De nombreux ouvrages de biologie discutent de la question de la classification des êtres vivants, mais en se limitant généralement à la description de quelques méthodes, périodes de l'histoire ou résultats. À l'inverse, Systématique animale propose une synthèse complète de l'évolution des idées sur la façon de classer les espèces. Si l'auteur se concentre sur des exemples pris chez les animaux, les concepts développés s'inscrivent dans un cadre bien plus large et offrent ainsi une vision d'ensemble utile aussi bien aux enseignants qu'aux étudiants.
La systématique est la science de la classification des taxons. Dès l’Antiquité, des classifications du vivant, et en particulier des animaux, sont proposées. D’abord peu remises en cause, elles ne cessent d’évoluer à partir du XVIIIᵉ siècle. Les questions qui se posent pour classer les espèces sont pourtant toujours les mêmes : quels caractères prendre en compte ? quelle méthode employer ? quel but doit poursuive la classification ?
Concernant cette dernière question, le premier objectif d’une classification – qu’il s’agisse de celle du vivant ou d’autres – reste la capacité à désigner une collection d’éléments tous différents, mais présentant des caractéristiques communes, sous un même nom. Ainsi, il est bien plus pratique et court de dire « Les Mammifères ont des poils » que de devoir dire « Les renards, les ours, les loups, les rats, les bisons… ont des poils ». Un autre objectif poursuivi par certains taxinomistes a été de révéler l’ordre naturel créé par Dieu. C’est seulement suite à la prise de conscience de l’évolution des espèces, essentiellement du fait des publications de Darwin et Wallace, que la systématique acquiert un nouveau but : rendre compte des relations de parenté unissant les espèces en permettant de reconstruire leur histoire évolutive.
En ce qui concerne les caractères employés en systématique, ils ont pendant longtemps été anatomiques, morphologiques et embryologiques. L’essor récent des technologies de séquençage a révolutionné la discipline en permettant de comparer un nombre de caractères bien plus importants entre espèces. Dès lors, les phylogénies ont surtout été construites sur la base de données génétiques1. C’est en plaçant a posteriori sur les arbres obtenus les caractères morphologiques, anatomiques et embryonnaires que les scénarios d’évolution de ces caractères sont reconstruits. Les données moléculaires ont bouleversé les phylogénies admises à la fin du XXᵉ siècle : les Insectes et, plus généralement les Hexapodes, ont été réunis avec les « crustacés » au sein du groupe des Pancrustacés ; la présence ou l’absence de cœlome, tout comme la métamérie, se sont révélés être de mauvais critères pour classer les espèces, etc.
Enfin les méthodes employées pour établir des classifications ont également changé au cours des siècles. En particulier, dans la seconde moitié du XXᵉ siècle, trois écoles de pensée se sont affrontées. Les tenants de la systématique évolutionniste considèrent que les arbres doivent être construits en tenant compte à la fois de la similarité (qui ressemble à qui ?) et de la parenté (qui est plus proche de qui, mais aussi qui descend de qui ?) entre les espèces. Cette école estime notamment que certains taxons actuels descendent d’autres taxons actuels (les oiseaux descendent des reptiles) et qu’il existe des grades qui traduisent un perfectionnement progressif du vivant (les oiseaux sont plus perfectionnés, sont supérieurs aux reptiles). Par ailleurs, les systématiciens évolutionnistes considèrent que les grades formés doivent être homogènes d’un point de vue morphoanatomique : c’est le fameux « plan d’organisation ». La deuxième école, celle de la phénétique, s’intéresse uniquement à la similarité globale (qu’elle concerne des critères morphoanatomiques, biochimiques, comportementaux, écologiques…) entre espèces. Un indice de similarité est alors calculé pour chaque paire d’espèces à classer. Ces indices sont ensuite placés dans une matrice de distance. Des algorithmes variés (par exemple l’UPGMA ou le neighbor-joining) permettent alors d’obtenir un arbre, appelé phénogramme. Enfin, les tenants de la cladistique considèrent que les classifications ne doivent être fondées que sur les relations de parenté entre les organismes (qui est plus proche de qui ?), peu importe la ressemblance globale entre membres d’un même clade. Ceci, en particulier, car la ressemblance entre deux espèces peut aussi bien être héritée d’un ancêtre commun (homologie) que résulter d’une convergence ou d’une réversion (homoplasie). Alors que la systématique évolutionniste constituait une méthode reposant encore en partie sur l’expertise, l’intuition et l’autorité des auteurs pour construire des grades, la phénétique et la cladistique présentent l’avantage d’être des méthodes objectives, vérifiables et discutables.
C’est l’histoire de ces multiples révolutions conceptuelles que nous invite à suivre Maxime Hervé. Adoptant une présentation chronologique, ce maître de conférences à l’université de Rennes 1 explique de manière claire l’évolution des concepts structurant la systématique. Les idées de chacun des « grands noms » ayant travaillé à la classification des animaux sont ainsi présentées dans le contexte des savoirs de l’époque.
Cet ouvrage sera utile aux enseignants de SVT et aux candidats aux concours à de nombreux titres. D’une part, il permet de bien comprendre l’évolution des idées sur les modes de classification du vivant, d’Aristote à nos jours. D’autre part, il explique pourquoi certaines notions, encore malheureusement parfois employées par certains auteurs et par le grand public, ne devraient plus être utilisées : taxons « supérieurs » et « inférieurs », chaînon manquant, plan d’organisation, idées de progrès et de complexification croissante du vivant… Enfin il présente les grandes lignes des bouleversements de la classification des animaux au cours des dernières années. On regrettera simplement que cette partie ne soit pas davantage développée. Néanmoins, un arbre phylogénétique des Métazoaires, sous forme de site internet, est tenu régulièrement à jour par l’auteur et discute justement des points qui font consensus et de ceux en débat. Un lexique en fin d’ouvrage permet de retrouver des définitions synthétiques et claires, assorties de renvois aux différentes sections du livre.
Souhaitons que la prochaine édition comporte, en plus de ce contenu déjà riche, de courts bilans en fin de chapitre ainsi que des études de cas pour compléter cet ouvrage universitaire original et indispensable à l’enseignement de la systématique.