA. Ils ont en effet trouvé dans un lac de Californie des bactéries pouvant intégrer de manière réversible de l'arsenic à la place du phosphore dans différentes molécules, et en particulier dans leur ADN.
Cette découverte, qui pourrait sembler anecdotique, ouvre en réalité des perspectives conceptuelles importantes et pourrait avoir des conséquences pratiques, en particulier dans les méthodes utilisées pour la recherche de vie extraterrestre.
2. La découverte des bactéries pouvant utiliser de l'arsenic à la place du phosphore
Dans les exemples de substitutions d'éléments décrits jusqu'à présent, l'élément de substitution est toujours chimiquement proche de l'élément substitué. Or si on regarde le tableau périodique des éléments, ou tableau de Mendeleiev, on s'aperçoit que l'arsenic et le phosphore sont situés sur la même colonne, la XV, l'un au dessus de l'autre (voir fig. 1). C'est la façon la plus simple de visualiser les similitudes dans les propriétés physico-chimiques des ces deux éléments.
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Extrait du tableau périodique des éléments contenant le phosphore (P) et l'arsenic (As) |
Plus précisément, ils ont un rayon atomique et une électronégativité relativement proche. Cette similitude de propriétés physico-chimique se retrouve entre les formes classiques de phosphate (PO43-) et d'arséniate (AsO43-). Ceci explique que l'arséniate soit un poison : il peut parfois être incorporé en lieu et place du phosphate, mais son instabilité supérieure entraine des disfonctionnements métaboliques insupportables.
Cependant, l'idée des auteurs a été de rechercher des organismes plus tolérants vis à vis de l'instabilité de l'arséniate, tolérance qui pourrait leur permettre de vivre en ayant incorporé de l'arséniate en lieu et place de phosphate. Pour cela, ils sont allés chercher les organismes-candidats dans un lac situé à l'est de la Californie, le lac Mono (voir fig. 2). L'eau de ce lac est assez inhospitalière : alcaline, elle contient de grandes quantités de sel et d'arsenic (200 μM).
Les auteurs ont alors utilisé des sédiments de ce lac pour inoculer en condition aérobie un milieu de culture artificiel ayant pour particularité de contenir de l'arséniate (entre 100 μM et 5 mM) mais aucune source de phosphate. Ils ont ainsi identifié une souche bactérienne nommée GFAJ-1 capable de vivre et de croitre dans de telles conditions. Si la croissance était supérieure en présence de phosphate en plus d'arséniate, elle était abolie en absence de ces deux composés.
L'analyse de la composition chimique totale de ces bactéries a sans surprise fait apparaitre une très faible proportion de phosphore et une proportion élevée d'arsenic (comparé à des bactéries cultivées en présence de phosphate et sans arséniate). Un isotope radioactif de l'arsenic a ensuite été utilisé pour étudier plus finement la localisation de cet élément dans les cellules. Celui-ci a été retrouvé dans des protéines, des petits métabolites (NADH, ATP, Acétyl-CoA...) des lipides ainsi que dans des acides nucléiques.
Ce lac alcalin, hypersalin et riche en arsenic est situé à l'est de l'état de Californie, Etats-Unis. Source : Article de la NASA annonçant la découverte. |
3. Implications
La souche GFAJ-1 identifiée dans cette étude appartient à la famille des Halomonadacée, des bactéries connues pour être capables de vivre en présence de fortes concentrations en sel et capables de tolérer la présence d'arsenic, accumulant cet élément dans leur vacuole. Mais cette souche va plus loin puisqu'elle ne se contente pas de tolérer l'arsenic, elle est capable de l'utiliser pour remplacer le phosphore si celui-ci vient à manquer. Il est en effet important de souligner qu'il ne s'agit pas d'une souche nécessitant obligatoirement la présence d'arsenic.
Cette découverte prouve que la vie est possible dans des environnements qui étaient jusqu'à présent jugés non-compatibles. Cela devrait modifier la manière d'aborder la recherche de vie extraterrestre en élargissant le champ des possibles. La meilleure preuve en est que les résultats de ces travaux ont été présentés dans le cadre d'une annonce d'exobiologie.
4. Mise à jour du 9 juillet 2012 : deux nouvelles études infirment les conclusions de ce travail
Ces résultats inattendus ont particulièrement attiré l'attention de la communauté scientifique, comme en témoignent les nombreux commentaires qui ont suivi la publication. Mais certaines équipes sont allées plus loin et ont cherché à confirmer ces résultats. Deux groupes viennent de publier indépendamment leurs propres résultats, et ceux-ci infirment les conclusions de la première étude.
Pour ces deux travaux ("Absence of Detectable Arsenate in DNA from Arsenate-Grown GFAJ-1 Cells" et "GFAJ-1 Is an Arsenate-Resistant, Phosphate-Dependent Organism", voir références ci-dessous) on ne retrouve pas d'arsenic dans l'ADN des cellules de la lignée GFAJ-1 cultivées en présence d'arsenic. Les conclusions de ces deux études mettent, certes, en avant la résistance de cette souche à l'arsenic, sa capacité à se multiplier en présence de quantité très faible de phosphate, mais elles montrent également une incapacité à survivre en absence totale de phosphore, et l'abscence d'arsenic dans les molécules synthétisées par ces cellules.
Devant une telle situation, on peut bien entendu se poser la question de savoir si l'un des deux résultats est le fruit d'une erreur, ou si la situation est plus complexe et correspond à des choses non encore identifiées. Nul doute que dans l'avenir des travaux complémentaires chercheront à trancher entre ces deux conclusions a priori opposées, et chercheront à expliquer l'origine des différences entre les résultats obtenus par ces équipes.
Après l'annonce très médiatisée en septembre 2011 de la découverte de neutrinos voyageant plus vite que la vitesse de la lumière, suivie par la mise en évidence d'un biais expérimental rendant ces résultats et conclusions caducs, cette controverse sur le métabolisme des bactéries GFAJ-1 est le témoignage de la vitalité de la méthode scientifique, y compris dans sa communication, où même une erreur peut être la source de nouvelles recherches permettant d'augmenter notre connaissance.
5. Références
Ce document est tiré de l'article qui présente cette découverte et dont voici les références :
- A bacterium that can grow by using arsenic instead of phosphorus. Wolfe-Simon F. et coll. (2010) Scienceexpress.org (texte intégral).
- Absence of Detectable Arsenate in DNA from Arsenate-Grown GFAJ-1 Cells. Marshall Louis Reaves, Sunita Sinha, Joshua D. Rabinowitz, Leonid Kruglyak, et Rosemary J. Redfield. (2012) Science.
- GFAJ-1 Is an Arsenate-Resistant, Phosphate-Dependent Organism. Tobias J. Erb, Patrick Kiefer, Bodo Hattendorf, Detlef Günther, et Julia A. Vorholt. (2012) Science.