Auteur : Françoise Ibarrondo


Table des matières

  1. Introduction
  2. Les séquences déjà déchiffrées
    1. Matériels et méthodes

      1. Des poils de mammouth
      2. Des séquençages de plus en plus performants et de moins en moins coûteux
    2. La séquence complète de son ADN mitochondrial
    3. La moitié de la séquence de l'ADN nucléaire
  3. Ressusciter le mammouth laineux ?
    1. Partir d’une séquence de mammouth laineux
    2. Partir d’une cellule d’éléphant
  4. Conclusion

1. Introduction

Les magnifiques mammouths laineux (Mammuthus primigenius) si bien adaptés au froid des périodes glaciaires quaternaires pléistocènes, avec leur fourrure constituée de trois couches isolantes et leur graisse épaisse, sont des pachydermes dérivés d’ancêtres africains dont les descendants ont fini par conquérir l’Eurasie et le continent américain avant de s’éteindre, presque tous, vers -10 000 ans.

Figure 1 : Squelette d'un mammouth laineux
Squelette d'un mammouth laineux
Source : S.C. Schuster, Mammoth Genome Project, Pennsylvania State University.

Le séquençage complet de leur ADN mitochondrial réalisé, celui à moitié réalisé de leur ADN nucléaire commence à éclairer d’un jour nouveau leur histoire évolutive. En viendra-t-on, un jour, à vouloir les ressusciter ?

2. Les séquences déjà déchiffrées

L’ADN des êtres vivants ne se conserve pas longtemps après leur mort (voir l'article "Faire parler l'ADN des fossiles") : il se fragmente et s’altère en finissant par disparaître complètement, même dans les meilleures conditions de conservation.

2.1. Matériels et méthodes

2.1.1. Des poils de mammouth

L’ADN des mammouths était auparavant uniquement extrait de leurs ossements, dents ou tissus exceptionnellement bien conservés par le froid. Les recherches actuelles se tournent aussi vers leurs poils dont les fibres de kératine présentent le double avantage de limiter les contaminations extérieures et les fuites de l’ADN qu’elles enclosent. Nul besoin d’un follicule pileux, le nettoyage soigneux du poil avec des agents détergeants et un shampooing le rend apte à délivrer les fragments d’ADN qu’il recèle encore.

Figure 2 : Poils de mammouth laineux ayant servi à des analyses ADN
Poils de mammouth laineux ayant servi à des analyses ADN

2.1.2. Des séquençages de plus en plus performants et de moins en moins coûteux

Le séquençage des fragments de l’ADN fossile est de plus en plus efficace grâce à l’emploi de séquenceurs de nouvelles générations et de méthodes informatiques capables de mettre bout à bout et dans le bon ordre l’ensemble des fragments séquencés (exemple: méthode 454 lifescience).

2.2. La séquence complète de son ADN mitochondrial

Chaque mitochondrie possèdent entre 2 et 10 copie d’ADNmt. De plus chaque cellule possède jusqu'à un millier de mitochondries, or ces mitochondries résistent mieux à la dégradation et leur génome se séquence donc plus facilement que l’ADN nucléaire qui de plus est présent en simple ou double exemplaire seulement dans le noyau. Soumis à une réplication moins précise que celle de l’ADNn et donc sujet à de plus nombreuses mutations, il se révèle, en outre, un bon marqueur de l’Evolution. (voir l'article "Reading the Evolutionary History of the Woolly Mammoth in Its Mitochondrial Genome")

Pour la première fois, en 2006, les séquences mitochondriales complètes (16 800 pb) de trois mammouths laineux avaient été publiées indépendemment par trois équipes (Sephan Schuster, Michael Hofreiter, Anastasia Grigorenko) qui les avaient obtenues à partir d’os ou de muscles issus de spécimens de différents âges et de différentes localités. Comparées à celles de l’éléphant d’Asie (Elephas maximus) et de l’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana), elles permettaient d’établir que le mammouth laineux et l’éléphant d’Asie sont des espèces soeurs qui ont divergé peu après que leur ancêtre commun se fut séparé de l’ancêtre de leur cousin africain.

En 2007, le groupe international de Stephan Schuster, de l’Université de Copenhague, démontrait la validité de la méthode d’extraction d’ADN à partir de poils en parvenant à séquencer totalement l’ADNmt de dix mammouths sibériens datés de -50 000 ans à -12 000 ans (voir l'article de Science "Comment on "Whole-Genome Shotgun Sequencing of Mitochondria from Ancient Hair Shafts""). Ces dix séquences se rajoutaient aux trois précédemment déchiffrées et les fragments d’ADN était si bien conservés à l’intérieur des poils que l’une des séquences avait pu être établie à partir de ceux d’un mammouth conservé depuis 200 ans dans un musée.

Le groupe de Schuster annonçait encore en juin 2008 cinq nouvelles séquences mitochondriales obtenues par la méthode du poil, s’ajoutant aux dix qu’il venait de publier par cette même méthode et aux trois précédememment obtenues par des groupes utilisant des méthodes plus classiques. Ces mammouths laineux sibériens étaient indistingables par leurs fossiles n’appartenaient pas à un groupe homogène mais à deux rameaux, ou clades, issus d’un ancêtre commun, estimé à -1/-2 millions d’années (Ma), le clade 2 s’étant éteint  vers -45 000 ans, le clade 1 vers -10 000 ans. Voir l'article en ligne "Intraspecific phylogenetic analysis of Siberian woolly mammoths using complete mitochondrial genomes".

2.3. La moitié de la séquence de l'ADN nucléaire

L’ADN nucléaire est certes bien plus difficile à séquencer que l’ADNmt mais c’est pourtant lui auquel il faut accéder pour découvrir les caractéristiques uniques du mammouth : 4,7 Gpb à déchiffrer d’après l’estimation actuelle (un génome plus riche en séquences répétées que celui de l’Homme, qui fait 3 Gpb, ou du Chimpanzé).

Pour ce faire, l’équipe de Stephan Schuster et de Webb Miller, désormais  à l’Université de Pennsylvannie, a extrait puis séquencé les millions de petits fragments d’ADN contenus dans les poils de deux spécimens appartenant à l’un et l’autre des deux clades précédemment identifiés: M25 de 60 000 ans pour le clade 2, M4 de 20 000 ans pour le clade 1. La comparaison de la séquence de ces petits fragments à l’ébauche de celle de son cousin, l’éléphant africain des savannes, en cours d’obtention au Broad Institute, a permis de commencer à distinguer les fragments appartenant au mammouth laineux de ceux apparenant à des contaminants. Sur 4,1 Gpb séquencées, 3,3 Gpb appartiennent au mammouth laineux. Comparé aux 4,7 Gpb de la taille estimée du génome du mammouth laineux, cela représente 70%. En fait, une partie du génome étant séquencée plus d’une fois, environ 50 % du génome du mammouth laineux a été séquencé (estimation faite en s’appuyant, par exemple, sur la fraction des séquences hyperconservées de l’éléphant africain retrouvée chez le mammouth laineux). C’est la première fois qu’une telle séquence d’ADN génomique (4,7/2=2,35 Gpb) est déchiffrée chez un fossile. La prochaine sera publiée très prochainement à partir de celle de Néandertal (voir "The Neandertal Genome Project"). C’est aussi la première fois qu’une telle séquence génomique est obtenue en si peu de temps (un an), par une seule équipe et pour un faible coût.

L’analyse des 50% de la séquence du mammouth laineux en est à ses prémices:

  • La séquence de l’ADNn de M4 du clade 1 est très semblable à celle de M25 du clade 2, à tel point qu’il est possible d’utiliser l’une ou l’autre pour déterminer les différences entre l’éléphant Africain et le mammouth laineux. La séquence de l’ADNmt semble donc être de meilleure valeur prédictive que l’ADNn pour commencer à identifier des clades.
  • Les deux espèces, éléphant africain des savannes et mammouth laineux, ont moins vite divergé entre elles que ne l’ont fait le chimpanzé et l’Homme, puisque leurs séquences génomiques diffèrent de 0,6%  au lieu de 1,2% pour des ancêtres communs estimés respectivement à -7,6 Ma et -7 Ma.
  • M4 du clade 1 était un mâle puisque nombre de ses fragments d’ADNn s’alignent avec des gènes spécifiques du sexe masculin humain, alors que les fragments de l’éléphant africain femelle, en cours de séquençage au MIT, ne présentent pas un tel alignement.
  • Les scientifiques espèrent identifier certains des gènes responsables des traits uniques du mammouth laineux, par comparaison de l’ébauche de sa séquence avec celles déjà obtenues chez d’autres Mammifères. C’est ainsi, par exemple, que des séquences conservées intactes pendant de très longues périodes de temps et brusquement mutées chez le mammouth laineux retiennent l’attention, qu’elles aient participé à son adaptation au froid ou qu’elles laissent entrevoir des causes possibles de son extinction.

3. Ressusciter le mammouth laineux ?

Michael Crichton, l’auteur de “Jurassic Park”, qui avait imaginé la résurrection de dinosaures à partir de leur ADN trouvé dans l’estomac de moustiques piégés dans l’ambre qui les auraient pîqués il y a 200 millions d’années, est mort juste avant la publication de Stephan Schuster.

Pure science fiction pour les dinosaures, un ADN de 200 Ma n’existe plus depuis très longtemps. Mais pour le mammouth laineux, avec déjà la moitié de la séquence de son ADN déchiffré, pourrait-il y avoir des parcs pléistocènes de la première époque du Quaternairee, et surtout, cela vaudrait-il la peine d’être entrepris ?

Deux voies pourraient théoriquement être envisagées pour ressusciter un mammouth laineux et l’une comme l’autre supposeraient, en finale, d’implanter le jeune embryon de mammouth recréé dans l’utérus de sa cousine éléphante.

3.1. Partir d’une séquence de mammouth laineux

Dans un article très intéressant de Nature ("Let’s make a mammoth"), Henry Nicholls passe en revue les étapes qui permettraient de construire un mammouth laineux à partir de la connaissance de son génome:

  • Connaître cette séquence sans erreurs, la diviser en un jeu de chromosomes haploïdes, la connaître encore davantage pour établir un jeu de chromosomes diploïdes susceptibles d’éviter les troubles délétères engendrés par des mutations homozygotes.
  • Synthétiser cet ADN, ce qui n'est pas rien : le génome du mammouth laineux est estimé à 4,7 Gpb, or le plus long ADN synthétisé jusqu’à présent (Mycobacterium genitalis) n’atteint que 582 Kpb.
  • Habiller cet ADN de protéines et le transformer ainsi en chromatine.
  • Entourer cette chromatine d’une membrane nucléaire sans perdre aucun chromosome : le noyau synthétique du mammouth laineux serait constitué.
  • Récolter des ovocytes (gamètes femelles, egg cells en anglais) d’éléphantes. La tâche n’est pas aisée : 1m de canal urogénital avant l’hymen persistant, 1,5m encore jusqu’à l’ovaire où  se développent, à certains moments du cycle ovarien, les ovocytes à l’intérieur des follicules.
  • Transférer le noyau synthétique du mammouth dans un ovocyte énucléé d’éléphante, celui-ci ayant été préalablement vidé de ses mitochondries et garni de mitochondries artificielles de mammouth afin d’éviter de possibles incompatibilités. La méthode de transfert nucléaire, inaugurée chez Dolly la brebis, est déjà très loin d’être efficace à l’intérieur d’une même espèce.
  • L’ovocyte artificiel de mammouth ainsi créé soumis à un choc électrique, mime d’une fécondation,  se développerait en un très jeune embryon de mammouth.
  • Ce dernier, implanté dans l’utérus d’une éléphante porteuse, donnerait naissance à un mammouth laineux ressuscité.

3.2. Partir d’une cellule d’éléphant

Une autre méthode consisterait à partir d’une cellule somatique d’éléphant africain dont l’ADN serait modifié en les quelque 400 000 sites qui le distinguent de l’ADN du mammouth laineux, grâce à des techniques qui feront passer des laborieuses modifications unitaires actuelles de l’ADN à celles qui toucheront 50 000 sites à la fois. Le noyau ainsi modifié serait inséré dans l’ovocyte énucléé d’une éléphante puis le jeune embryon résultant implanté dans l’utérus d’une éléphante porteuse.

Un projet moins ambitieux pourrait ne modifier que marginalement le génome d’une cellule d’éléphant de telle sorte que naisse finalement un pseudo-mammouth aux longues défenses recourbées et à la  toison abondante.

Enfin, le mammouth laineux ressuscité devrait vivre avec des compagnons et des compagnes, dans un endroit qui lui convienne.

Très clairement, toutes ces étapes sont hors de portée de la  science actuelle.

4. Conclusion

Le génome mitochondrial du mammouth laineux et ses 16 800 pb a été entièrement et très précisément séquencé. Comparé à celui de l’éléphant d’Asie et de l’éléphant africain, il enseigne que le mammouth laineux est l’espèce soeur de l’éléphant d’Asie. Séquencé chez plusieurs représentants de mammouths sibériens, il révèle que deux clades se sont formés il y a 1 à 2 Ma sans que cet évènement soit discernable sur les restes fossiles. En outre, séquencé en septembre 2008 à partir de 160 échantillons d’ossements américains et sibériens par l’équipe canadienne de Hendrik Poinar (voir "Out of America: Ancient DNA Evidence for a New World Origin of Late Quaternary Woolly Mammoths" et "Resilient American mammoths returned to rule Asia"), il révèle les allers et retours effectués par certains de ces pachydermes lorsqu’ils empruntaient le détroit de Béring exondé pendant les périodes glaciaires, puis le remplacement des mammouths sibériens par les mammouths américains.

Le génome nucléaire du mammouth laineux et ses 4,7Gb est à moitié séquencé. Le séquençage complet de l’éléphant africain au Broad Institute permettra d’attribuer encore une identité mammouth à certains des fragments ADN pris pour des contaminants dans les poils de M4 et M25. Des crédits supplémentaires permettront d’achever cette séquence pour une première lecture puis pour sa détermination très précise. Le travail d’analyse du génome commence en le comparant à celui de l’éléphant africain des savannes, à celui d’autres Vertébrés et plus tard à celui de l’éléphant d’Asie. C’est la première fois, qu’un génome fossile pourra être étudié dans le même détail que celui d’un être vivant actuel.

Quant à savoir si un jour, par exemple dans 20 ou 50 ans, le mammouth laineux parcourra les steppes canadiennes ou sibériennes, personne ne le sait. Et Stephan Schuster d’estimer: "cela pourrait être réalisé". La question est, justement parce que nous pourrions être capables de le faire un jour, devrions-nous le faire ? Et Henry Nicholls de dire “en 2009, c’est encore de la science fiction, mais en 2059, qui sait combien d’animaux ressuscités seront revenus arpenter les continents ou nager dans les mers?” Et nous tous de nous interroger.