Savez vous que la banane que nous mangeons est triploïde ?
Les bananes que l'on trouve sur les étals de nos marchés ne sont guère diversifiées, pourtant les cultivars de bananiers sont très nombreux. Cet article présente leur diversité géographique et leur origine, une intéressante histoire de domestication...
Les bananiers sont cultivés dans plus de 120 pays, sur les 5 continents. En termes de production mondiale, la banane est le quatrième produit agricole (après le riz, le blé et le maïs) et le premier de la production fruitière. Dans les régions tropicales et subtropicales, les bananes sont produites à 85 % pour la consommation locale. Il existe plus de mille variétés de bananiers dont le fruit peut être consommé frais ou en tant que légume cuit, mais peut aussi faire l’objet de nombreuses transformations : chips, frites, beignets, purée, confiture, ketchup, alcool, vin, bière, etc. D’autres parties de la plante peuvent être utilisées comme fibre textile, emballage pour la cuisson, pour la construction d’abris ou la fabrication de couvertures…
L'étonnante diversité phénotypique des bananes
Bananes dessert, bananes à cuire...
Malgré 1000 à 1500 variétés existantes, les bananes proposées sur les marchés sont peu diversifiées. Leur transport délicat en est une des explications principales.
La banane Cavendish est la banane dessert la plus répandue (97 % du commerce mondial de bananes). On distingue la Grande naine (Giant Cavendish) et la petite naine (Dwarf Cavendish), le terme de naine étant relié à la taille du pseudo-tronc. Actuellement elle est cultivée aux Antilles, en Amérique centrale et aux Canaries.
La banane frécinette (ou freyssinette), banane « figue sucrée », plus petite que la Cavendish, est répandue dans le monde entier, avec une présence plus forte en Asie et Afrique.
La banane rose (Antilles et Amérique centrale), une banane dessert de taille moyenne, à peau rose-rouge, possède une chair blanche très parfumée.
La banane plantain (plantain vrai, dont le centre de diversité se situe en Afrique occidentale et centrale) est très riche en amidon et doit être cuite avant consommation. On appelle aussi banane plantain d’autres variétés à cuire comme les plantains du Pacifique (par exemple la variété Popoulu), ou les Fé’i de Tahiti.
Remarque: En plus des bananes dessert et des bananes à cuire, on cultive, notamment dans la région des grands Lacs en Afrique, la « banane à bière » qui se caractérise par son amertune. Elle n’est pas exportée.
Comparaison des compositions nutritionnelles des bananes dessert et bananes plantain
Composition pour 100 g |
Banane dessert |
Banane plantain |
Eau |
74,9 |
65,3 |
Énergie (en kcal) |
89 |
122 |
Protéines |
1,1 |
1,3 |
Lipides |
0,3 |
0,4 |
Glucides |
22,8 |
31,9 |
Fibres |
2,6 |
2,3 |
Sucres |
12,2 |
15 |
La banane plantain présente une densité énergétique bien supérieure à la banane dessert ou encore aux pommes de terre (85 kcal pour 100 g). Sa teneur élevée en amidon (qui nécessite sa cuisson avant consommation) est plus importante que celle de la banane dessert et également supérieure à celle des pommes de terre (19 à 20 g pour 100 g).
Les bananiers : une grande famille
Les bananiers sont des monocotylédones qui appartiennent à l’ordre des Scitaminales ou Zingibérales et à la famille des Musaceae. Cette famille comprend essentiellement le genre Ensete (Afrique, Asie) et le genre Musa (Asie de l’Est).
Le genre Ensete s’étend actuellement de l’Afrique à l’Asie du Sud et comprend 9 espèces qui ressemblent à des bananiers mais présentent de très longues feuilles aux nervures généralement cramoisies et des fruits similaires aux bananes, mais qui sont immangeables (secs et remplis de graines). L’espèce Ensete ventricosum est la plus importante dans ce genre. Elle est cultivée en Afrique. Cette plante produit un rhizome utilisé comme nourriture de base par des millions de personnes en Éthiopie.
Le genre Musa provient d’Asie et présente une forte variabilité. Il comprend un très grand nombre d’espèces, notamment celles qui produisent les bananes dessert et les bananes à cuire (dites plantain). Le genre Musa est divisé en sections, selon le nombre de chromosomes et les caractères morphologiques des espèces. Les espèces des sections Eumusa et Rhodochlamys possèdent 22 chromosomes, les espèces des sections Australimusa et Callimusa possèdent 20 chromosomes.
La majorité des bananes comestibles appartient à la section Eumusa du genre Musa et correspond à des hybrides diploïdes ou triploïdes de Musa acuminata (génome A), seul ; ou hybridé interspécifiquement avec Musa balbisiana (génome B).
Classification et répartition géographique de quelques exemples de bananiers cultivés
Cultivars obtenus par hybridation de Musa acuminta (genome A) et Musa balbisiana (genome B) |
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DIPLOIDES |
TRIPLOIDES |
TETRAPLOIDES |
Groupe AA Sous-groupe Sucrier Cultivars : Figue sucrée, Frécinette ou Freyssinette (dessert, tous continents) |
Groupe AAA Sous-groupe Cavendish |
Groupe AAAB Variété Goldfinger |
Groupe AB Sous-groupe Ney Poovan |
Groupe AAB Sous-groupe Figue Pomme |
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Groupe ABB Sous-groupe Bluggoe |
Un petit groupe de cultivars incluant la banane à cuire caractéristique de Tahiti, le Fé’i, ne se trouve que dans le Pacifique et dérive d’espèces du groupe Australimusa (2n=10). Le Fe’i, Musa troglodytarum, aurait une origine complexe, impliquant au moins 3 espèces du genre Musa (M. lolodensis, M. maclayi et M. peekelii).
La domestication de la banane
La plupart des cultivars de bananes comestibles dérivent de deux espèces : l’espèce Musa balbisiana et les nombreuses sous-espèces de Musa acuminata. La figure ci-dessous présente la répartition géographique de ces différentes espèces sauvages.
La domestication des espèces sauvages s’est faite en deux périodes :
- la transition de diploïdes sauvages (avec graines dans le fruit) vers des diploïdes comestibles ;
- la transition des diploïdes comestibles vers des triploïdes comestibles.
Des diploïdes sauvages aux diploïdes comestibles
Les sous-groupes de cultivars diploïdes AA, notés AAcvs, dérivent de l’hybridation entre différentes sous-espèces de M. acuminata dans les îles de l’Asie du Sud-Est et l’Ouest de la Mélanésie, impliquant des mouvements de populations humaines durant l’Holocène (il y a environ 11000 ans). Il est concevable que ces hybridations de sous-espèces fertiles de M. acuminata géographiquement isolées soient dues à des transports par l’homme car ces plantes présentaient des utilisations nombreuses : nourriture, médecine, constructions… Il s’agissait de plants de bananes au stade de la pré-domestication (cultiwild en anglais).
L’hétérozygotie de ces hybrides AAcvs, due à des réarrangements entre chromosomes des sous-espèces parentales de Musa acuminata, a contribué à une stérilité des gamètes. Cette stérilité, associée à la sélection de la richesse du fruit en pulpe conduite par l’homme, a mené à des fruits comestibles et parthénocarpiques, dépourvus de graines.
La parthénocarpie
Le fruit se développe comme si la fleur avait été fécondée, mais les fruits ainsi produits (banane, clémentine...) ne contiennent pas de graines ou les graines ne contiennent pas d'embryons. Dans ces conditions, seule la multiplication végétative permet à la plante de se reproduire (source : Wikipédia).
Des diploïdes comestibles aux triploïdes
Des méioses anormales ont pu, dans ces cultivars AA comestibles, créer occasionnellement des gamètes diploïdes. La fusion d’un gamète diploïde avec un gamète haploïde génère un génotype triploïde stérile. Des triploïdisations spontanées, impliquant presque tous les cultivars AA ont conduit, à travers la propagation végétative de ces bananiers réalisée par l’homme, à la diversité actuelle des cultivars triploïdes, qu’il s’agisse des groupes purs AAA ou interspécifiques AAB et ABB.
Ensuite, la propagation strictement végétative de ces cultivars, par l’homme, au cours de nombreuses générations, a conduit à des variants somatiques qui ont encore augmenté la diversité phénotypique de ces espèces cultivées.
Des étude archéobotaniques ont montré que des cultiwilds dérivant de la sous-espèce Musa acuminata ssp. banksii, qui est à l’origine de nombreux cultivars actuels, existaient en Nouvelle Guinée entre 6900 et 6400 ans avant notre ère. La domestication des diploïdes parthénocarpiques a résulté de transports de ces cultiwilds et hybridation avec des sous-espèces locales, dans au moins trois régions de contact : entre la Nouvelle-Guinée et Java, au Sud, entre la Nouvelle-Guinée et les Philippines vers l’Est, et au sein des Philippines, Borneo et l’Asie du Sud-Est.
Ces cultivars diploïdes se sont ensuite peu répandus en dehors de cette première zone de diversification, à l’exception du groupe AA Mlali qui est à l’origine de la majorité des triploides cultivés actuellement (notamment la banane Cavendish). Ce sous-groupe AA pousse actuellement uniquement sur les cotes Est africaines et les îles proches (Madagascar, Zanzibar, Comores), ce qui suggère un transfert ancien à travers l’Océan Indien.
Comme le montre la figure ci-dessous, le groupe AA Mlali correspond à des hybrides de deux sous-espèces sauvages de Musa acuminata : Musa acuminata ssp. banksii (Nouvelle-Guinée) et Musa acuminata ssp. zebrina (Java).
La triploïdisation est apparue, ensuite, indépendamment dans diverses zones de contact entre les sous-espèces diploïdes, avec des combinaisons parentales variées. Cette triploïdisation a vraisemblablement commencé très tôt après l’émergence des cultivars AA et continue encore (on trouve de nombreux génomes AAA en Nouvelle-Guinée).
Trois de ces sous-groupes triploïdes sont cultivés actuellement très loin de leur région de naissance : les AAA Mutika Lujugira africains, les AAB plantains africains et les AAB plantains du Pacifique. Ces bananiers triploïdes ne sont pas cultivés en Asie, à l’exception de quelques plantains africains qui ont dû être introduits en Asie du Sud avec le commerce des esclaves de l’Afrique de l’Est.
En juillet 2012, après 10 ans de travail, le génome de la banane a été séquencé par le Cirad et le CEA-Genoscope de Montpellier. Il comprend 36 000 gènes. Ces données seront fort utiles pour l’amélioration des variétés, difficile chez ces espèces à faible fertilité, telle qu’une augmentation de la résistance à la fusariose (maladie de Panama due à un champignon, Fusarium oxysporum, responsable d'une grave épidémie dans les années 1950).
Références
- La banane : de son origine à sa commercialisation
http://www.pressesagro.be/base/text/v13n4/575.pdf - Multidisciplinary perspectives on banana (Musa spp.) domestication
http://www.pnas.org/content/pnas/early/2011/06/27/1102001108.full.pdf - Banana and plantain : an overview with emphasis on Pacific island cultivars
http://www.agroforestry.net/images/pdfs/Banana-plantain-overview.pdf - Composition nutritionnelle de la banane dessert
https://ndb.nal.usda.gov/ndb/foods/show/2159 - Composition nutritionnelle de la banane plantain
https://ndb.nal.usda.gov/ndb/foods/show/2351
Pour aller plus loin
- Histoire et amélioration de 50 plantes cultivées
C. Doré et F. Varoquaux, coordinateurs, INRA Collection Savoir-faire, 2006 - La légende du fé’i de Tahiti
https://www.tahitiheritage.pf/fei-tahiti-banane-plantain-montagne/ - L'espèce Ensete ventricosum en images
http://tropical.theferns.info/image.php?id=Ensete+ventricosum - Qualité de la banane plantain
http://www.cirad.fr/nos-recherches/resultats-de-recherche/2015/banane-plantain-aptitude-a-la-cuisson-et-qualite-nutritionnelle
http://www.wikiwand.com/fr/Banane_plantain - Impact fusarium
http://www.fao.org/in-action/banana-varieties-resistant-to-fungus-are-identified-using-mutation-induction/fr/ - Conférences des Nations Unies sur le commerce et le développement, 2016 : La banane (aspect commercial, différents types de maladie impactant le production) http://unctad.org/fr/PublicationsLibrary/INFOCOMM_cp01_Banana_fr.pdf