Introduction

Le cannabis est une drogue d’usage largement répandu dans la population française, et en particulier chez les jeunes. Le but de ce document est de présenter quelques expériences montrant, chez la souris, un effet du cannabis sur le système immunitaire, et en particulier sur les lymphocytes T. Un autre document vise, sans rentrer dans aucune polémique, à faire un rapide tour d’horizon des connaissances scientifiques sur le cannabis.

Le cannabis produit ses effets sur le cerveau par le biais du THC (tétrahydrocannabinol). En plus de son action sur le système nerveux central, il a été montré que le THC agit comme un modulateur du système immunitaire, aussi bien in vitro qu’in vivo. Le THC présenterait en particulier des effets immunosuppresseurs sur les macrophages, les cellules NK et les lymphocytes T. Les lymphocytes T ont un rôle de modulateur de la réponse immunitaire, en agissant par des sécrétions de cytokines : des cytokines inhibant l’immunité à médiation cellulaire et la réponse antitumorale (IL-10, etc.), et des cytokines activant l’immunité à médiation cellulaire (interféron gamma (IFN-γ), etc.).

Les expériences présentées ici ont pour objet d’étudier l’influence du THC sur la réponse immunitaire au cancer du poumon.

THC et tumeurs

Afin d’étudier le développement de tumeurs en présence de THC, l’expérience suivante a été réalisée :

  1. Des souris ont été traitées par des injections de THC (5 mg/kg, quatre fois par semaine), pendant deux semaines.
  2. Des cellules cancéreuses (lignée L1C2) ont été implantées dans les souris (implantation de 105 cellules). Cette lignée correspond à des cellules présentes dans des cancers du poumon chez la souris.
  3. Les souris ont continué à recevoir le même traitement par du THC, et la taille de la tumeur formée par les cellules cancéreuses a été mesurée trois fois par semaine.

Cette expérience a été réalisée chez des souris « normales », immunocompétentes, c’est-à-dire capable de réaliser des réactions immunitaires, mais aussi chez des souris SCID. Les souris SCID sont dites immunodéficientes, car ne possédant pas de lymphocytes T.

Effet du THC sur la tumorigénicité chez des souris immunocompétentes ou immunodéficientes

A gauche : effet du THC sur la tumorigénicité chez des souris immunocompétentes.
En présence de THC, on peut observer une croissance nettement augmentée des tumeurs.

A droite : effet du THC sur la tumorigénicité chez des souris immunodéficientes
En présence de THC, on n’observe aucune variation par rapport au témoin dans la croissance des tumeurs chez des souris SCID, immunodéficientes.

Auteur(s)/Autrice(s) : Zhu et al Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Cette expérience montre que le THC augmente la tumorigénicité chez les souris immunocompétentes : ces tumeurs se développent de manière bien plus importante en présence de THC.
Cet effet n’est pas présent chez des souris déficientes au niveau du système immunitaire : ceci suggère que le THC pourrait agir comme un immunosuppresseur, c’est-à-dire qu’il réduirait la réponse immunitaire présentée normalement par une souris face au développement d’une tumeur. Les souris SCID ne possédant pas une telle immunité antitumorale, le THC n’aurait alors pas d’effet sur elles…

THC et immunisation

La lignée utilisée (L1C2) est faiblement tumorigène. Il est possible d’immuniser les souris contre cette tumeur en leur injectant des cellules L1C2 irradiées : les souris sont alors résistantes à cette tumeur. Or, dans le cas de souris traitées (de la même manière que précédemment) par le THC, on s’aperçoit que leur résistance, face à nouvelle implantation de cellules tumorales L1C2, est réduite (voir tableau ci-dessous). Ce résultat confirme l’effet de baisse de l’immunité antitumorale induite par le THC.

Effet du THC sur des souris immunisées contre des cellules tumorales
Nombre de cellules cancéreuses (L1C2) implantées Nombre de souris rejetant la tumeur / Total
THC contrôle

1 × 105

8 / 8 8 / 8

2 × 105

5 / 8 8 / 8

3 × 105

4 / 8 8 / 8

Expérience : après avoir immunisé des souris par des cellules L1C2 irradiées, ces souris sont soumises à différentes doses de cellules L1C2 cancéreuses.
Dans chaque expérience, 8 souris sont traitées et on compte le nombre de souris rejetant la tumeur implantée.

THC et cytokines

Les réactions antitumorales font intervenir des sécrétions de molécules diffusibles par les lymphocytes : les cytokines. L’effet du THC sur les sécrétions de cytokine a donc été observé :

Effets du THC sur les sécrétions de cytokine
  Au niveau de la tumeur Au niveau de la rate
TGF-ß
(ng/ml/500 mg tumeur)
IL-10
(pg/ml/500 mg tumeur)
IFN-γ
(pg/ml/500 mg tumeur)
TGF-ß
(ng/ml/106 cellules)
IL-10
(pg/ml/106 cellules)
IFN-γ
(pg/ml/106 cellules)
Contrôle 18,7 (±1,5) 819 (±192) 190 (±20,9) 1,2 (±0,1) 18,3 (±1) 37,3 (±6,5)
THC (5 mg/kg) 35,4 (±3,2) 1491,3 (±166,1) 73,2 (±2,3) 1,8 (±0,1) 39,6 (±9,5) 21,1 (±0,5)
La rate est un organe lymphoïde où les secrétions de cytokine ont un effet fondamental sur l'activation de cellules immunitaires.

 

On observe donc que le THC a pour effet d’induire, en réponse à une tumeur : une hausse de la sécrétion de TGF-ß et d’IL-10 (interleukine 10), et une baisse de la sécrétion d’IFN-γ. Il est intéressant de noter que l’administration de THC a comme conséquence une hausse de cytokines inhibant les cellules du système immunitaire, et une baisse de celles activant ces mêmes cellules. Ces résultats sont donc cohérents avec les observations d’une hausse de la tumorigénicité causée par le THC.

L’importance de ces variations de taux d’interleukines dans le développement des tumeurs peut être confirmée : le TGF-ß et l’IL-10 peuvent être inhibés par une injection d’anticorps spécifiques de ces molécules. En se fixant sur celles-ci, ces anticorps empêchent leur action.
Dans ce cas, on observe que le THC ne cause plus de développement « exagéré » de la tumeur :

Implication de l'IL-10 et du TGF-ß dans l'action du THC

A gauche : Le THC n’augmente pas la tumorigénicité lorsque l’action de IL-10 est bloquée.
En présence de THC, le développement des tumeurs induites par l’injection de 5 × 10cellules 3LL (un type de cellule de cancer du poumon) est augmenté. Cet effet est annulé par l’injection d’anticorps anti-IL-10, bloquant l’action de cette molécule.

A droite : Le THC n’augmente pas la tumorigénicité lorsque l’action du TGF-ß est bloquée
En présence de THC, le développement des tumeurs induites par l’injection de 5 × 105 cellules 3LL (un type de cellule de cancer du poumon) est augmenté. Cet effet est annulé par l’injection d’anticorps anti-TGF-ß, bloquant l’action de cette molécule.

Auteur(s)/Autrice(s) : Zhu et al Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

THC et lymphocytes T

Face au développement d’une tumeur, une réaction immunitaire se développe et met notamment en jeu les lymphocytes T. Cette activation des lymphocytes T peut être mesurée par une méthode expérimentale nommée « réaction lymphocytaire mixte ». Cette méthode consiste en une culture de lymphocytes en présence de cellules présentatrices d’antigènes (en simplifiant, des cellules qui vont « avertir » les lymphocytes de l’existence d’une tumeur) ; la prolifération des lymphocytes est mesurée ensuite par l’incorporation de thymidine (constituant de l’ADN – marquée radioactivement au tritium 3H).

En absence de THC, les lymphocytes T sont activés (voir figure 3 ci-dessous). Cette activation dépend de la proportion de cellules présentatrices présentes : plus ces cellules « informatives » sont nombreuses, par rapport aux lymphocytes T, plus ceux-ci réagissent de manière importante (les lymphocytes T seuls ne montrent aucune réaction). À la suite d’un traitement des souris au THC (5 mg/kg, 4 fois par semaine pendant 2 semaines), on peut noter que la réactivité des lymphocytes T est significativement réduite.

Le THC inhibe les capacités de réponse des lymphocytes T

En présence de THC, les capacités des lymphocytes T à répondre à une stimulation par des cellules présentatrices d’antigènes (cellules qui vont informer les lymphocytes de la présence d’une tumeur) sont réduites.
APC : T cell ratio = proportion de cellules présentatrices (APC) par rapport aux lymphocytes T (nombre fixe de LT : 4 × 105)
cpm = coups par minute (mesure de la radioactivité)

Auteur(s)/Autrice(s) : Zhu et al Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Cette expérience confirme que le THC a pour action de diminuer la réactivité des lymphocytes T.

Ceci est confirmé par une expérience complémentaire : si l’on prélève des lymphocytes T dans la rate de souris traitées par le THC, puis qu’on les injecte dans des souris auxquelles on injecte ensuite des cellules cancéreuses, on observe un développement important des tumeurs (semblable à ce que l’on observait chez les souris traitées par le THC).

Cette action du THC a lieu via le récepteur CB2 au THC : en présence d’un antagoniste spécifique de ce récepteur, les conséquences d’un traitement au THC sur le développement des tumeurs n’est plus présent.

Conclusion

Les expériences présentées ici montrent un effet du THC, composé actif du cannabis, sur les lymphocytes T. En modifiant les sécrétions de cytokines, dans le sens d’une inactivation de ces cellules, le THC a pour effet de diminuer la réaction anti-tumorale, intervenant lors de la réponse immunitaire face au développement d’un cancer. Ces résultats confirment d’autres résultats, qui donnent au THC un effet immunosuppresseur. Il est intéressant de noter que le THC produit cet effet immunosuppresseur par le biais des lymphocytes T. Ceci démontre, une fois encore, le rôle fondamental de ces cellules lors d’une réponse immunitaire.

Le THC agit ici probablement grâce au récepteur CB2 (présent dans différentes parties du système immunitaire, dont la rate, le récepteur CB2  agit en tant qu'antagoniste des récepteurs à protéine G et aurait un effet anti-inflammatoire; le récepteur intervenant dans le cerveau est le récepteur CB1). On peut discuter sur les méthodes employées ici (injection de THC, et non respiration de fumées, etc.), mais les doses employées (5 mg/kg) sont cohérentes avec les doses que s’administre un fumeur régulier.

Ce résultat est particulièrement intéressant lorsque l’on se rappelle que la fumée de marijuana présente 4 fois plus de goudrons que la fumée du tabac (environ 50 mg de goudrons dans un joint, contre 12 mg pour une cigarette de tabac). Le cannabis semble ainsi plus cancérigène que le tabac, pouvant être à l’origine de cancer des voies respiratoires (en particulier des poumons). En effet, en plus de cette teneur en goudrons, la concentration en produits cancérigènes est plus élevée dans une cigarette de cannabis que dans une cigarette de tabac. Enfin, les effets bronchodilatateurs du THC pourraient favoriser la rétention des goudrons au niveau des voies aériennes supérieures… L’intérêt particulier de l’étude présentée ici est, dans cette optique, que ces travaux ont été menées avec des cellules tumorales de lignées de cancer du poumon…

Référence

Cette page a été réalisée d’après l’article de recherche : Delta-9-tetrahydrocannabinol inhibits antitumor immunity by a CB2 receptor-mediated, cytokine-dependant pathway, L Zhu et al., J. Immunology (2000) 165 : 373-380.