Préambule…

Le texte suivant est issu d’une réflexion de Jean-Claude Hervé, sur les emplois contradictoires qui sont faits du terme « rétroaction ». Ce texte a pour but de permettre à l’enseignant de clarifier cette notion. Pour une meilleure compréhension, il est recommandé de lire le texte de manière linéaire et dans son intégralité.

Introduction

Les expressions « rétroaction négative », « rétroaction positive », font partie du langage courant de l’étude des systèmes de régulation. Elles sont en particulier employées lors des enseignements réalisés en lycée, et dans la symbolisation cybernétique de ces systèmes (voir à ce sujet le dossier Cybernétique et physiologie). Pourtant, il n’est pas sûr qu’elles désignent toujours exactement la même chose…

Un premier emploi du terme « rétroaction » : trois exemples

Considérons trois régulations :

  • régulation de la température centrale ;
  • régulation de la glycémie ;
  • régulation de la testostéronémie.

Utilisons pour étudier ces trois régulations la modélisation cybernétique : le système réglé est dans les trois cas le milieu intérieur. Les grandeurs réglées sont la température, la concentration du glucose, la concentration de la testostérone (il faut bien comprendre que le maintien de ces paramètres à une valeur quasi constante est vital pour l’organisme ou la fonction de reproduction). Dans les trois cas, on peut reconnaître des grandeurs d’entrée : débit d’entrée et débit de sortie. Pour la glycémie, c’est l’apport alimentaire de glucose et la production hépatique de glucose d’une part, l’utilisation du glucose par les cellules d’autre part (catabolisme, mise en réserve). Pour la testostéronémie, c’est la sécrétion de testostérone par les cellules interstitielles des testicules d’une part, le catabolisme et l’élimination rénale d’autre part.

Enfin, on peut reconnaître dans ces régulations les éléments des systèmes réglants : émetteurs-capteurs (cellules des îlots pancréatiques pour la glycémie, neurones hypothalamiques pour la température centrale), transmetteur et récepteur-effecteur (cellules du foie, des muscles et du tissu adipeux pour la glycémie, des muscles et des glandes sudoripares pour la thermostatie).

Figure 1 : Tableau récapitulatif des trois exemples de régulations présentés

 

Système réglé = milieu intérieur

Système réglant

Grandeur réglée

Grandeurs d’entrée

Émetteur-capteur

Transmetteur

Récepteur-effecteur

Température centrale

Température

Thermogenèse
Thermolyse

Neurones hypothalamiques

Système nerveux

Muscles et glandes sudoripares

Glycémie

Concentration du glucose

Apport alimentaire, production hépatique
catabolisme, mise en réserve

Cellules îlots pancréatiques

Plasma

Cellules hépatiques, musculaires et adipeuses

Testostéronémie

Concentration de la testostérone

Sécrétion
catabolisme, élimination rénale

Deux voies de communication successives

Figure 2 : Rappel de la modélisation cybernétique d’une boucle de rétrocontrôle

 
Modélisation cybernétique d'une boucle de rétroaction
Pour plus de précision, voir le document Cybernétique et physiologie

Figure 3 : Modélisation cybernétique de la régulation de la température centrale

Modélisation cybernétique de la régulation de la température centrale.

Le système réglant agit en retour sur la valeur de la température centrale, la maintenant constante : il s’agit d’une rétroaction négative. Une diminution de la température détectée par les neurones hypothalamiques conduit à une augmentation de la production de chaleur interne, ainsi qu’à une diminution des pertes calorifiques. De même, une augmentation de la température centrale conduit à une augmentation de la thermolyse et une diminution de la thermogenèse. Cet exemple est traité plus en détail dans le dossier Cybernétique et physiologie

Figure 4 : Modélisation cybernétique de la régulation de la glycémie

Modélisation cybernétique de la régulation de la glycémie.

Le système réglant agit en retour sur la valeur de la glycémie, la maintenant constante : il s’agit d’une rétroaction négative. Dans le cas d’une hyperglycémie, les cellules β des îlots pancréatiques libèrent de l’insuline, qui a pour effet de stimuler la capture du glucose par les cellules musculaires, hépatiques et adipeuses. Dans le cas d’une hypoglycémie, les cellules des îlots pancréatiques libèrent du glucagon, qui a pour effet de stimuler, entre autres, la libération de glucose dans le sang par les cellules hépatiques.

Le cas de la testostéronémie : précisions sur le système réglant

Dans le cas particulier de la testostéronémie, le système réglant est en fait plus complexe, car constitué de deux voies de communication interconnectées entre elles et mettant en jeu deux messages hormonaux :

Première voie de communication :

  1. Les cellules neurosecrétrices de l’hypothalamus sont les capteurs de la testostéronémie, et les émetteurs d’une hormone, la GnRH.
  2. Le transmetteur est le système porte hypothalamo-hypophysaire.
  3. Le récepteur-effecteur est constitué par les cellules endocrines de l’adénohypophyse, qui secrètent FSH et LH.

Deuxième voie de communication :

  1. Les cellules endocrines de l’adénohypophyse, secrétant la LH, forment le capteur-émetteur. (note : seule la LH stimule les cellules de Leydig. La FSH intervient aussi dans la régulation de la spermatogenèse, mais en agissant sur d’autres cellules)
  2. Le transmetteur est le compartiment plasmatique.
  3. Le récepteur-effecteur est constitué des cellules de Leydig, secrétant la testostérone.

Figure 5 : Modélisation cybernétique de la régulation de la testostéronémie

 
Modélisation cybernétique de la régulation de la testostéronémie.

Le système réglant agit en retour sur la valeur de la concentration de la testostérone plasmatique, la maintenant constante : il s’agit d’une rétroaction négative. Une diminution de la testostérone est détectée par les neurones hypothalamiques neurosecréteurs de GnRH, ce qui conduit à une stimulation des cellules gonadotropes de l’hypophyse, et donc une augmentation de la libération de LH dans le plasma. La LH stimule les cellules de Leydig, augmentant leur sécrétion de testostérone. SPHH : système porte hypothalamo-hypophysaire.

Premier emploi du terme « rétroaction » : conclusion

Dans les trois cas présentés ici, l’action du système réglant est la même : il s’agit d’un effet en retour sur les grandeurs d’entrée, s’opposant à leurs variations et maintenant par là la grandeur réglée au voisinage de la grandeur de consigne : c’est pour ce mécanisme que l’on utilise le terme de rétroaction.

Ainsi, en cas d’hypoglycémie, l’action du système réglant a pour effet d’augmenter la production de glucose hépatique et de diminuer l’utilisation du glucose périphérique. En cas de baisse de la testostéronémie par suite d’une baisse de la production endogène de testostérone, l’effet du système réglant est d’augmenter cette production endogène, donc par rétroaction négative de s’opposer à la variation de la grandeur d’entrée.

C’est ce type de mécanisme qui représente le premier emploi du terme de rétroaction.

Figure 6 : Représentation très schématique des trois exemples de rétroaction présentés ici

 
 Représentation schématique de trois exemples de rétroaction

A : régulation de la température centrale. B : glycémie. C : testostéronémie.

Un deuxième emploi du terme « rétroaction », dans le cadre de la testostérone

Or on utilise aussi le terme de rétroaction pour désigner l’action de la testostérone sur le complexe hypothalamo-hypophysaire : une augmentation de la testostéronémie entraîne une baisse de la sécrétion de LH. C’est le deuxième emploi du terme rétroaction.

Il est justifié en tant que processus par lequel la testostérone agit sur le complexe mais pas en tant que représentation cybernétique du système de régulation de la testostéronémie. On ne dit jamais que le glucose exerce une rétroaction sur les cellules du pancréas, par exemple une rétroaction négative sur les cellules α sécrétrices du glucagon ou une rétroaction positive sur les cellules β sécrétrices d’insuline… et pourtant c’est la même chose.

Dans la représentation stricte d’un système de régulation, les cellules du complexe sont des émetteurs-capteurs qui émettent un message codé en modulation d’amplitude en fonction de la valeur de la grandeur réglée qu’elles captent. Quand on utilise le terme de rétroaction pour désigner l’action de la testostérone sur le complexe hypothalamo-hypophysaire, on fait comme si la valeur à régler était la concentration de LH dans le milieu intérieur !

Figure 7 : Les deux emplois du terme « rétroaction » dans le cadre de la testostérone.

 
Deux emplois du terme de rétroaction dans le cadre de la testosterone

Cela étant, cette expression de rétroaction négative est constamment et couramment utilisée pour désigner l’action de la testostérone. Il semble donc impossible de vouloir, brusquement, ne plus l’utiliser… Il convient toutefois de bien voir dans quel cadre cette expression est utilisée.

Extension au système des hormones ovariennes

Les réflexions précédentes s’appliquent bien sûr à la rétroaction positive du système de régulation des hormones ovariennes.

Une rétroaction positive dans le premier sens serait la suivante : une augmentation de la concentration d’œstradiol entraîne par l’intervention du système réglant (axe gonadotrope) et donc, par une augmentation de la concentration des gonadostimulines, une production encore plus forte d’œstradiol (grandeur d’entrée) et par là une élévation importante de la concentration de cette hormone.

Or cela n’est pas le cas du tout !

En effet, l’augmentation de la production d’œstradiol a lieu sans augmentation de la concentration des gonadostimulines. Autrement dit, l’expression « rétroaction positive » correspond uniquement au deuxième emploi de l’expression : action de l’œstradiol sur le complexe hypothalamo-hypophysaire.

Dans la perspective cybernétique d’un système de régulation des hormones ovariennes, on devrait insister sur le fait que le complexe hypothalamo-hypophysaire, en fonction des informations qu’il capte sur les concentrations des hormones ovariennes, fait évoluer les capteurs-émetteurs du système réglant (c’est en fait ce dernier qui évolue au cours du cycle), ce qui entraîne les variations cycliques des concentrations ovariennes, indispensables à l’accomplissement de la fonction de reproduction.

Figure 8 : Variation des hormones ovariennes et hypophysaires au cours de la phase folliculaire

 
Variation des hormones ovariennes et hypophysaires au cours de la phase folliculaire.

Les pics de LH et de FSH sont dus à la forte stimulation de cellules hypophysaires gonadotropes par l’œstradiol en concentrations élevées. Ces deux hormones (LH et FSH) stimulant la sécrétion d’œstradiol, on peut donc bien parler de rétroaction de l’œstradiol sur le complexe hypothalamo-hypophysaire (« 2e emploi du terme rétroaction »). Toutefois, la situation est plus complexe en termes cybernétiques : la concentration en œstradiol baissant à la fin de la phase folliculaire, on peut pas parler de « réelle » rétroaction (« 1er emploi du terme »), l’œstradiol n’engendrant pas une hausse de sa concentration. Ce qui change d’un point de vue cybernétique, c’est le fonctionnement des capteurs émetteurs de l’axe gonadotrope : au-dessus d’une valeur seuil, les œstrogènes les active, au lieu de les inhiber. Pour plus de détails et les schémas cybernétiques correspondant, voir le dossier Cybernétique et physiologie