Cet article présente les notions physiques relatives au comportement des gaz dans l'organisme lors d'une plongée et explique la nécessité de réaliser des paliers de décompression lors de la remontée en surface.
Introduction
Le site CultureSciences-Physique proposait il y a quelques temps de réfléchir à la question des paliers de décompression en plongée.
Nous allons tenter de brosser un tableau rapide des problèmes liées à la plongée, à l'interface de la physique-chimie et de la biologie.
Solubilité du diazote dans le sang
Lorsqu'on étudie en biologie les échanges entre le gaz contenu dans les poumons et le sang, on se focalise généralement sur le dioxygène et le CO2. Toutefois, une partie du gaz contenu dans les poumons (qu'il soit « utile » à la respiration ou non) se dissout automatiquement dans le sang. Cela est vrai pour le dioxygène (pour lequel le gaz dissout ne représente qu'une petite fraction - de l'ordre de 2% - du dioxygène transporté, l'essentiel l'étant en effet sous forme combinée à l'hémoglobine), le CO2 et le diazote. Si le dioxygène est utilisé par les cellules lors de la respiration, le diazote, lui, diffuse simplement dans le sang puis tous les tissus jusqu'à atteindre un état d'équilibre dans lequel les concentrations en diazote sont semblables dans l'air alvéolaire, dans le sang et dans les cellules.
La quantité de diazote dissout dépend de sa solubilité, qui elle-même dépend de plusieurs facteurs : température, pression partielle du diazote...
La loi de Henry indique qu'à température constante, la solubilité d'un gaz dans un liquide est proportionnelle à sa pression partielle :
s = p / H
(s = solubilité du gaz dans le liquide, p = pression partielle de ce gaz, H = constante de Henry qui dépend de la nature du gaz et du liquide considérés et de la température)
Or, en plongée, la pression augmente d'un bar tous les 10 mètres environ. Une plongée à 30 mètres correspond donc à une multiplication par 4 de la pression.
Application numérique :
Lors d'une plongée, la quantité d'azote présente dans le sang et dans les tissus augmente. Nous allons faire un calcul d'ordre de grandeur de la quantité d'azote présente dans 5 litres de sang à la surface de l'eau et à 30 mètres.
Nous ne devons cependant pas oublier l'importance de l'azote présent dans les tissus, que nous ne quantifierons pas ici.
A la surface de l'eau, la pression est à peu près égale à 1 bar, l'azote représente environ 80% du gaz contenu dans l'air extérieur, donc sa pression partielle est p = 0,8 bar.
A 30 mètres sous l'eau, la pression totale est à peu près égale à 4 bar et la pression partielle de l'azote dans de l'air sec est p' = 0,8 × 4 = 3,2 bar.
Il est à noter que, dans les poumons, le pourcentage est un peu plus faible puisque l'air des poumons est chargé de vapeur d'eau : le pourcentage d'azote dans les poumons, à la pression atmosphérique est donc plus proche de 75% que de 80%. Pour ce calcul, on se limitera à garder un chiffre significatif sur le résultat et on négligera donc la quantité de vapeur d'eau présente dans les poumons.
La pression partielle de l'azote dans le sang peut être aussi, pour la précision que l'on souhaite, considérée comme égale à p à la surface et p' à 30 mètres de profondeur.
La quantité d'azote dissout à saturation dépend de la pression partielle via la formule : x = p / H, où x est le nombre de moles d'azote par mole de liquide, et H la constante de Henri de l'azote dans le sang à 37°C. H vaut 1,0 × 105 bar environ à la température du corps.
La quantité d'azote présente dans le sang est donc multipliée par 4 à 30 mètres de profondeur par rapport à la surface, une fois que la saturation de la solution en diazote est atteinte.
Un litre d'eau contient N = 56 moles d'eau, on a donc N p / H moles d'azote par litre de sang à la surface et N (p' - p) / H moles de plus à 30 mètres de profondeur, soit plus d'une 1 mmole d'azote en plus par litre de sang.
Une remontée trop rapide, dans laquelle l'azote en trop n'a pas le temps de s'évacuer, entraîne la formation à l'intérieur du corps (dans le sang et dans les tissus), de bulles de gaz.
Le corps humain contient à peu près 5 litres de sang, et le volume molaire d'un gaz à 37°C et à une pression de 1 bar (pression à la surface) vaut à peu près 25 litres par mole, donc, dans le sang seulement, si l'azote qui s'y trouve n'était pas éliminé, il y aurait formation d'environ 0,2 litres d'azote gazeux.
L'azote contenu dans les tissus s'élimine plus lentement, donc la probabilité de formation de bulles de gaz à l'intérieur est encore plus élevé. On conçoit aisément le danger mortel que la présence d'une telle quantité de gaz non éliminé constitue !
Durée des paliers de décompression
Pour toutes les raisons indiquées ci-dessus, il est demandé aux plongeurs de ne pas remonter trop vite et de faire des paliers de décompression.
Si l'on examine les tables donnant la durée des paliers de décompression, on constate que ceux-ci peuvent être assez longs (cette durée dépend de nombreux paramètres), par exemple on va avoir à faire un palier de 20 minutes, ou une demi-heure, ou 45 minutes...
Or, en une minute, environ 6 litres de sang passent par les poumons (la fréquence cardiaque au repos est d'environ 60 battements/min pour un volume d'éjection systolique de 100 ml, soit environ 60x100 ml = 6000 ml/min). Le corps contenant environ 5 litres de sang en moyenne, on pourrait penser qu'une minute devrait suffire pour éliminer tout l'azote contenu dans le sang.
Pourquoi faut-il donc une aussi longue durée pour l'éliminer ? Est-ce dû à un mauvais passage de l'azote du sang à l'air alvéolaire ?
Loi de Fick
Pour être éliminé, l'azote doit passer des tissus dans le sang, être transporté par le sang, et passer du sang aux poumons (des capillaires sanguins vers les alvéoles pulmonaires). Si le transport de l'azote par le sang se fait relativement rapidement, le passage de l'azote des tissus vers le sang se fait plus lentement. En effet, le passage de l'azote à travers les tissus, comme à travers la paroi des poumons, se fait par simple diffusion.
La diffusion d'un gaz à travers la paroi des poumons est assez facile à étudier, elle est décrite par la loi de Fick :
v = D S Δ p / e
où v est la vitesse de diffusion du gaz à travers la paroi, S la surface de celle-ci, D, le coefficient de diffusion du gaz, Δ p la différence de pression partielle du gaz entre les deux côtés de la paroi, et e l'épaisseur de celle-ci.
Lorsqu'on résout cette équation, on trouve que la différence de pression partielle entre les deux côtés de la paroi est décrite par une exponentielle décroissante. De façon analogue à se qui se fait avec d'autres phénomènes régis par des exponentielles, on définit la « période » comme étant le temps au bout duquel la différence de pression partielle entre les deux côtés de la paroi a été réduite de moitié.
D'une façon générale, chaque type de tissu de l'organisme est caractérisé par une « période spécifique » qui dépend notamment de sa vascularisation et de sa teneur en graisse.
La durée d'un palier, dont l'objectif est de permettre aux tissus de se décharger d'une quantité suffisante l'azote pour éviter tout danger, se calcule à partir de la connaissance de ces périodes.
Cette durée est élevée, car certains tissus mettent beaucoup de temps à éliminer le gaz dissout (on peut observer des périodes allant de 5 minutes (C5) pour le sang à 120 minutes (C120) pour les tissus longs comme les os et tendons...
Pour le calcul des paliers, les tables de la Marine nationale MN90, par exemple, considèrent 12 compartiments dans le corps humain.
Remarques :
- L'oxygène ne constitue pas un problème car étant consommé par les cellules, il n'a pas besoin de diffuser à travers les tissus pour rejoindre le sang, si excès il y a.
- Le plongeur est confronté à d'autres risques que celui de la formation de bulles de gaz dans le sang ou dans les tissus. En effet, le diazote et le dioxygène peuvent tous deux causer des problèmes lorsque leur pression partielle est trop élevée. Au-delà d'une pression partielle de 1,6 bar, le dioxygène est toxique, et au-delà d'une pression partielle de 5,6 bar, le diazote entraîne « l'ivresse des profondeurs » qui peut causer des accidents mortels (la modification de la vitesse de l'influx nerveux en relation avec cette ivresse proviendrait d'une altération de certaines couches constituant la gaine de myéline).
Respirer d'autres gaz ?
Une façon d'éviter certains problèmes spécifiques liés à certains gaz (problèmes neurologiques ou risque de formation de bulles de gaz dissout) peut être d'utiliser d'autres gaz, dont les propriétés (solubilité dans l'eau, toxicité) sont différentes.
Les plongeurs sont-ils les seuls confrontés à ces problèmes ?
Les astronautes portent une combinaison pressurisée. A l'extérieur de la station spatiale, la pression dans la combinaison est inférieure à la pression qui règne dans la station (typiquement 0,3 bar dans la combinaison à l'extérieur de la station pour une pression de 1 bar à l'intérieur).
S'ils sortaient directement de la station, sans préparation, ils seraient confrontés au même risque qu'un plongeur qui remonte sans faire de palier : la formation de bulles de gaz mortelles dans l'organisme. C'est pour cela que les astronautes doivent se préparer longuement avant une sortie (il est possible, en respirant longuement de l'oxygène pur, de débarrasser son corps de l'azote qu'il contient).
Annexes
Pourquoi la pression partielle alvéolaire en dioxygène est-elle si faible ?
On dit généralement que la pO2 alvéolaire est d'environ 100 mm Hg. Pourtant, on dit également que l'O2 représente 21 % et le diazote 79 % de l'air. Du coup, on pourrait s'attendre à ce que pO2 = 160 mm Hg (760 x 0,21) et pN2 = 600 mm Hg (760 x 0,79) ce qui n'est pas le cas.
Pourquoi cette différence concernant la valeur de pO2 ?
- Première raison :
Par simplification, on néglige généralement la vapeur d'eau et l'on résonne sur de l'air sec (normes STPD). Il est vrai que dans l'air atmosphérique, l'humidité de l'air peut largement varier. Cependant, dans les poumons ce n'est plus le cas. En effet, lorsque l'air rentre dans les poumons, il va s'enrichir en vapeur d'eau jusqu'à saturation. De plus sa température va atteindre 37°C. Ainsi, quel que soit l'hygrométrie et la température de l'air inspiré, l'air alvéolaire comportera une pression partielle en eau égale à 47 mm Hg, correspondant à la saturation en vapeur d'eau à 37°C et sous une atmosphère. C'est par exemple les conditions qui prévalent pour l'air bronchique (norme BTPS). La pO2 est alors de (760 - 47) x 0,21 = 150 mm Hg. - Deuxième raison :
Le CO2, quantité négligeable dans l'air atmosphérique (0,03 %), devient non négligeable dans l'air alvéolaire puisqu'il correspond à 40 mm Hg soit environ 5 %. Ce CO2 provient du sang dans lequel sa pression partielle est de 40 mm Hg (on retrouve le fait que les pressions partielles d'un liquide et d'un gaz en contact s'équilibrent).
A ce stade, on conçoit que les pression partielles en dioxygène et diazote ne peuvent plus être de 160 mm Hg et 600 mmHg respectivement car le total donnerait alors 160 + 600 + 40 + 47 = 847 mm Hg, soit plus que la pression atmosphérique. On pourrait s'attendre à des pressions partielles de (760 - 40 - 47) x 0,79 = 532 mm Hg pour le diazote et (760 - 40 - 47) x 0,21 = 141 mm Hg pour le dioxygène (soit 18,5 % du total), ce qui ne correspond pas à la réalité. Il faut donc chercher d'autres raisons supplémentaires. - Troisième raison :
Le dioxygène qui passe dans le sang diminue d'autant la quantité de dioxygène contenu dans l'air alvéolaire. Le volume de l'air alvéolaire étant limité, ce prélèvement va diminuer la pression partielle en dioxygène, de sorte que l'équilibre s'établit pour une pression partielle inférieure à celle attendue. De fait, cet équilibre est atteint pour une valeur de pO2 de 105 mm Hg correspondant à environ 14 % (15,5 % de la fraction sèche sans CO2).
Transport du dioxygène et augmentation de la pression
A pression atmosphérique, la quantité de dioxygène dissout dans l'eau est faible. Si on applique la loi de Henry on trouve une valeur d'environ 0,3 mL d'O2/100 mL de sang, sachant que la constante H est de 0,0031 mL d'O2/mm Hg/100 mL de sang à 37°C, et que la pO2 (pression partielle en O2) est d'environ 100 mm Hg.
Par ailleurs, l'O2 peut également se lier à l'hémoglobine. L'affinité de l'hémoglobine (correspondant en première approximation à la pO2 de demi-saturation) est légèrement supérieure à 20 mm Hg, or la pO2 de l'air alvéolaire à pression atmosphérique est de l'ordre de 100 mm Hg. Il s'ensuit qu'à la sortie des poumons, l'hémoglobine est saturée à 98%.
Quelle quantité d'O2 cela représente-t-il ?
Le taux d'Hb normal est de 15 g/100 mL de sang, or la capacité de fixation de l'Hb est de 1,34 ml d'O2/g d'Hb soit au total 20 ml d'O2/100 mL de sang.
Si on compare, les deux valeurs, on constate que l'O2 dissout représente très peu comparé à l'O2 combiné à l'Hb.
En revanche, la situation évolue avec la pression. En effet, l'Hb étant pratiquement saturée à pression atmosphérique, une augmentation de la pression n'entraîne pas de changement dans sa capacité de transport. En revanche, la quantité d'O2 dissout augmente proportionnellement à la pression. On va donc avoir une augmentation de la part du dioxygène dissout dans l'ensemble du dioxygène transporté. Ainsi, sous oxygène pur et sous pression, on peut atteindre des valeurs qui permettraient de transporter assez d'oxygène pour vivre sans hémoglobine (sous trois atmosphères cela correspond à 6 mL d'O2 dissout/100 mL de sang ce qui est loin d'être négligeable comparé aux 20 mL d'O2/100 mL de sang combiné à l'Hg) ! Ce phénomène à une application médicale : l'oxygénothérapie hyperbare.