Il y a 50 ans déjà…

… dans le numéro du 25 avril 1953 de la revue Nature, deux jeunes chercheurs publiaient un petit article d’une seule page qui allait marquer le monde de la génétique et de la biologie moléculaire. Cet article est visible à cette adresse. James D. Watson et Francis H. Crick y décrivent leur proposition de structure pour la molécule d’acide désoxyribonucléique (ADN).

Structure moléculaire des acides nucléiques
Une structure pour l’acide désoxyribonucléique

J.D. Watson et F.H. Crick
Medical Research Council Unit for the Study of the Molecular Structure of Biological Systems, Cavendish Laboratory, Cambridge.
Article soumis le 2 avril 1953 ; publié le 25 avril 1953 (Nature 171, page 737).

« Nous souhaitons suggérer une structure pour […] l’acide désoxyribonucléique (ADN). Cette structure présente de nouvelles caractéristiques qui sont d’un intérêt biologique considérable.
Une structure pour l’acide nucléique a déjà été proposée par Pauling et Corey (1). […] À notre avis, cette structure n’est pas satisfaisante.
[…]
Nous souhaitons proposer une structure radicalement différente pour […] l’acide désoxyribonucléique. Cette structure a deux chaînes hélicoïdales enroulées chacune autour du même axe. […] Les deux chaînes suivent des hélices dextres, mais […] de directions opposées (2). […] Les bases sont à l’intérieur de l’hélice et les phosphates à l’extérieur. […] Il y a un résidu sur chaque chaîne tous les 3,4 Angströms selon l’axe z. Nous supposons un angle de 36° entre les résidus adjacents d’une même chaîne, de manière à ce que la structure se répète après 10 résidus sur chaque chaîne, c’est-à-dire après 34 Angströms.
[…]
La nouvelle caractéristique de cette structure est la manière dont les deux chaînes sont maintenues assemblées par les bases puriques et pyrimidiques. Les plans des bases sont perpendiculaires à l’axe de la fibre. Elles sont regroupées en paires, une unique base d’une chaîne étant reliée par des liaisons hydrogènes à une unique base de l’autre chaîne, de manière à ce que les deux [bases] se trouvent côte à côte […]. Une des bases de cette paire doit être une purine et l’autre une pyrimidine pour que les liaisons [hydrogènes] soient présentes.
[…]
Les paires [de bases azotées] sont : adénine (purine) avec thymine (pyrimidine), et guanine (purine) avec cytosine (pyrimidine).
En d’autres termes, si une adénine constitue un membre d’une paire, sur n’importe quelle chaîne, alors selon ces hypothèses l’autre membre doit être une thymine ; il en est de même pour la guanine et la cytosine. La séquence des bases sur une simple chaîne n’apparaît aucunement restreinte. Toutefois, si seules des paires spécifiques peuvent être formées, il s’ensuit que si la séquence des bases sur une chaîne est donnée, alors la séquence de l’autre chaîne est automatiquement déterminée.
Il a été trouvé expérimentalement (3) que le rapport entre les quantités d’adénine et de thymine, et le rapport entre guanine et cytosine, sont toujours très proche de l’unité dans l’acide désoxyribonucléique.
[…] (4)
Nous n’avons pu nous empêcher de remarquer que l’assemblage par paires spécifiques que nous postulons suggère immédiatement un possible mécanisme de copie du matériel génétique.
Les détails complets de cette structure, incluant les conditions proposées pour sa mise en place, accompagnés d’un ensemble de coordonnées des atomes, seront publiés ultérieurement (5). »

Notes :

  1. Pauling (prix Nobel de chimie en 1954 pour ses travaux sur les structures moléculaires et en particulier la découverte de l’hélice alpha des protéines) et Corey ont proposé en 1953, juste avant la publication de Watson et Crick, que l’ADN était constitué de trois hélices, avec les groupements phosphates placés à l’intérieur de la molécule. En fait, ils avaient commis plusieurs erreurs, qui n’avaient pas échappées à Watson et Crick (en particulier des atomes se « chevauchaient », et les phosphates situés à l’intérieur de la molécule étaient trop proches, et devaient donc se repousser…). [N.D.T.]
  2. Il s’agit donc de deux hélices dextres antiparallèles. [N.D.T.]
  3. En particulier par Chargaff.
  4. Il suit une remarque sur le fait que plus d’expériences sont nécessaires pour confirmer cette structure, encore hypothétique. [N.D.T.]
  5. En particulier dans un article publié dans la même revue Nature le 30 mai 1953. [N.D.T.]

Traduction : G. Furelaud, avril 2003.

Cet article, extrêmement bref, et accompagné d’une unique figure illustrant la notion de double hélice anti-parallèle, était accompagné de quelques articles plus techniques présentant certains arguments expérimentaux correspondant à cette structure.

Il est à noter que Watson et Crick n’ont pas participé à ces découvertes expérimentales : leur « génie » a été de savoir synthétiser les différentes connaissances de l’époque, pour aboutir à une proposition de structure tridimensionnelle. Pour cela, ils se sont fondés sur des faits connus du monde scientifique du début des années 50, sur des observations de leurs collègues (et en particulier Maurice Wilkins et Rosalind Franklin), ainsi que sur l’idée de l’association des bases azotées.

Les arguments pour la structure de l’ADN

Que savait-on au moment où Watson et Crick ont découvert la structure de l’ADN ? Déjà, et c’est important, on savait que l’ADN était le support de l’information génétique. Cette découverte, encore récente à l’époque, avait relancé l’intérêt pour la molécule d’ADN, relativement peu étudiée jusque-là.

Un certain nombre de points étaient bien établis. Parmi ceux-ci, la nature chimique de l’acide désoxyribonucléique : une association de nucléotides (phosphate – désoxyribose – base azotée), assemblés en longues chaînes. Toutefois, le nombre de chaînes associées (deux ou trois, voire plus ?), ainsi que leur orientation dans l’espace restait inconnu…

L’ADN est formé de l’association de nucléotides, qui forment de longues chaînes.
Auteur(s)/Autrice(s) : Gilles Furelaud Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

De plus, certains rapports entre les nucléotides formant l’ADN avaient été observés. Ces rapports sont connus sous le nom de règles de Chargaff, du nom du chercheur qui les a décrits. Toutefois, la raison d’être de ces rapports restait inconnue…

Les règles de Chargaff

Les règles de Chargaff sont le reflet de l'association obligatoire entre une purine (A ou G) et une pyrimidine (T ou C) situées sur les deux brins complémentaires.

Auteur(s)/Autrice(s) : Gilles Furelaud Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Le « génie » de Watson et Crick a été de trouver le lien entre la structure monocaténaire de l’ADN (succession de nucléotides) et ces règles de Chargaff. Ils ont observé, à l’aide de modélisations moléculaires, que deux bases azotées données pouvaient s’assembler grâce à des liaisons hydrogènes :

  • deux liaisons hydrogènes entre l’adénine et la thymine ;
  • trois liaisons hydrogènes entre la guanine et la cytosine.
Les bases azotées peuvent s’associer deux à deux par des liaisons hydrogènes.
Auteur(s)/Autrice(s) : Gilles Furelaud Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Enfin, Watson et Crick ont eu accès aux travaux de plusieurs chercheurs, en particulier à Cambridge, qui cherchaient à déterminer la structure de l’ADN grâce à l’observation de la diffraction de rayons X à travers des cristaux d’ADN purifié. Ces travaux leur ont permis de conclure :

  • à l’existence de deux chaînes dans la molécule d’ADN ;
  • à leur association en une forme d’hélice ;
  • à une association anti-parallèle de ces deux chaînes.

À partir de ces différents points (deux chaînes anti-parallèles en hélice, associées par des bases azotées complémentaires deux à deux), Watson et Crick ont pu réaliser un modèle moléculaire tridimensionnel de la molécule d’ADN.

[Télécharger le fichier pdb de la strucuture tridimensionnelle de l'ADN (Adénine, Thymine, Guanine, Cytosine : 1BNA.pdb]

Une découverte qui a marqué l’histoire

Pour cette structure de l’ADN, Watson, Crick et Wilkins ont obtenu en 1962 le prix Nobel de physiologie ou médecine. Cette découverte a depuis marqué les esprits, certes du fait de son importance en tant que telle, mais aussi pour la « simplicité » des concepts découverts. Il est aussi remarquable de voir que dès la publication originelle, aussi succincte soit elle, Watson et Crick proposent déjà (et réaffirment ces hypothèses dans la publication suivante, en mai 1953) un mécanisme simple permettant la duplication de l’ADN : la découverte de la structure de l’ADN ne peut pas être détachée des découvertes de son fonctionnement.

Enfin, un autre fait remarquable est la jeunesse de ces chercheurs : en 1953, au moment de leur découverte, Watson n’avait que 25 ans, et Crick et Wilkins seulement 37 ans ! En 2003, pour les 50 ans de cette découverte fondamentale, tous trois sont encore vivants. À 87 ans, Cricks continue de publier des résultats de recherche, et à 75 ans Watson dirige le Cold Spring Harbour Laboratory aux États-Unis.

La détermination de cette structure a permis par la suite de comprendre l’ensemble des mécanismes moléculaires de l’expression génétique : réplication de l’ADN, transcription, code génétique, etc.

Pour toute personne intéressée par l’histoire de cette découverte, une lecture s’impose : « La double hélice », récit autobiographique et empreint de modestie de James Watson.