Ce texte a été initialement publié à cette adresse le 5 février 2023 sur Actualités scientifiques Prépas, le blog d'actualités de Patrick Pla, maître de conférences à l'université Paris Saclay. La version proposée ici a été adaptée pour Planet-Vie.

Le cerveau humain, avec ses 85 milliards de neurones chacun capable de former des centaines voire des milliers de synapses, apparait comme l’une des structures les plus complexes du système solaire. Si des cartographies à faible résolution existent, l’établissement du connectome, c’est-à-dire des connexions précises de chaque neurone individuel, représente un véritable défi. Avant d’espérer cartographier toutes les connexions ne serait-ce que d’une région précise (comme le cortex moteur par exemple), il s’agit de développer des outils sur des modèles plus simples. Le premier connectome avait été déterminé dès 1986 chez le nématode Caenorhabditis elegans une espèce qui présente 302 neurones associés par l’intermédiaire de 7000 synapses 1. En 2020, c’était au tour de la larve d’un Annélide Polychète, Platynereis dumerilii, de révéler la structure fine des connexions unissant ses 1500 neurones 2.

Plus récemment, dans une prépublication du mois de novembre 2022, des chercheurs de l’université de Cambridge (Royaume-Uni) ont franchi un nouveau cap en cartographiant l’ensemble des connexions des 3013 neurones des ganglions cérébroïdes3 (« cerveau ») de la larve de drosophile (soit 544 000 synapses) 4. Pour ce faire, ils ont utilisé 4841 coupes fines de cerveau observables au microscope électronique et utilisé des programmes de reconstruction 3D.

Le connectome de la larve de drosophile

A. Reconstitution 3D de l’ensemble des neurones du cerveau de la larve de drosophile. On voit notamment leurs prolongements vers la chaîne nerveuse ventrale.
B. Cartographie des neurones sensoriels avec les afférences en provenance de la périphérie (entrée), les neurones qui traitent l’information directement (2e ordre) et les neurones que ces derniers contrôlent (3e ordre).

Auteur(s)/Autrice(s) : Winding et coll., 2022, traduit et adapté par Pascal Combemorel Licence : CC-BY Source : bioRxiv

Ce connectome pourrait permettre de mieux comprendre des adaptations fonctionnelles « complexes » de la larve de drosophile, comme sa mémoire associative ou encore sa capacité à adapter son mode de locomotion à son environnement. L’intérêt de disposer du connectome de la drosophile est qu’il existe pour cette espèce modèle de nombreux outils permettant d’étudier le fonctionnement du cerveau, qu’il s’agisse d’outils génétiques (notamment optogénétiques qui permettent de dépolariser ou d’hyperpolariser des neurones bien précis) ou d’outils électrophysiologiques.

La détermination du connectome des 135 000 neurones du cerveau de l’imago (adulte) nécessitera encore du travail. Cette reconstruction pourra cependant s’appuyer sur les résultats obtenus pour les ganglions de la larve, car certains circuits sont conservés. Néanmoins, au cours de la métamorphose, les modifications des connexions synaptiques sont importantes et la comparaison du connectome entre larves et adultes sera riche en enseignements. La reconstruction du connectome adulte pourra également se fonder sur les nombreuses observations en microscopie électronique de l’ensemble du cerveau adulte déjà disponibles.

Comme avec le séquençage total des génomes, il ne faudra pas attendre de « miracles » des connectomes. En effet, ceux-ci ne donnent que peu d’informations sur les circuits les plus utilisés par rapport aux circuits activés plus rarement. Sans études fonctionnelles, il ne sera pas possible d’assigner une fonction précise à la majorité des connexions ni d’apprécier la « force » de celles-ci, qui est modulée par des mécanismes tels que la potentialisation à long terme ou la dépression à long terme. Par ailleurs, tout comme pour le séquençage complet du génome, les variations individuelles peuvent être importantes à cette échelle (du fait de la plasticité synaptique) et il faudra en tenir compte.