Les bactéries du genre Salmonella injectent un mélange de protéines effectrices dans les cellules, ce qui inactive leurs défenses.
Nous vivons en symbiose avec une vaste communauté de bactéries. Cette interaction est le plus souvent amicale. Les bactéries présentes dans l’environnement recyclent les déchets organiques et les organismes morts. Les bactéries situées dans notre corps nous aident à digérer nos aliments et nous fournissent des nutriments essentiels. Parfois, l’interaction est moins agréable. Par exemple, les bactéries du genre Salmonella envahissent nos cellules et s’y reproduisent, provoquant des maladies mortelles comme la fièvre typhoïde. Dans le cadre de leur stratégie pathogène, ces bactéries injectent plusieurs dizaines de types de protéines effectrices à l’aide d’une aiguille moléculaire appelée injectisome. Ces protéines injectées neutralisent les défenses de la cellule et modifient leur métabolisme en favorisant la croissance de la bactérie à l’intérieur de la cellule infectée 1.
Injecter des effecteurs
L’entrée 7ah9 de la banque de données sur les protéines (PDB) comprend la partie centrale de l’aiguille de l’injectisome de Salmonella enterica 1. Il s’agit d’une fine aiguille dont le pore central est juste assez grand pour laisser passer une chaîne protéique dépliée. Une porte moléculaire, illustrée plus en détail sur la figure 3, contrôle le passage des protéines effectrices à travers l’aiguille. La structure comprend également plusieurs grands anneaux de protéines qui ancrent l’aiguille dans la paroi bactérienne, ce qui permet à la bactérie d’en positionner plusieurs contre une même cellule qu’elle tente d’infecter.
L’injectisome complet comprend également une grande plateforme de tri à l’intérieur de la bactérie, qui n’est pas représentée sur la figure 1. Cette plateforme sélectionne uniquement les protéines effectrices appropriées et gère l’ordre dans lequel elles sont injectées. Leur sécrétion se fait en trois étapes. Tout d’abord, les composants de l’injectisome lui-même sont sécrétés, construisant l’aiguille et d’autres composants. Ensuite, un ensemble de protéines est sécrété et forme un complexe de translocation (ou translocon) à travers la membrane plasmique de la cellule infectée. Enfin, l’injectisome s’arrime à ce translocon et injecte les protéines effectrices restantes dans le cytoplasme de la cellule infectée.
Geler l’action
La structure présentée en figure 1 a été déterminée par cryomicroscopie électronique et comprend la protéine effectrice SptP, une enzyme qui déphosphoryle les tyrosines des protéines cellulaires et qui inactive également plusieurs protéines dépendantes du GTP. Les chercheurs ont dû faire preuve d’ingéniosité pour observer le transit de la protéine SptP, car les protéines effectrices mettent généralement moins d’une seconde à passer à travers l’aiguille. Pour cela, ils ont attaché la protéine fluorescente verte (GFP) à une extrémité de la protéine SptP. L’injectisome étant incapable de déplier la GFP, cette dernière forme une ancre qui ne peut pas passer à travers l’aiguille, bloquant ainsi le complexe qui peut alors être étudié à loisir.
Effecteurs efficaces
Des dizaines de protéines effectrices sont injectées par les bactéries du genre Salmonella. Nombre d’entre elles bloquent l’action des protéines cellulaires en ajoutant ou en supprimant des groupements phosphates, des groupements ADP-ribose1 2 et d’autres modifications biochimiques. D’autres effecteurs transmettent des protéines cellulaires clés au système d’ubiquitinylation, ce qui conduit à leur élimination. La protéine effectrice illustrée en figure 2, GtgA, est une protéase qui coupe un facteur de transcription spécifique, p65 (entrée PDB 6ggr) 3. Ce facteur de transcription fait partie de la voie de signalisation NF-κB qui contrôle de nombreux processus liés à l’inflammation et au système immunitaire. Le complexe NF-κB représenté ici est un hétérodimère de p65 et p50 (entrée PDB 1le5) lié à l’ADN 4.
Porte de méthionines
L’entrée de l’aiguille de l’injectisome est gardée par une porte de méthionines. Comme on peut le voir dans l’entrée PDB 6pep, un groupe de méthionines (jaune), assisté d’une phénylalanine (blanc), forme une barrière étanche lorsque l’aiguille n’est pas utilisée 1. Lorsque les protéines effectrices à injecter sont sélectionnées, les méthionines se séparent lentement et permettent le passage de la chaîne protéique dépliée (rouge), comme on peut le voir dans l’entrée PDB 7ah9.
Pour aller plus loin
- La recherche « Salmonella effector » sur le site PDB-101 permet d’accéder aux structures d’autres protéines effectrices qui sont transportées par les injectisomes.
- Un logiciel de visualisation de molécules (par exemple celui disponible sur le site PDB-101) permet de montrer que le complexe de l’aiguille comprend plusieurs anneaux symétriques composés de plusieurs copies d’un seul type de protéine.
Ce texte correspond à la traduction par Cédric Bordi de l’article Molecule of the Month : Injectisome 1 écrit par David S. Goodsell et paru en juin 2024 sur le site PDB-101, le portail éducatif de la base de données sur les protéines (PDB). Les notes de bas de page sont du fait du traducteur.