En sciences, tout comme dans notre vie quotidienne, nous cherchons à quantifier des phénomènes pour mieux les comprendre, prédire leur déroulement et agir en conséquence. Combien de temps me faudra-t-il pour aller faire les courses, et combien d’argent dois-je emmener ? Combien de temps faut-il à l’ADN polymérase pour répliquer le génome d’une cellule, et combien de molécules d’ATP sont nécessaires à cette réplication ? Quelle quantité de récoltes agricoles et bétails sont consommés en moyenne par un humain par an, et quelle surface de terrain est nécessaire pour fournir de quoi nourrir une personne ? Autant de questions dont les réponses déterminent (1) si j’ai le temps d’aller faire mes courses avant que le supermarché ne ferme et si je dois aller retirer de l’argent sur mon trajet ; (2) si une cellule a suffisamment de nutriments pour produire l’ATP nécessaire à la réplication de son génome puis à sa division ; (3) si nous devons optimiser notre production et consommation agricoles en considérant l’augmentation exponentielle de notre population.

La base de données Human Impacts Database rassemble une multitude de données quantifiant l’impact des activités humaines sur la Terre. Elle est née à la suite du projet BioNumbers, une autre base de données quantitative des laboratoires de Ron Milo et Rob Phillips recensant des données quantitatives de biologie cellulaire et moléculaire, telles que la vitesse de transcription de l’ADN polymérase, le volume d’une bactérie Escherichia coli, ou encore le nombre de cheveux sur un crâne humain.

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Fondée en 2022 par les mêmes équipes, la Human Impacts Database recense des valeurs montrant l’ampleur des activités humaines (quantité de bétail consommée par an, surface urbaine vs rurale, consommation d’énergie électrique…) et leurs conséquences sur notre environnement (changement de l’acidité des océans, de la température à la surface terrestre, fonte des glaciers…).

Depuis plusieurs décennies, des scientifiques du monde entier mesurent, recensent et publient des données quantifiant les activités humaines et l’évolution de notre environnement. Ces études ont clairement démontré que nous avons un impact non négligeable sur notre planète 1, que ce soit sur la composition de l’atmosphère 23, le niveau des eaux 4, la taille des glaciers 56, ou encore la diminution de certaines ressources naturelles 78. Au cours du temps ces études s’accumulent, et avec elles toujours plus de données, rapportées par des organismes variés (universités, industries, gouvernements), dans différentes régions, avec des unités variables, voire des protocoles de mesure distincts. À l’ère des Big Data, il devient de plus en plus difficile de comparer les résultats obtenus par un nombre croissant d’études scientifiques. Pour autant, ces mêmes données sont cruciales pour quantifier l’impact des activités humaines sur notre planète, les rendre accessibles et compréhensibles pour la population générale, et aussi permettre aux gouvernements de prendre des décisions éclairées de développement durable. C’est l’objectif que se sont fixés les auteurs de Anthroponumbers.org, le site qui héberge la Human Impacts Database 9 : rassembler les mesures quantitatives de l’impact des activités humaines sur notre planète, issues de sources et organismes variés, les convertir dans un unique système d’unités, le tout rassemblé sur une base de données ergonomique et accessible à tous.

Structure de la base de données

La base de données Human Impacts Database (HuID) est administrée par six scientifiques qui ont patiemment examiné des centaines d’études, non seulement scientifiques, mais aussi gouvernementales et industrielles, pour recenser les données quantifiant divers aspects des activités humaines. Le nombre de climatiseurs installés dans le monde ou l’évolution de l’acidité des océans au cours du temps constituent deux des quelques 300 entrées de l’HuID. Afin d’optimiser la fiabilité de la base de données, les administrateur·rice·s ont établi des critères stricts d’inclusion des données : source des mesures, conflits d’intérêts potentiels, explication des méthodes de mesure… 10 L’HuID est destinée à s’agrandir au cours du temps et a été conçue pour être collaborative, car ses utilisateurs peuvent suggérer des données supplémentaires aux administrateur·rice·s via la page de contact.

Barre de recherche de l’Human Impacts Database

L’utilisateur saisit des mots clés dans la barre de recherche de la page d’accueil. Les résultats de la recherche sont présentés sous forme de tableau. Chaque résultat correspond à une fiche, à laquelle est associée un paramètre (Quantity), sa valeur (Value), un code de référence (HuID), la source de cette donnée (Source), et le type de données (mesure unique ou temporelle, information géographique disponible ou non). En cliquant sur le titre d’une fiche d’intérêt, celle-ci est présentée plus en détail sur une nouvelle page (voir Figure 2).

Auteur(s)/Autrice(s) : Salomé Carcy, à partir du site Anthroponumbers.org Licence : CC-BY-NC-SA Source : Anthroponumbers.org

La page d’accueil présente une barre de recherche où tout internaute peut entrer des mots clés et chercher des données sur sa question préférée (Figure 1). Les données sont actuellement classées en cinq grandes catégories (Eau, Énergie, Faune & Flore, Cycles atmosphériques & biogéochimiques, Terre), qui reflètent la grande variété des données recensées. Si l’utilisateur n’a pas de question de prédilection, il ou elle peut également sélectionner une des cinq catégories pour consulter toutes les données disponibles dans cette catégorie d’intérêt. Les résultats de la recherche sont présentés dans un tableau recensant les différentes données disponibles, leur valeur, leur source, et leur type. Les données sont organisées sous forme de fiches, et il suffit de cliquer sur le titre de l’une d’elles (par exemple le volume annuel de pétrole extrait mondialement) pour qu’elle s’affiche sur une nouvelle page (Figure 2). Les administrateur·rice·s ont mis en place des logos pour indiquer les différents types de données, notamment si ce sont des mesures uniques ou temporelles, et si elles contiennent des informations géographiques.

Exemple de fiche disponible sur l’Human Impacts Database

Fiche représentative sur l’extraction mondiale annuelle de pétrole. Chaque fiche contient (A) un titre ; (B) une catégorie et une sous-catégorie ; (C) la valeur la plus récente dans les unités internationales, avec des conversions dans plusieurs unités si nécessaire ; (D) un code de référence, qui figure dans l’adresse web de la page ; (E) l’année de mesure de la valeur ; (F) un résumé présentant les données ; (G) la méthode employée pour obtenir ces données ; (H) la source de ces données et son lien ; (I) un lien pour accéder et télécharger les données sous forme de tableau ; (J) un aperçu graphique des données ; (K) une déclaration de la licence de partage des données ; (L) le nom de l’administrateur·rice ayant généré la fiche. (I1-I3) Les administrateur·rice·s de l’HuID mettent à disposition les données soigneusement rapportées dans différents tableaux uniformisés que tout utilisateur peut visionner, télécharger, puis utiliser pour ses propres recherches. Par exemple, l’utilisateur peut visualiser toutes les données disponibles sur la production et consommation de différents types d’énergies (I1), télécharger les tableaux de données temporelles et régionales sur le pétrole (I2), et tracer l’évolution de l’extraction de pétrole par continent pour la comparer à la consommation de pétrole par personne et par continent (I3).

Auteur(s)/Autrice(s) : Salomé Carcy, à partir du site Anthroponumbers.org Licence : CC-BY-NC-SA Source : Anthroponumbers.org

Chaque fiche est organisée de manière identique, en différentes sections, permettant à l’utilisateur d’identifier la nature et source des données recensées (Figure 2). Notamment, les administrateur·rice·s écrivent un résumé décrivant les données (Figure 2F) et la méthode employée pour les mesurer (Figure 2G). La source est systématiquement rapportée, avec un lien permettant d’y accéder (Figure 2H). Dans le cas où les données sont temporelles, un graphique permet de visualiser l’évolution de la valeur d’intérêt au cours du temps (Figure 2J). Enfin, les administrateur·rice·s fournissent les données dans des fichiers téléchargeables au format CSV, ce qui permet aux utilisateurs d’effectuer leurs propres analyses sur ces données (Figure 2I).

La structure de l’HuID est conçue pour être intuitive, uniforme, instructive et exploitable. L’avantage de cette base de données est qu’elle peut être utilisée à des fins non seulement scientifiques, mais aussi pédagogiques, car c’est une ressource accessible pour permettre au grand public de découvrir l’ampleur des activités humaines et leurs conséquences sur l’environnement.

Une infographie de l’impact humain sur la planète

En complément de la base de données, les auteurs d’Anthroponumbers.org ont réalisé un aperçu illustré de l’impact de nos activités sur la planète, qu’ils partagent dans la section SnapShot (Figure 3). Cet aperçu est inspiré de l’ensemble des données présentes sur l’HuID, et met en valeur celles que les auteurs considèrent comme essentielles pour développer une meilleure compréhension de l’ampleur des activités humaines. Les données représentées sur cette infographie sont savamment rapportées en unités scientifiques conventionnelles, mais aussi en unités de références qui permettent de développer une intuition de la signification des valeurs rapportées.

Quelques exemples intéressants dans chaque catégorie :

  • Eau : nous consommons globalement 5 × 1010 m3 d’eau par an en moyenne à des fins domestiques, un volume d’eau équivalent à 65 baignoires par personne par an.

  • Énergie : nous consommons en énergie globale environ 18 TW, ce qui est l’équivalent de chaque individu consommant 23 lampes à incandescence (d’une consommation de 100 W) allumées en permanence. De cette consommation globale d’énergie, 16 TW (environ 20 lampes par personne) proviennent d’énergies fossiles (gaz naturel, charbon, pétrole), c’est-à-dire plus de 85 %.

  • Faune & Flore : l’agriculture mondiale compte environ 3,5 × 1010 poulets (pour la viande et les œufs), ce qui est l’équivalent de 4 poulets par personne.

  • Cycles atmosphériques & biogéochimiques : nous produisons 4 × 1011 kg de plastique par an, ce qui correspond à 5 parpaings (d’une masse de 10 kg) par personne par an.

  • Terre : nous perdons 2 × 1011 m2 de forêts par an à travers la déforestation, les feux, l’agriculture et l’urbanisation. Cela est l’équivalent de chaque individu coupant 25 m2 de forêt par an, soit environ deux pièces d’appartement.

Cette infographie s’étend sur cinq pages présentant ces données sous différents aspects, notamment géographiques et temporels, permettant de mieux comprendre la localisation et l’évolution de ces activités humaines.

Infographie présentant quelques valeurs marquantes de l’Anthropocène

L’Anthropocène désigne la période géologique actuelle, marquée par l’empreinte de l’espèce humaine sur la Terre (modification de la biodiversité, changement climatique…). Sa définition géologique et sa date de début sont les objets du groupe de travail sur l’Anthropocène de la Commission internationale de stratigraphie. La première page de l’infographie illustre les grandes estimations quantifiant l’échelle de nos impacts sur la planète (l’intégralité de l’infographie est disponible dans la section SnapShot d’Anthroponumbers.org). (A) Les estimations sont présentées sous cinq catégories : Terre, Énergie, Eau, Faune & Flore, Cycles atmosphériques & biogéochimiques. (B) Les valeurs des estimations sont rapportées non seulement dans les unités scientifiques internationales, mais aussi dans des unités plus simples à appréhender. (D, E, L, N, O, P) Quelques exemples d’estimations intéressantes sont mises en valeur.

Auteur(s)/Autrice(s) : Salomé Carcy, à partir du site Anthroponumbers.org Licence : CC-BY-NC-SA Source : Anthroponumbers.org

Enjeux

La révolution technologique a entraîné une course effrénée à l’accumulation de données dans tous les domaines. Celles-ci permettent de visualiser, d’analyser et de mieux comprendre des phénomènes d’intérêt, voire de pouvoir prédire leur évolution. Un inconvénient majeur de cette production accrue de données est qu’elle est rarement standardisée et reproductible, et encore moins rassemblée en un seul lieu pour être facilement disponible pour la communauté. Ironiquement, nous avons constamment besoin de davantage de données avec toujours plus d’échantillons pour plus de précision, alors que nous avons déjà généré une multitude de données qui ne sont que très peu exploitables car difficiles à rassembler, uniformiser, fusionner et comparer.

Il n’y a plus de doute sur le fait que l’humain a un impact significatif sur notre planète. Une question subsiste pourtant : peut-on quantifier cet impact et prédire son évolution dans les années à venir ? Pour y répondre, nous avons besoin de données robustes et d’une pincée de statistiques permettant de les exploiter. En soi, ces deux ingrédients sont déjà disponibles. L’inconvénient bien entendu est que ces données sont éparpillées aux quatre coins d’Internet, obtenues avec des méthodes diverses, et rapportées dans des unités qui sont tout sauf standardisées. Et même lorsqu’on restreint notre quête de données aux études les plus robustes, les valeurs rapportées sont difficiles à comprendre intuitivement.

C’est tout l’intérêt qu’apporte cette nouvelle base de données recensant l’impact des activités humaines sur la Terre. Rassembler les données les plus fiables et les rendre accessibles à tous dans des tableaux et des unités standardisés. L’Human Impacts Database a non seulement un intérêt scientifique, mais aussi pédagogique. Ces données étant facilement accessibles, elles peuvent être exploitées dans le cadre de travaux pratiques, pour enseigner aux plus jeunes générations l’intérêt et les enjeux de la biologie quantitative, mais aussi pour les sensibiliser et leur faire réaliser l’ampleur de notre consommation de ressources naturelles. Les chiffres recensés permettent de réfléchir aux défis posés par nos systèmes de surconsommation (agricole, énergétique…), problèmes qui seront probablement exacerbés par l’augmentation de notre population et l’urbanisation croissante.