Chaque semaine sont publiées de nombreuses études qui tentent d'établir des liens de causalités entre nos comportements (alimentation, sommeil, activité, etc.) et notre santé. Ces informations sont régulièrement reprises dans la "grande presse", sous forme condensée et parcellaire, et chacune d'entre-elles sont en apparence porteuses de conseil pour améliorer notre santé. Pourtant, chaque étude prise individuellement ne permet généralement pas de tirer de conclusion définitive, et il convient de laisser aux spécialistes le soin d'agréger toutes les connaissances disponibles, étape indispensable pour en tirer des recommandations pertinentes ayant pour but l'amélioration de notre santé.
Deux études étudiant l'impact du sommeil sur la santé, et en particulier sur des désordres métaboliques tels que des dyslipidémies ou le diabète de type II, ont été publiées récemment. L'information a été reprise par la "grande presse". Au-delà des résultats respectifs de ces deux études, un intérêt supplémentaire émerge de leur comparaison.
La première de ces études démontre qu'une nuit blanche ou une nuit raccourcie augmente la résistance à l'insuline dans les mêmes proportions qu'une période d'alimentation riche en graisse de 6 mois, ce qui n'est pas rien ( "One Night of Poor Sleep Could Equal Six Months on a High-Fat Diet, Study Shows" ). La traduction pratique que l'on est tenté de faire à partir de ce résultat est de chercher à dormir plus longtemps afin de diminuer le risque de développer un diabète.
La seconde de ces deux études démontre que changer ses horaires de sommeil durant la semaine, et en particulier faire des grasses matinées le week-end pour rattraper un manque de sommeil, augmente le risque de développer un diabète de type II et de développer des dyslipidémies comme un taux de cholestérol trop élevé ( "Social Jetlag, Chronotype, and Cardiometabolic Risk" ). La traduction pratique que l'on est tenté de faire à partir de ce résultat est de chercher à garder des horaires de coucher et de lever stables aussi bien le week-end qu'en semaine afin de diminuer le risque de développer un diabète.
La question est : si, quelle qu'en soit la raison, il y a un manque de sommeil durant la semaine, est-il préférable de garder les mêmes horaires durant le week-end, au risque d'augmenter la probabilité de développer un diabète par manque de sommeil, ou de faire des grasses matinées, au risque d'augmenter la probabilité de développer un diabète par modification de ses horaires de sommeil ?
Evidemment la solution conciliant les "recommandations" implicites de ces deux études serait de faire des nuits régulières et suffisantes. Mais encore faut-il que cela soit possible. Ainsi, selon une autre étude également récente, faire commencer l'école tôt (9h du matin étant considéré comme trop tôt !) s'apparente selon l'auteur à "de la torture" pour les élèves ( "Synchronizing education to adolescent biology: ‘let teens sleep, start school later' " ). Il est vrai qu'il est souvent difficile de concilier l'heure de lever imposé par les horaires d'école et de travail avec le nombre d'heures de sommeil conseillé (là encore par des études), que ce soit pour les enfants, les adolescents, ou même les adultes.
La "grande presse" (télévision, journaux, sites Internet de grande diffusion) mais aussi les réseaux sociaux, les blogs, etc. relayent souvent les résultats d'études, qu'elles soient épidémiologiques ou autre, qui isolent une cause et un effet dans le domaine de la santé humaine. Il n'est pas rare que les conclusions de ces études portent en elles des "recommandations" de mode de vie, qu'elles soient explicitement formulées ou implicites, ceci en vue de minimiser des risques pesant sur la santé. Mais hélas ces "recommandations" peuvent aussi être vécues comme anxiogènes par certaines personnes si elles ne correspondent pas à leur mode de vie, surtout si il y en a plus d'une (adapter un aspect de son mode de vie est plus simple que de le faire sur de nombreux aspects à la fois).
Or on voit avec les deux premiers exemples cités qu'il est difficile de proposer des recommandations pertinentes à partir d'une seule étude qui isole une seule cause et un seul effet. Il faut tenir compte de toutes les autres interactions possibles. Cela ne veut pas dire que les résultats de ces études sont faux ou inintéressants, loin de là, mais que l'extrapolation de ces résultats en conseils de santé est une chose délicate.
De plus, si les articles originaux présentant ces études publiés dans des revues spécialisées sont généralement très prudents concernant l'extrapolation des résultats en termes de conseils de santé, la reprise de l'information dans les autres médias en direction du plus grand nombre est souvent beaucoup plus directe. Ainsi les trois articles originaux dont nous parlons aujourd'hui (voir bibliographie) sont beaucoup plus développés et subtils que le résumé des conclusions citées au début de cette actualité. Ce résumé, volontairement un peu caricatural, reprend la manière dont ces études ont été généralement présentées dans la "grande presse".
Enfin, sauf à être spécialiste du domaine, peu de personnes sont à même d'analyser la validité et la pertinence des "recommandations" qui semblent en découler en tenant compte des autres études existantes. Sans parler de la capacité à avoir un regard critique sur les études elles-mêmes.
Les études de ce type, comme toute recherche, apportent chacune une parcelle de connaissance. Mais prises isolément, et plus encore si présentées parcellairement, elles ne permettent généralement pas de tirer des conclusions fiables permettant de diminuer des risques et/ou d'améliorer la santé individuelle ou publique. Seule une intégration de l'ensemble des connaissances permet à des personnes forcément spécialistes de proposer des recommandations pertinentes et utiles sur la base de tendances globales. Libre alors à chacun de choisir de les suivre ou non.
Force est de constater que les énoncés de ces études attirent souvent l'attention, qu'ils soient intrigants, étonnants, voir inquiétants. Mais il faut se garder d'en extrapoler à chaque fois des conclusions sur ce qu'il serait bon de faire ou de ne pas faire. D'autant qu'on peut douter de l'intérêt de s'inquiéter pour tout et pour rien, de nombreuses études montrant probablement un impact négatif de l'anxiété sur la santé...
Bibliographie :
- One Night of Poor Sleep Could Equal Six Months on a High-Fat Diet, Study Shows. Josiane Broussard. J. Clin. Endocrinol. Metab. 10.1210/jc.2015-2923
- Social Jetlag, Chronotype, and Cardiometabolic Risk. Patricia M. Wong, Brant P. Hasler, Thomas W. Kamarck, Matthew F. Muldoon, et Stephen B. Manuck.
- Synchronizing education to adolescent biology: ‘let teens sleep, start school later’. Paul Kelley, Steven W. Lockley, Russell G. Foster et Jonathan Kelley. Learning, Media and Technology (2015) Vol. 40, No. 2, 210-226